Comment le pancréas s’adapte aux besoins en insuline 

Produite par le pancréas, l’insuline sert de signal aux cellules capables de capter les excédents de glucose dans le sang. Mais parfois, ces cellules répondent moins bien au signal et la glycémie s’élève. Le pancréas peut alors tenter de remédier au problème en augmentant sa production d’insuline. Une équipe Inserm a finement décrit ce mécanisme et identifié trois molécules qui induisent cette adaptation. Un travail qui ouvre une nouvelle piste thérapeutique à destination des personnes diabétiques.

Le diabète de type 2 n’est pas une maladie qui se déclenche subitement : l’hyperglycémie chronique qui la caractérise s’installe petit à petit quand les cellules des muscles, du tissu adipeux ou encore du foie deviennent de moins en moins sensibles à l’insuline. Cette hormone est produite lorsque la quantité de glucose présente dans le sang s’élève. Elle donne aux cellules le signal qu’il est temps de capter le sucre excédentaire. Mais pour différentes raisons (les principales étant le surpoids et la sédentarité), les cellules chargées de capter et de stocker le sucre peuvent perdre leur sensibilité à ce signal : la glycémie n’est alors plus régulée convenablement. On parle de « résistance à l’insuline » ou d’« insulinorésistance ».

Pour faire face à ce phénomène, l’organisme peut augmenter sa production d’insuline, assurée par des cellules spécialisées du pancréas, les cellules « bêta ». Il a déjà été montré que le pancréas sait s’adapter à ce challenge : l’insulinorésistance est en effet associée à une augmentation du nombre de cellules bêta-pancréatiques et de la production d’insuline. Au Centre de recherche Saint-Antoine à Paris, l’équipe de Bertrand Blondeau étudie ce mécanisme et les facteurs qui le régulent. Apprendre à le contrôler pourrait en effet aider à lutter contre le diabète.

Trois modèles de travail

Dans ce but, l’équipe utilise différentes lignées de souris qui modélisent l’insulinorésistance : dans l’une d’elles, le trouble est d’origine génétique ; dans les deux autres, il a été induit pharmacologiquement. Les chercheurs ont en outre développé une nouvelle technique d’observation du pancréas par microscopie : les cellules bêta sont marquées par fluorescence et l’organe est rendu transparent. Le pancréas peut dès lors être examiné intact, à partir de reconstitution d’images en 3D. « Jusque-là, les observations étaient biaisées car partielles et réalisées en deux dimensions », précise Bertrand Blondeau. Forts de cette innovation, les chercheurs ont confirmé que le nombre d’îlots de cellules bêta augmentait dans chacun des modèles d’insulinorésistance étudiés, tout comme leurs capacités à produire de l’insuline. « Nous avons en outre observé que l’expression de gènes impliqués dans l’apparition de nouvelles cellules bêta s’élève, et que ces cellules se régénèrent en cas de destruction. L’utilisation de trois modèles différents prouve que ce mécanisme d’adaptation est commun à différentes formes d’insulinorésistance. Par ailleurs, ce mécanisme est conservé quelle que soit l’intensité de l’insulinorésistance, de légère à sévère, et quel que soit l’âge de l’animal », explique-t-il.

Au moins trois molécules impliquées

Dans un second temps, l’équipe a recherché les signaux qui induisent ces changements au niveau du pancréas. Les données déjà disponibles indiquaient qu’il s’agissait de facteurs présents dans la circulation sanguine, vraisemblablement produits par des cellules des muscles squelettiques. Grosses consommatrices de glucose, ces dernières sont en effet une cible majeure de l’insuline. Les chercheurs ont donc cultivé des cellules musculaires en présence de glucocorticoïdes, des substances qui induisent l’insulinorésistance, et récupéré le milieu de culture. Parmi les molécules présentes, trois se sont avérées capables de stimuler la formation de nouvelles cellules bêta in vitro : la myostatine, l’amphiréguline et l’épiréguline.

Ce travail indique donc que, lorsque les cellules musculaires perdent leur sensibilité à l’insuline, elles envoient des messagers chimiques au pancréas. Ces signaux conduisent à l’augmentation de nombres de cellules pancréatiques spécialisées dans la synthèse d’insuline et, ainsi, à une augmentation de la quantité d’insuline produite. Mais alors, compte tenu de ces formidables capacités d’adaptation, comment expliquer l’existence du diabète ? « Notre hypothèse est que les signaux qui proviennent des cellules musculaires sont déficitaires, voire absents, chez les personnes diabétiques », rapporte le chercheur.

Nouvelle piste thérapeutique

Grâce à ces résultats, l’équipe a obtenu un financement pour poursuivre l’étude des trois molécules identifiées, in vivo chez l’animal et in vitro sur des cellules humaines. Des prélèvements sanguins réalisés chez des patients diabétiques permettront de doser ces molécules et de vérifier si leur taux est corrélé au diabète – auquel cas, ce dosage pourrait servir de biomarqueur. En parallèle, des cellules bêta humaines en culture seront utilisées pour décrire plus finement l’effet de ces trois molécules, et tester la piste thérapeutique de leur utilisation pour induire ce mécanisme d’adaptation qui permettrait d’améliorer le contrôle du diabète.


Bertrand Blondeau est enseignant-chercheur dans l’équipe Lipodystrophies, adaptations métaboliques et hormonales, et vieillissement au Centre de recherche Saint-Antoine (unité 938 Inserm/Sorbonne Université) à Paris.


Source : Liboz et coll. Beta-cell adaptation unveiled : The role of myokines in insulin-resistant mice. Cell Reports, 23 septembre 2025 ; doi : 10.1016/j.celrep.2025.116283

Autrice : A.R.

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