Les cellules rénales pourraient se régénérer

L’insuffisance rénale chronique est une maladie liée à la disparition de cellules clés pour le bon fonctionnement du rein : les podocytes. Son évolution est inéluctable et, à ce jour, on ne peut que la ralentir. Mais une nouvelle étude pourrait changer la donne : elle suggère en effet que les podocytes pourraient se renouveler, ouvrant la voie – si ce résultat se confirme – au développement d’un traitement régénératif.

Le rein est l’organe qui filtre les déchets métaboliques présents dans le sang pour les éliminer dans les urines. En vieillissant, et sous l’influence néfaste de maladies comme le diabète ou l’hypertension artérielle, cet organe s’affaiblit au point de ne plus remplir parfaitement ses fonctions. On parle d’insuffisance rénale chronique, une maladie qui concerne près de 6 millions de Français. Lorsqu’on se penche plus précisément sur l’origine de cette maladie, une famille de cellules retient l’attention : les podocytes. Ce sont eux qui régissent la filtration rénale et qui, la plupart du temps, sont détruits dans l’insuffisance rénale. « On ne connaît pas de mécanisme de régénération cellulaire dans le rein, comme cela existe dans le foie, explique Marina Shkreli*. Mais les travaux que nous avons conduits suggèrent qu’il en existe bien un, modulé par une enzyme nommée “télomérase”. Si ce mécanisme ne semble pas assez efficace pour contrecarrer l’évolution d’une insuffisance rénale, nous posons l’hypothèse que le stimuler pharmacologiquement permettrait d’aider le rein à retrouver ses fonctions physiologiques. »

Une fonction annexe de la télomérase

La télomérase est une enzyme désormais bien connue dans les processus liés au vieillissement : elle assure la stabilité des extrémités des chromosomes, sans lesquelles les cellules meurent. Elle joue aussi un rôle dans les processus de cancérisation puisqu’elle favorise l’évolution tumorale lorsqu’elle est surexprimée. Mais selon certains chercheurs, la télomérase aurait des fonctions annexes, dites « non canoniques ». Marina Shkreli semble donc en avoir décrit une nouvelle : la modulation de la régénération de certaines cellules rénales.

Lors de précédents travaux, la chercheuse a constaté qu’une surexpression transitoire de la télomérase stimulait le renouvellement des podocytes. Elle a poursuivi ses recherches afin de mieux comprendre ce mécanisme de régénération et le rôle qu’y joue la télomérase. Pour cela, elle a utilisé le modèle expérimental de la souris. Dans un premier temps, elle a induit des lésions rénales à l’aide d’une molécule toxique pour les podocytes. Elle a ensuite modulé le niveau d’expression de la télomérase dans l’organisme des animaux. « L’enzyme, et plus particulièrement l’une de ces deux sous-unités, apparaît nécessaire pour le renouvellement des podocytes en conditions physiologiques suite à une blessure : son absence entraîne en effet un défaut de régénération des podocytes, explique la chercheuse. Grâce à des techniques de traçage in vivo, nous avons en outre observé que les podocytes régénérés provenaient de l’activation, puis de la différenciation de cellules progénitrices présentes dans le rein. » L’existence de progéniteurs des podocytes est un sujet qui reste controversé dans la littérature : la présence de telles cellules, capables de se multiplier à l’identique et de rejoindre ensuite leur site d’action (une structure nommée « glomérule rénal »), n’avait jamais été décrite auparavant.

« Notre objectif est désormais de déterminer l’origine de ces cellules progénitrices, poursuit la scientifique. Soit il existe un pool de cellules souches rénales qu’il reste à identifier et à localiser, soit certaines cellules rénales différenciées sont capables de se réinitialiser à la demande. Ces deux mécanismes coexistent dans certains organes, comme l’intestin et le foie. On peut penser qu’ils sont conservés dans le rein. »

Vers une médecine régénérative

Parce que ces résultats suggèrent que le rein adulte possède des capacités de régénération intrinsèques, modulées par la télomérase, des perspectives intéressantes se dessinent pour lutter contre l’insuffisance rénale chronique. La chercheuse souhaite aussi comprendre pourquoi ce mécanisme de renouvellement n’est pas suffisant pour compenser la perte de podocytes en cause dans l’insuffisance rénale. « Mes prochains travaux visent à explorer si le problème se situe au niveau des cellules progénitrices », une connaissance qui pourrait aider à développer des approches de médecine régénérative. Certaines voies cellulaires, habituellement associées à des stades embryonnaires du développement (Hedgehog, Wnt, Notch), ont d’ores et déjà été identifiées par la chercheuse. Si l’exploration de leur rôle s’avérait concluante, et sachant que des médicaments les ciblant ont déjà été développés, de nouvelles approches thérapeutiques de l’insuffisance rénale pourraient donc émerger, à moyen terme.

Note :
*unité 1081 Inserm/CNRS/Université Côte d’Azur, Institut de recherche sur le cancer et le vieillissement (Ircan), Nice

Source : M. Montandon et coll. Telomerase is required for glomerular renewal in kidneys of adult mice. NPJ Regen Med du 11 février 2022. DOI : 10.1038/s41536-022–00212‑z

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