Pop Science – Une épidémie de zombies ?

Dans la série issue du jeu vidéo The last of us, le champignon Cordyceps a muté à cause du réchauffement climatique, et infecte les humains qui se transforment en créatures cannibales. Un tel scénario est-il plausible en vrai ? Et plus raisonnablement, faut-il craindre une épidémie fongique mondiale ? On fait le point avec LE spécialiste des champignons à l’Inserm, le mycologue Jean-Pierre Gangneux.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°65

Existe-t-il un champignon sur Terre capable d’infecter un humain et de contrôler son comportement ?

Jean-Pierre Gangneux : Le champignon dont il est question dans la série, le Cordyceps, ne contamine pas les humains. En revanche, dans la nature il est capable de prendre le contrôle d’insectes une fois infectés, comme les fourmis dont il se sert pour se propager en modifiant leur comportement. Notons tout de même que des champignons microscopiques tels que la levure Cryptococcus ou le champignon filamenteux Aspergillus peuvent infecter les poumons humains après inhalation, puis disséminer dans le sang et atteindre le cerveau. Jusqu’à présent, on considère qu’ils n’induisent pas de modifications du comportement, mais il y a bien une atteinte cérébrale.

En quoi le réchauffement climatique favorise-t-il l’expansion de champignons dangereux ?

J.-P. G. : Premièrement, l’augmentation des températures favorise la croissance de champignons, dont certains pathogènes, et favorise donc leur progression dans certaines régions du monde combinant un climat chaud et humide. La hausse de l’humidité entraîne le développement de moisissures notamment dans les logements mal ventilés, ou dans l’agriculture avec un risque de spoliation des récoltes, nécessitant davantage de fongicides… auxquels les champignons peuvent devenir résistants. Ensuite, la plupart des champignons ne peuvent pas infecter les humains car ils sont incapables de croître au-delà de 37 degrés. Mais face au réchauffement climatique, la température corporelle humaine a baissé de près de 0,59 °C ces cent cinquante dernières années, d’après une étude aux États-Unis sur une cohorte américaine. La zone de restriction thermique qui nous protège des infections fongiques est donc réduite. L’une des espèces émergentes qui inquiète le plus en ce moment, Candida Auris, est responsable de plusieurs épidémies fongiques qui ont eu lieu dans des hôpitaux aux États-Unis en 2019 puis partout dans le monde, et peut provoquer une septicémie mortelle. Au-delà de sa pathogénicité, un facteur d’inquiétude est également lié à son profil de résistance à certains antifongiques.

Pourtant, le monde du vivant ne pourrait pas se passer des champignons…

J.-P. G. : Oui, ils sont indispensables à notre organisme, à travers ce qu’on appelle le « mycobiote », c’est-à-dire la communauté des champignons présents dans notre microbiote (intestinal, de la peau, de la zone uro-génitale…). Dans l’environnement, ils sont bénéfiques à la croissance des arbres, pour fertiliser les sols, et même pour dépolluer car certains champignons assimilent les hydrocarbures et les éliminent. Ils sont aussi nécessaires dans l’agroalimentaire pour produire le pain, le fromage, l’acide citrique… Par ailleurs, certaines de leurs molécules sont utilisées en médecine pour fabriquer des médicaments immunosuppresseurs dans le cadre de greffes d’organes, et pour certains… antifongiques. La liste est longue, mais citons ce dernier exemple : la psilocybine, elle, est actuellement testée en psychiatrie pour lutter contre la dépression et les addictions.

Propos recueillis par L. A.


Jean-Pierre Gangneux est chef du service de parasitologie-mycologie du CHU de Rennes et chercheur à l’Institut de recherche en santé environnement et travail (unité 1085 Inserm/Université de Rennes 1/Université d’Angers/EHESP)


Pour en savoir plus : Les infections fongiques, la nouvelle pandémie, vraiment ?, Canal Détox du 19 septembre 2023, mis à jour le 15 avril 2025.

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