Et si bien vieillir dépendait de la porte d’entrée des hormones dans le cerveau ?

Vincent Prévot vient d’obtenir un financement du Conseil européen de la recherche d’un montant de 9,8 millions d’euros (ERC Synergy Grant) : il va lui permettre de mener à bien le projet WATCH pour Well-Aging and the Tanycytic Control of Health (ou Vieillissement réussi et contrôle tanycytique de la santé). Le chercheur se donne six ans pour vérifier si un défaut de passage des hormones circulant dans le sang vers le cerveau est impliqué dans le déclin cognitif. L’attribution de ce financement couronne une carrière en neuroendocrinologie déjà dense.

Vincent Prévot

Vincent Prévot a des compétences tentaculaires. Il excelle non seulement en neurosciences, mais aussi en endocrinologie. Il s’est en effet lancé dès sa thèse dans un parcours sans faute à la croisée de ces deux domaines qui en forment un troisième : la neuroendocrinologie. Derrière ce terme se cachent les interactions nombreuses et complexes entre le métabolisme périphérique et le fonctionnement cérébral : Le cerveau contrôle la libération d’hormones qui agissent sur les organes et fonctions périphériques. Et à l’inverse, certaines molécules du sang alertent et informent le cerveau sur l’état physiologique de l’organisme. Le tout est d’arriver à savoir qui sont les acteurs, comment ils fonctionnent, et dans quel but. 

Pour Vincent Prévot, il s’agit d’une vocation qui remonte pratiquement à l’enfance : « Passionné de reptiles, je les collectionnais et j’ai réalisé de nombreux stages au Centre d’étude biologique de Chizé (CNRS) qui les étudie dans la nature. L’une des difficultés était de les faire se reproduire en captivité. Pourtant, j’ai connu plusieurs succès chez moi. Cela m’a fasciné : comment le cerveau contrôle ces fonctions, permettant ou non qu’il y ait reproduction ? ».

Une barrière modulable

Armé de curiosité, Vincent Prévot achève une maîtrise à Orsay, puis part à Lille préparer une thèse dans le laboratoire de Neuroendocrinologie et de physiopathologie neuronale dirigé par Jean-Claude Beauvillain (unité Inserm 422), un labo de pointe sur les relations cerveau/reproduction. Là, il travaille sur l’hypothalamus, une région du cerveau impliquée dans cette fonction. Il s’intéresse en particulier à une structure localisée à la base de l’hypothalamus, l’éminence médiane. « Elle est équipée de cellules très particulières appelées tanycytes. Leur corps cellulaire, qui contient le noyau, baigne dans le liquide céphalorachidien et des extensions très longues se projettent jusqu’à la surface externe du cerveau. Ces cellules interagissent physiquement avec des neurones sécréteurs de neurohormones qui pilotent l’activité de la glande hypophysaire. Or, celle-ci est impliquée dans la régulation de fonctions essentielles : la croissance, la reproduction, le stress... » Mais surtout, et c’est Vincent Prévot qui le montrera, c’est par l’intermédiaire de ces tanycytes que certaines hormones du métabolisme transitent vers le cerveau. Ces cellules sont collées les unes aux autres par des jonctions serrées qui forment une barrière modulable. Partout ailleurs dans le cerveau, la barrière hémato-encéphalique bloque ce passage. C’est le seul endroit qui ne soit pas hermétique. 

Pendant sa thèse, Vincent Prévot montre, chez le rongeur, que ces tanycytes présentent une plasticité morphologique qui contrôle le relargage de la neurohormone de la reproduction (GnRH) au cours du cycle ovarien. Il part ensuite aux Etats-Unis, à l’Oregon Health Science University, pour rejoindre le laboratoire de Sergio R. Ojeda, l’expert de la communication entre les cellules gliales (dont font partie les tanycytes) et les neurones à GnRH. Pendant ce séjour postdoctoral de trois ans, il décrit des voies de communication des tanycytes et leur fonctionnement. 

Quand il revient en France en 2002, il intègre l’Inserm en tant que chargé de recherche et crée un groupe au sein de l’unité dans laquelle il avait préparé sa thèse, à Lille. Quatre ans après, il prend la direction d’un laboratoire (unité 816), puis d’une équipe au sein du Centre de recherche Jean-Pierre Aubert (unité 1172 Inserm/Université de Lille/CHU de Lille, équipe Développement et plasticité du cerveau neuroendocrine), bien décidé à approfondir ses connaissances sur l’éminence médiane. 

