Cancer : une nouvelle piste pour lutter contre la formation des métastases

En s’attelant à décrypter les mécanismes moléculaires qui permettent aux cellules cancéreuses de traverser la paroi des vaisseaux sanguins, une équipe strasbourgeoise vient d’identifier une nouvelle piste pour empêcher la formation de métastases. Il est en effet apparu que ce phénomène dépend (notamment) de l’entrée de calcium dans les cellules qui tapissent la face interne de ces vaisseaux.

Nombre de cancers se compliquent par l’apparition de métastases, des tumeurs dites « secondaires » qui se développent à distance de la tumeur primaire. Des cellules cancéreuses peuvent en effet quitter cette dernière en empruntant les vaisseaux sanguins ou lymphatiques qui l’irriguent, puis en ressortir au niveau d’autres organes et coloniser ces nouveaux territoires. À Strasbourg, l’équipe de Jacky Goetz, directeur de recherche Inserm, étudie les détails de ce phénomène afin de découvrir les meilleurs moyens de le contrer. Ses derniers résultats identifient une piste thérapeutique potentielle, avec une cible moléculaire et des molécules capables de bloquer son activité. Dans le modèle expérimental du poisson-zèbre, cette approche diminue la capacité des cellules cancéreuses à s’organiser pour quitter la circulation sanguine pour atteindre de nouveaux organes.

Image obtenue par microscopie confocale © M. Peralta et coll 2025
Sur cette image obtenue par microscopie confocale, on observe des cellules tumorales (en magenta) disséminées dans les vaisseaux sanguins d’un embryon de poisson-zèbre. Le marquage des noyaux des cellules endothéliales (en cyan) permet de suivre chaque cellule endothéliale © M. Peralta et coll., 2025

Une route de sortie

Jacky Goetz et ses collaborateurs s’intéressent de longue date à la façon dont les cellules tumorales réussissent à s’extirper des vaisseaux sanguins. Ce n’est pas une chose aisée car elles doivent pour cela traverser l’endothélium, la couche de cellules qui tapissent la face interne des vaisseaux et veille à l’imperméabilité du système vasculaire en contrôlant les échanges entre le sang et les tissus environnants. Certaines cellules cancéreuses peuvent se déformer pour réussir à franchir cette paroi, mais de précédents travaux de l’équipe strasbourgeoise ont montré qu’elles sont entre outre capables d’embrigader des cellules endothéliales afin de se créer une route de sortie. Les cellules cancéreuses peuvent en effet conduire celles de l’endothélium à former des protrusions qui, tels de petits bras, vont les entourer jusqu’à les isoler entièrement de l’intérieur des vaisseaux, pour finalement les libérer dans les tissus adjacents.

Pour mieux comprendre comment l’endothélium se remodèle au contact des cellules tumorales, l’équipe a exploré les mécanismes moléculaires qui contrôlent la forme des cellules endothéliales et ce qu’il en advient en présence de cellules tumorales. Sous la supervision du chercheur Inserm Naël Osmani, les scientifiques se sont plus particulièrement penchés sur les modifications de l’agencement des molécules d’actine, l’un des principaux composants du squelette qui donne leur forme aux cellules. Lors d’expériences conduites chez des poissons-zèbres, ils ont observé que lorsque des cellules cancéreuses s’arrêtent dans la circulation sanguine, la paroi vasculaire s’active localement et le squelette d’actine des cellules endothéliales se remodèle. Ils ont ensuite noté que la sortie (ou « extravasation ») des cellules tumorales était fortement diminuée lorsqu’ils empêchaient la réorganisation de l’actine. Enfin, ils ont montré que contrairement aux cellules tumorales, des billes inertes ne sont pas en mesure d’induire le remodelage de l’endothélium. Ce dernier point souligne l’importance d’un dialogue chimio-biologique entre les cellules cancéreuses et endothéliales au cours de ce processus.

Images obtenues par microscopie confocale © M. Peralta et coll 2025
Sur cette série d’images obtenues par microscopie confocale, on observe la progression sur plusieurs heures de la déformation du squelette d’actine de cellules endothéliales (dont le noyau est marqué en cyan) autour de cellules cancéreuses (en magenta) © M. Peralta et coll., 2025

Cibler les canaux calciques

Toujours dans le modèle du poisson-zèbre, l’équipe a ensuite cherché à comprendre la séquence d’activation qui mène au remodelage endothélial. Elle s’est notamment intéressée aux échanges d’ion calcium (Ca2+), connu pour jouer un rôle important dans la signalisation cellulaire et notamment dans l’organisation du squelette des cellules. Et en effet, il est apparu que l’arrêt des cellules tumorales dans le système vasculaire conduit à une augmentation de l’entrée de Ca2+ dans les cellules endothéliales adjacentes. Les échanges de Ca2+ entre les cellules et leur environnement sont régulés par différents canaux présents dans la membrane cellulaire, qui agissent telles des portes d’entrée sélectives, tantôt ouvertes, tantôt fermées. En bloquant certains de ces canaux calciques avec une molécule déjà utilisée dans le traitement de l’hypertension artérielle ou en prévention des angines de poitrine, la nifédipine, les scientifiques ont obtenu une diminution de l’entrée des ions calciums dans les cellules endothéliales, en particulier dans celles en contact avec les cellules tumorales arrêtées. Cet effet s’est accompagné d’une réduction de la réorganisation de l’actine et de l’extravasion des cellules tumorales.

L’ensemble de ce travail indique donc que des cellules tumorales peuvent induire une entrée de calcium dans les cellules endothéliales, conduisant à la réorganisation de leur squelette. Il en résulte un remodelage de la paroi vasculaire qui permet aux cellules tumorales de quitter la circulation sanguine pour s’établir dans les tissus adjacents. La bonne nouvelle est que, au moins chez le poisson-zèbre, l’utilisation d’un inhibiteur des échanges calciques peut bloquer ce processus… et donc la formation ultérieure de métastases. Dès lors, une nouvelle piste thérapeutique à creuser se dessine.


Jacky Goetz est directeur de recherche Inserm, responsable de l’équipe Tumor biomechanics lab au sein de l’unité Immunologie et rhumatologie moléculaire (unité 1109 Inserm/Université de Strasbourg), à Strasbourg. Naël Osmani est chercheur Inserm dans son équipe.


Source : M. Peralta et coll. Endothelial calcium firing mediates extravasation of metastatic tumor cells., iScience (2025), doi : 10.1016/ j.isci.2024.111690

Autrice : E. B.

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