Les tanycytes, des intermédiaires indispensables au contrôle de la glycémie par le cerveau

La façon dont le système nerveux central interagit avec le reste de l’organisme pour contrôler le taux de glucose dans le sang n’est pas entièrement décryptée. Le rôle des tanycytes, des cellules situées à la jonction entre le cerveau et sa périphérie, vient cependant d’être précisé. L’occasion d’identifier de potentielles voies pharmacologiques.

Les neurones à pro-opiomélanocortine (POMC) sont impliqués dans la régulation centrale du métabolisme des glucides. En cas de glycémie trop élevée ou trop faible, ces neurones localisés dans le cerveau sonnent l’alerte et permettent de déclencher la transmission de messages aux organes concernés, pour rétablir l’équilibre. Le problème, c’est que le cerveau baigne dans un liquide protecteur, le liquide céphalorachidien, séparé du reste de l’organisme par une barrière très étanche : la barrière hémato-encéphalique. Cette dernière filtre le sang en provenance de la périphérie pour ne laisser passer que ce qui est nécessaire (des nutriments) et protéger le cerveau des substances toxiques et des agents infectieux. Dès lors, comment les messages périphériques tels que les signaux nutritionnels ou hormonaux parviennent-ils jusqu’aux neurones à POMC ? Ces derniers sont-ils de véritables gluco-senseurs informés en temps réel des variations de la glycémie ou sont-ils alertés par des intermédiaires ?

Vincent Prévot*, qui explore depuis plus de 20 ans les interactions entre le système nerveux central et sa périphérie, souhaitait répondre à ces questions. Avec Markus Schwaninger et Rubén Nogueiras, ses confrères allemand et espagnol du programme de recherche WATCH (Well-Aging and the Tanycytic Control of Health, ERC Synergy), il vient de confirmer que les neurones à POMC ne sont pas directement sensibles aux variations du taux de glucose dans le sang ou le liquide céphalorachidien, mais répondent à celles du lactate, un métabolite du glucose. Cette substance est quant à elle produite par d’autres cellules nerveuses, les tanycytes.

Le mécanisme s’avère fascinant. Comme l’explique Vincent Prévot, « chez l’humain comme chez la souris, le cerveau est totalement hermétique au reste de l’organisme, sauf en 5 points particuliers à travers lesquels il peut recevoir des informations de la périphérie ». Parmi eux, on trouve « l’éminence médiane », une zone située dans l’hypothalamus, structure connue pour jouer un rôle important dans la régulation de différents mécanismes physiologiques. À son niveau, la fonction barrière est assurée par les tanycytes : « Ce sont des cellules très particulières, qui assurent certains échanges entre le système sanguin et le liquide céphalorachidien. Leur rôle déterminant dans la transmission des messages de la leptine ou de la ghréline, deux hormones importantes pour le métabolisme glucidique, est d’ailleurs déjà décrit. » Les récents travaux du chercheur, publiés dans The Journal of Clinical Investigation, mettent donc en évidence un rôle supplémentaire assuré par ces tanycytes au niveau central : informer les neurones à POMC du statut glycémique de l’organisme, grâce à la modulation du taux de lactate qu’ils produisent à partir du glucose présent dans le liquide céphalorachidien.

Vers de nouvelles approches thérapeutiques pour le diabète de type 2

Ces travaux montrent en outre que les tanycytes communiquent entre eux par le biais de canaux, nommés « connexines », à travers lesquels ils se transmettent de proche en proche un message d’alerte – en l’occurrence, une variation de glycémie qui impose une réponse adaptée de l’organisme.

Le décryptage de ces mécanismes est important à double titre, à la fois pour la recherche fondamentale et pour la recherche clinique. Sur le plan fondamental, « le fait que le liquide céphalorachidien reflète fidèlement la concentration sanguine en glucose permet de comprendre pourquoi des mutations du transporteur qui permet au glucose de passer dans ce milieu conduisent à des maladies particulièrement graves comme le syndromedu déficit en transporteur de glucose de type 1 ». Sur le plan des applications, « le rôle joué localement par le lactate pourrait constituer une nouvelle voie pour moduler pharmacologiquement l’équilibre glycémique chez les diabétiques de type 2 ». Par exemple en ciblant les différents transporteurs identifiés dans ce travail pour leur capacité à faire entrer ou sortir le lactate des tanycytes, voire les connexines qui leur permettent de fonctionner en réseau et, ainsi, de parler d’une seule voix aux neurones avec lesquels ils dialoguent. Affaire à suivre !

Notes :
* unité 1172 Inserm/Université de Lille/CHU Lille, équipe Développement et plasticité du cerveau neuroendocrine, Lille Neuroscience & Cognition, Lille

Source : Lhomme T et coll. Tanycytic networks mediate energy balance by feeding lactate to glucose-insensitive POMC neurons. The Journal of Clinical Investigation du 29 juillet 2021. doi : 10.1172/JCI140521.

À lire aussi