AccueilActualitéScienceMirko Francesconi : Mini ver et big dataMirko Francesconi : Mini ver et big data Publié le : 05/12/2025 Temps de lecture : 4 min Actualité, ScienceNos cellules ont le même génome, mais elles n’ont pas toutes la même fonction. Et c’est heureux car le foie n’a pas besoin de cellules musculaires, ni rétiniennes… Donc si nous n’avons pas un os dans le cœur, c’est parce que l’expression des gènes varie d’un tissu à l’autre, voire d’une cellule à l’autre, et même dans le temps. C’est la régulation de cette expression qu’étudie Mirko Francesconi grâce à un minuscule ver de laboratoire et aux big data.Un entretien à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°66Mirko Francesconi, chercheur Inserm, responsable de l’équipe Régulation génomique au Laboratoire de biologie et modélisation de la cellule (unité 1293 Inserm/CNRS/Université Claude-Bernard – Lyon 1/ENS de Lyon) à Lyon © Inserm/François Guénet« La régulation de l’expression des gènes peut être d’origine génétique – des variations génétiques agissent sur d’autres gènes – ou épigénétique, c’est-à-dire que des modifications chimiques présentes sur le gène influencent son expression. Ma première publication scientifique en 2014 a porté sur la régulation d’origine génétique que j’ai étudiée au cours de mon post-doctorat dans l’équipe de Ben Lehner, au Centre de régulation génomique à Barcelone, en Espagne. Nous avons caractérisé à quels moments du développement du nématode Caenorhabditis elegans telle ou telle variation de l’ADN, située plus ou moins loin de ses gènes cibles, influence positivement ou négativement l’expression de ces derniers.Les jeunes vers moins bons nourriciersPar la suite, nous nous sommes intéressés aux origines de la variabilité non génétique de ce petit ver d’un millimètre de long et transparent, souvent utilisé en laboratoire. Caenorhabditis elegans est hermaphrodite. Donc la descendance de chaque nématode est composée de clones de celui-ci : ils ont tous le même génome. Plongés dans un même environnement, il ne devrait pas y avoir de différence entre eux. Et pourtant, certains sont plus longs, d’autres plus résistants, d’autres encore se reproduisent moins bien. Nous avons démontré que ces différences sont liées pour partie à l’âge de la « mère ». Par rapport aux descendants des mères les plus âgées (adultes depuis deux et trois jours), ceux issus des jeunes mères (adultes depuis seulement un jour) sont plus petits et moins résistants au jeûne à la naissance. Puis, ils se développent plus lentement et sont moins fertiles une fois adultes. La raison : les jeunes mères synthétisent moins de nourriture – la vitellogénine, une protéine d’origine « graisseuse » – et donc en donnent moins à leurs œufs que les mères plus âgées, chez lesquelles l’expression des gènes à l’origine de la vitellogénine est supérieure.Il s’avère qu’au cours de cette étude, nous avons observé par hasard un autre phénomène. En transférant des vers adultes dans de nouvelles boîtes de culture, j’ai constaté que leur descendance devenait fertile plus rapidement que celle issue des parents restés dans une boîte déjà utilisée.Avis de surpopulationDepuis, avec mon équipe à Lyon et en collaboration avec celle de Barcelone, nous avons montré que contrairement aux nouvelles boîtes, celles déjà utilisées contenaient beaucoup de phéromones, des substances chimiques synthétisées par les nématodes. Ce taux élevé est donc un signal de « surpopulation ». Or, cette information est transmise aux descendants, qui retardent leur maturité en matière de fécondité. Autrement dit, si les parents ont détecté qu’il y a trop de vers autour d’eux, ils indiquent à leurs œufs : « Il y a trop de monde, attendez pour vous reproduire ! » Un message parental respecté même si on déplace les œufs dans une boîte vide. Les parents perçoivent l’excès de phéromones grâce à des neurones sensoriels ; en revanche, nous cherchons maintenant à identifier les signaux qu’ils envoient à leur descendance, et les autres conséquences que cela peut avoir.Déterminer l’âge physiologique de chaque individuEnfin, plus largement, mon équipe étudie les changements d’expression de tous les gènes au cours du développement, ce qui implique d’intégrer un grand nombre de données. Pour traiter ces big data, nous avons développé une méthode informatique qui permet d’estimer l’âge physiologique, correspondant au vieillissement biologique de chaque individu. On peut ainsi le comparer à l’âge chronologique, qui lui correspond au temps écoulé depuis la naissance. On peut aussi évaluer, à un âge physiologique donné, ce qui change en fonction par exemple de l’environnement, ou bien étudier l’influence de ce dernier sur la vitesse du vieillissement. Et même si nous l’avons mise au point avec le nématode, cette méthode s’applique à tous les animaux, y compris les humains. Ainsi, on peut voir que certains sont plus âgés physiologiquement que chronologiquement, ou inversement, et associer cette information au profil génétique, à des données de l’environnement ou autres. »Mirko Francesconi est chercheur Inserm, responsable de l’équipe Régulation génomique au Laboratoire de biologie et modélisation de la cellule (unité 1293 Inserm/CNRS/Université Claude-Bernard – Lyon 1/ENS de Lyon) à Lyon.Propos recueillis par F. D. M.À lire aussi Santé respiratoire de l’enfant : la piste d’un mécanisme épigénétique précoceActualité, Science Transmission du SOPK de mère en fille : l’épigénétique en causeActualité, Science ÉpigénétiqueChacune de nos cellules contient l’ensemble de notre patrimoine génétique : 46 chromosomes hérités de…