Le virus de l’hépatite C entraîne des cancers en déréglant l’horloge biologique du foie

Comme l’ensemble de nos organes, l’activité de notre foie est soumise au rythme circadien imposé par notre horloge interne. À l’université de Strasbourg, l’équipe Inserm de Thomas Baumert vient de montrer que le virus de l’hépatite C (VHC) perturbe ce rythme en modifiant l’expression cyclique de centaines de gènes hépatiques, dont certains sont impliqués dans l’apparition de cancer. Une découverte qui ouvre de nouvelles perspectives pour la prévention du cancer du foie chez les personnes infectées par le VHC.

Le fonctionnement de notre organisme est régulé de façon cyclique sur une période d’environ 24 heures. Ce rythme biologique, aussi appelé « rythme circadien », dépend d’une horloge interne centrale, logée dans notre cerveau, et d’horloges périphériques au niveau de nos organes. Il régit des fonctions aussi diverses que l’immunité, le métabolisme ou encore le sommeil. Dès lors, sa perturbation est associée à de nombreuses pathologies, notamment des maladies métaboliques ou encore des cancers. Le foie fait partie des organes hautement circadiens : il présente une activité cyclique reposant sur l’expression minutée des gènes des cellules hépatiques au cours de 24 heures, dont le dérèglement a été associé à des maladies hépatiques chroniques de type fibrose ou encore cirrhose.

À l’Institut de recherche en médecine translationnelle et maladies hépatiques (ITM) de Strasbourg, l’équipe Inserm dirigée par Thomas Baumert, en collaboration avec d’autres laboratoires, a évalué l’impact de l’infection par le virus de l’hépatite C (VHC) sur le fonctionnement circadien du foie et ses conséquences cliniques éventuelles. L’hépatite C chronique est en effet une cause majeure de cirrhoses et de cancers du foie. Et malgré l’existence d’un traitement antiviral efficace pour guérir l’infection, le risque de développer un cancer reste important chez les personnes atteintes d’une maladie hépatique avancée. Le cancer du foie lié à l’hépatite C chronique représente 20 % de tous les cancers du foie et provoque plus de 140 000 décès dans le monde chaque année.

Plus d’un millier de gènes perturbés

Pour effectuer ce travail, les chercheurs ont développé un modèle de souris porteuses de cellules hépatiques humaines. « Il s’agit d’un modèle animal unique, qui nous a permis de décrire le fonctionnement circadien du foie humain et d’évaluer l’impact de l’infection au VHC sur celui-ci », précise Thomas Baumert. En analysant l’expression du génome dans les cellules hépatiques au cours du temps, les chercheurs ont identifié plus de 1 000 gènes dont l’expression cyclique en situation normale est perturbée par le VHC. « Au total, le virus altère l’expression d’environ 22 % des gènes soumis au rythme circadien, soit en modifiant le moment où ils sont exprimés, soit en augmentant ou en réduisant leur niveau d’expression », explique le chercheur. Parmi eux, plusieurs sont des activateurs de processus moléculaires qui peuvent conduire à des altérations métaboliques, à la fibrose et au cancer. 

Les chercheurs ont reproduit ces analyses après administration d’un antiviral qui permet l’éradication du VHC chez des animaux atteints d’une infection chronique. Il est alors apparu que les perturbations initialement observées chez les animaux ne sont que partiellement inversées après l’élimination du virus. Cela indique qu’il existe un risque persistant et élevé de développer un cancer du foie après une hépatite C, même après sa guérison. « C’est d’ailleurs ce que nous observons chez les patients qui ont une fibrose avancée due à une infection par le VHC », rappelle Thomas Baumert. Ces résultats précliniques ont en outre pu être confirmés chez l’humain, grâce à des bases de données d’expressions géniques issues de cohortes de patients infectés par le VHC : les chercheurs ont retrouvé des perturbations de l’expression de gènes similaires. 

« Ces résultats mettent en évidence le rôle largement sous-estimé du biorythme dans la progression de la maladie hépatique et du cancer en cas d’infection au VHC. Ils révèlent des mécanismes par lesquels ce virus provoque ces complications, ouvrant la voie à de nouvelles stratégies préventives ou thérapeutiques », clarifie Thomas Baumert. Dans cet esprit, les chercheurs ont mis en évidence, à partir des données de patients, une signature d’expression génique associée au risque de développer un cancer du foie en cas d’infection au VHC. Une première étape vers une prise en charge plus personnalisée des patients.

Thomas Baumert, Prix Recherche Inserm 2023, est directeur de l’Institut de recherche en médecine translationnelle et maladies hépatiques (ITM) à Strasbourg (unité 1110 Inserm/Université de Strasbourg).


Source : Mukherji et coll. An atlas of the human liver diurnal transcriptome and its perturbation by hepatitis C virus infection. Nature Communications du 29 auôt 2024 ; Doi : 10.1038/s41467-024–51698‑8 

Autrice : A. R.

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