Santé respiratoire de l’enfant : la piste d’un mécanisme épigénétique précoce

Une étude menée auprès de 668 couples mère-enfant montre que la pression artérielle maternelle au cours de la grossesse est associée au niveau d’expression de gènes placentaires impliqués dans le développement du système respiratoire de l’enfant à naître. Ces résultats renforcent les connaissances sur le rôle des mécanismes épigénétiques dans l’origine développementale des maladies.

Les données relatives à l’influence de facteurs environnementaux sur le développement précoce des enfants s’accumulent. Les études de populations suggèrent par exemple que la pollution de l’air à laquelle les femmes enceintes peuvent être exposées est associée à une moins bonne santé respiratoire de leur enfant après sa naissance. Ces anomalies pourraient notamment être médiées par une élévation de la pression artérielle maternelle et par des dysfonctionnements du placenta, un organe crucial en charge des échanges nutritifs, gazeux et hormonaux entre la mère et l’enfant. Les mécanismes sous-jacents restent à décrire plus précisément afin d’en prévenir les conséquences.

À l’Institut pour l’avancée des biosciences de Grenoble, l’équipe Épidémiologie environnementale appliquée au développement et à la santé respiratoire (EDES) travaille justement à l’identification des facteurs de risque environnementaux évitables, associés à l’altération de la croissance, du développement neurologique et de la santé respiratoire des enfants. Les chercheuses Lucile Broséus et Johanna Lepeule se sont penchées sur l’épigénétique, c’est-à-dire les modifications chimiques de l’ADN qui modulent l’expression des gènes. « De plus en plus de travaux suggèrent que les modifications épigénétiques qui surviennent au niveau des cellules du placenta sont un reflet des expositions environnementales au cours de la grossesse, du fonctionnement du placenta, et du déroulement de la grossesse, explique Johanna Lepeule. Pour étudier ces modifications, on mesure le plus souvent le niveau de méthylation de l’ADN, un des mécanismes épigénétiques les mieux connus. »

Pression artérielle maternelle et méthylation de l’ADN placentaire

Après avoir montré que l’exposition des femmes enceintes à la pollution de l’air est associée à des changements de la méthylation de gènes dans les cellules du placenta – notamment au niveau de gènes connus pour favoriser l’hypoxie (manque d’oxygène) ou la pré-éclampsie (maladie hypertensive liée à un dysfonctionnement placentaire) –, les chercheuses ont voulu apprécier les modifications épigénétiques placentaires associées à la pression artérielle de la mère.

Ce travail a été conduit auprès de 668 couples mère-enfant inclus dans la cohorte française EDEN. Au cours de cette étude, la pression artérielle des futures mères a été fréquemment mesurée et enregistrée. Par ailleurs, un échantillon de tissu placentaire a été prélevé au moment de leur accouchement et conservé. Cela a permis aux chercheuses de conduire deux types d’analyse : « Nous avons d’une part montré que la pression artérielle maternelle est associée aux niveaux de méthylation dans 64 régions du génome, parmi lesquelles un nombre important sont connues pour être impliquées dans le développement respiratoire de l’enfant. D’autre part, il est apparu que cette association est en partie liée à des modifications de la composition cellulaire du placenta. Or, cette composition avait jusque-là été peu considérée dans ce type d’étude. »

Santé respiratoire et neurodéveloppement

Ces marques épigénétiques pourraient avoir un effet à long terme. Elles pourraient en partie expliquer les associations entre l’exposition à la pollution de l’air (ou à d’autres facteurs environnementaux) pendant la grossesse et la santé respiratoire ou neurodéveloppementale de l’enfant après sa naissance. Elles consolident la théorie DOHaD (Developpemental Origins of Health and Disease), qui suggère que la santé et l’apparition de maladies au cours de la vie reposent sur des mécanismes précoces qui surviennent dès la période in utero. Aussi, les chercheuses veulent maintenant vérifier s’il est possible de relier directement leurs observations avec la santé respiratoire de l’enfant. « Nous souhaitons nous pencher sur l’impact de ces modifications placentaires sur le neurodéveloppement, décrit Johanna Lepeule. Pour cela, nous allons continuer à travailler à partir de données de la cohorte EDEN, mais aussi à partir de celles recueillies dans deux autres cohortes françaises : PELAGIE et SEPAGES. En couplant ces données, nous devrions obtenir des résultats plus robustes. » Une fois que les liens et mécanismes entre exposition précoce et troubles de santé ultérieurs seront décrits, il sera plus facile de les prévenir. « À long terme, pourquoi ne pas imaginer des médicaments qui seraient développés pour corriger ces niveaux de méthylation ? », questionne la chercheuse.


Lucile Broséus et Johanna Lepeule sont respectivement post-doctorante et chargée de recherche dans l’équipe Épidémiologie environnementale appliquée au développement et à la santé respiratoire, à l’Institut pour l’avancée des biosciences de Grenoble (unité 1209 Inserm/CNRS/Université Grenoble Alpes).


Source : L Broséus et coll. Maternal blood pressure associates with placental DNA methylation both directly and through alterations in cell-type composition. BMC Medicine, édition du 20 octobre 2022. DOI : 10.1186/s12916-022–02610‑y

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L'ADN est la molécule de l'hérédité qui forme les chromosomes et qui contient l'ensemble des gènes. Chaque gène est un bout d'ADN qui contient, sous forme codée, toute l'information relative à la vie d'un organisme vivant.