AccueilActualitéPortraitsFani Koukouli : cibler les interneurones pour traiter les maladies du cerveauFani Koukouli : cibler les interneurones pour traiter les maladies du cerveau Publié le : 05/08/2025 Temps de lecture : 4 min PortraitsIl existe dans le cerveau des cellules peu nombreuses mais essentielles à la régulation des réseaux de neurones : on les appelle les interneurones inhibiteurs. Lorsqu’ils dysfonctionnent, ces « postes de contrôle » favorisent l’apparition de maladies psychiatriques ou neurodégénératives. Fani Koukouli étudie leur fonctionnement, avec l’objectif de mettre au point de nouveaux traitements.Fani Koukouli est chercheuse Inserm à l’Institut de psychiatrie et neurosciences de Paris (IPNP, unité 1266 Inserm/Université Paris-Cité).À première vue, la schizophrénie et la maladie d’Alzheimer sont deux pathologies très différentes : la première apparaît généralement au début de la vie adulte, tandis que la seconde touche les personnes âgées. La première se manifeste d’abord par des hallucinations ou des délires, alors que la seconde est en premier lieu associée à des troubles de la mémoire. Pourtant, elles ont un point commun : toutes deux peuvent être liées au dysfonctionnement d’un groupe de neurones particuliers, les interneurones. Ces cellules nerveuses minoritaires dans le cerveau ont des propriétés inhibitrices très importantes pour le bon équilibre des circuits neuronaux locaux, notamment ceux du cortex préfrontal qui sont associés aux fonctions cognitives supérieures (langage, raisonnement, mémoire de travail…). C’est à ces interneurones que Fani Koukouli, chercheuse Inserm, dédie sa carrière de scientifique depuis son doctorat en neurosciences, conduit à l’Institut Pasteur. « Mon travail visait alors à comprendre le rôle de la nicotine sur l’activité du cerveau. J’ai montré que cette molécule peut moduler localement l’activation ou l’inhibition des neurones du cortex préfrontal. Plus précisément, la nicotine se lie à des récepteurs présents sur les interneurones et modifie ainsi leur activité. Par ailleurs, j’ai observé une sous-activation corticale chez les souris dont les récepteurs nicotiniques portent une mutation qui prédispose les humains à la dépendance à la nicotine et à la schizophrénie, relate la chercheuse. Chez la souris, il est possible de rétablir une activité normale du cortex préfrontal en modulant l’activation des récepteurs nicotiniques mutés. On peut penser qu’il pourrait en être de même chez les patients porteurs de la mutation. »Une vocation née au collègePour Fani Koukouli, cette perspective thérapeutique est d’autant plus enthousiasmante qu’elle fait écho à sa vocation initiale. « J’espère développer des traitements pharmacologiques pour les maladies psychiatriques depuis le collège, confie-t-elle. Cette idée m’est venue après que notre professeur de chant ait emmené ma classe dans un service de psychiatrie pour y donner un concert de Noël. J’avais de nombreux stéréotypes en tête. Mais après avoir rencontré les patients et découvert les œuvres artistiques qu’ils exposaient sur place, j’ai été fascinée. J’ai voulu comprendre comment le cerveau fonctionne dans ces situations. » C’est ainsi qu’elle décide d’étudier la pharmacie pour se spécialiser ensuite dans les neurosciences. Et qu’à l’issue de son master obtenu à l’université Aristote de Thessalonique en Grèce, elle rejoint l’hexagone.Son doctorat en poche, elle poursuit ses recherches à l’Institut Pasteur dans l’équipe d’Uwe Maskos, s’intéressant plus spécifiquement à la maladie d’Alzheimer. Elle observe que certains récepteurs nicotiniques sont la cible des peptides bêta-amyloïdes, ces protéines dont l’accumulation neuronale s’avère toxique et conduit à l’apparition de la démence. Elle rejoint ensuite l’équipe d’Alberto Bacci à l’Institut du cerveau, où elle approfondit son expertise sur les interneurones inhibiteurs. Car en réalité, « il existe plusieurs types d’interneurones inhibiteurs. Chacun a des propriétés et des récepteurs différents. Mieux connaître leur diversité permet de mieux appréhender les différents rôles qu’ils jouent dans la cognition. » Dans ce laboratoire, elle étoffe la connaissance de plusieurs familles d’interneurones et de récepteurs, et utilise de nouvelles méthodes d’expérimentation. L’originalité et les fruits de ses travaux ont d’ores et déjà été salués par plusieurs prix, dont le prix Gandy de la Chancellerie des universités de Paris, le prix L’Oréal-Unesco, le prix Unafam ou encore le prix France Alzheimer.Entre paillasse et cliniqueGrâce à ce bagage d’expertises, Fani Koukouli obtient en 2023 un financement Atip-Avenir qui lui permet de s’établir définitivement en France en créant son propre groupe de recherche à l’Institut de psychiatrie et de neurosciences de Paris (IPNP). Avec cette équipe qui compte désormais deux post-doctorants, un doctorant, un ingénieur d’étude et plusieurs étudiants en master, elle continue à explorer comment l’acétylcholine, neuromédiateur clé de la cognition, agit sur les différents types d’interneurones, selon leur localisation, leur type et les récepteurs qu’ils expriment. « Nous étudions aussi comment ces voies peuvent être modifiées dans les maladies psychiatriques ou neurodégénératives », précise-t-elle. Pour cela, elle croise des outils génétiques, d’imagerie et des expérimentations comportementales ou électrophysiologiques. « Nous cherchons par ailleurs à savoir comment les signaux qui proviennent d’autres régions du cerveau influencent ces interneurones. »Et la chercheuse garde les perspectives thérapeutiques en ligne de mire : « Nous avons pu tester différentes molécules capables de se fixer sur les récepteurs nicotiniques et de restaurer le fonctionnement préfrontal normal », rapporte-t-elle. Certaines pourraient être prochainement testées chez l’humain. Installée au cœur du campus hospitalier Sainte-Anne, Fani Koukouli et son équipe bénéficient en effet de la proximité directe des cliniciens : « C’est l’environnement idéal pour établir des collaborations et lancer des projets de recherche translationnelle. Sur la base des mécanismes que nous avons identifiés chez la souris, nous sommes en train de monter un projet auprès de patients atteints de schizophrénie qui souffrent notamment d’une moins bonne flexibilité cognitive que les autres, c’est-à-dire de difficultés à adapter leur comportement dans une situation donnée, ou à passer rapidement d’une idée à une autre. Nous allons tester des molécules dont l’innocuité est déjà établie et qui ont montré leur capacité à moduler de récepteurs porteurs de particularités génétiques qui favorisent la maladie. »Fani Koukouli est chercheuse Inserm à l’Institut de psychiatrie et neurosciences de Paris (IPNP, unité 1266 Inserm/Université Paris-Cité).Autrice : C.G.À lire aussi Nicotine : l’exposition pendant l’adolescence perturbe le développement cérébral chez la sourisActualité, Science Nicolas Renier – Plongée au cœur des remaniements cérébrauxPortraits SchizophrénieLa schizophrénie est une maladie psychiatrique caractérisée par un ensemble de symptômes très variables :…