De la régulation des fonctions de la reproduction à celle de l’appétit

Figure artistique montrant le marquage des protéines de jonctions serrées (fluorescence verte) autour des corps cellulaires des tanycytes (fluorescence blanche) bordant le troisième ventricule, ainsi que des capillaires de la barrière hémato-encéphalique et des protéines de capillaires « fenestrés » c'est-à-dire perméables (fluorescence rouge).
Figure montrant le marquage des protéines de jonctions serrées (fluorescence verte) autour des corps cellulaires des tanycytes (fluorescence blanche) bordant le troisième ventricule, ainsi que des capillaires de la barrière hémato-encéphalique et des protéines de capillaires « fenestrés » c’est-à-dire perméables (fluorescence rouge). Crédits : Inserm/V. Prévot/B. Dehouck/F. Langlet

Il multiplie alors les travaux sur les relations entre cerveau et hormones périphériques. Il travaille sur la mise en place du circuit neuronal et glial contrôlant les fonctions de reproduction au cours du développement embryonnaire et postnatal, et commence à s’intéresser de près à la régulation de l’appétit. En 2013, il montre avec son équipe, et notamment avec Bénédicte Dehouck, qu’une hypoglycémie favorise l’ouverture des vaisseaux sous la commande des tanycytes, pour informer le cerveau de cet état. L’année suivante, il prouve que la leptine, hormone de satiété, est transportée du sang vers le cerveau par les tanycytes, mettant réellement en évidence leur rôle de « gardes-barrières » du cerveau. Or, cette fonction de transport est altérée chez les sujets obèses, expliquant en partie la perte de contrôle d’appétit.

De plus, une étude conduite en collaboration avec Sébastien Bouret qui dirige l’antenne américaine du laboratoire international associé Neurobese, à Los Angeles, montre que l’obésité infantile altère les fonctions de transport assurées par les tanycytes pour une autre hormone métabolique, la ghréline. Comme la leptine, elle est impliquée dans la programmation postnatale du cerveau. De l’altération de son transport résulte une altération précoce de la mise en place des circuits de neurones impliqués dans le contrôle de la prise alimentaire, prédisposant ainsi aux maladies métaboliques. « C’était la preuve que le métabolisme peut formater les circuits neuronaux et avoir des conséquences à long terme, et que les tanycytes pouvaient jouer un rôle dans ce processus », clarifie Vincent Prévot. 

Ces derniers travaux sont un déclic pour le chercheur. L’obésité est un facteur de risque de démence, la leptine peut moduler le développement cérébral… Et si le passage d’hormones périphériques ou au contraire leur blocage au niveau des tanycytes contribuait au bon fonctionnement cérébral ou, à l’inverse, au déclin cognitif à l’âge adulte ?

Le projet WATCH

Il monte alors un projet pour élucider cette question : le projet WATCH pour Well-Aging and the Tanycytic Control of Health (Vieillissement réussi et contrôle tanycytique de la santé). Quelques travaux préliminaires suggèrent que la réponse est positive, mais il va falloir le confirmer chez le rongeur et surtout chez l’humain. Pour cela, le chercheur s’entoure de deux autres équipes, l’une dirigée par Markus Schwaninger, directeur de l’Institut de pharmacologie et toxiologie clinique à l’université de Lübeck en Allemagne, et l’autre, espagnole, dirigée par Rubén Nogueiras, spécialiste du métabolisme périphérique à l’Université de St Jacques de Compostelle. Les compétences de ce trio et l’importance des enjeux du vieillissement en bonne santé sont telles que Vincent Prévot a décroché un financement européen ERC Synergy d’un montant de 9,8 millions d’euros (4,5 millions pour son équipe, 2,8 pour celle de Markus Schwaninger et 2,3 millions pour celle de Rubén Nogueiras). 

Pour mener à bien leur projet, les chercheurs vont d’abord utiliser une multitude de modèles de souris génétiquement modifiées pour étudier l’effet de l’altération du transport des hormones périphériques dans le cerveau par les tanycytes. Ils analyseront ensuite la coordination de ce transport avec la sécrétion des neurohormones de l’hypothalamus et les conséquences sur le vieillissement des animaux. 

Dans un second temps, ils travailleront avec des patients obèses. Les volontaires se soumettront à diverses analyses biochimiques, cognitives et d’imagerie cérébrale. Les chercheurs mesureront notamment le rapport entre le taux de leptine dans le sang et dans le liquide céphalo-rachidien, et la composition de ce dernier. Les volontaires recevront ensuite, pendant trois mois, une molécule sensée améliorer le transport tanycytaire. « Nous regarderons si le ratio de leptine cérébrale/périphérique a été modifié, si l’activité hypothalamique a évolué, et si les scores aux tests cognitifs, de dépression et de motivation ont changé », explique le chercheur. « Si notre hypothèse est bonne, cela signifiera que l’accès des hormones périphériques au cerveau est un facteur de bonne santé pour ce dernier alors que la perte de cet accès entraine une détérioration de ses fonctions ». Cela ouvrirait évidemment de nouvelles pistes thérapeutiques pour lutter contre le déclin cognitif et permettre de vieillir en bonne santé.