Alzheimer : scruter le sommeil paradoxal pour identifier les personnes à risque ?

Dans la maladie d’Alzheimer, des troubles du sommeil surviennent bien avant que le diagnostic n’ait été posé. Sont-ils causés par les toutes premières étapes de la maladie, ou sont-ils au contraire un facteur de risque, qui favorise la neurodégénérescence ? Pour explorer ces questions, des chercheurs du GIP Cyceron, à Caen, ont étudié les modifications du sommeil paradoxal, associé aux rêves de personnes âgées, ainsi que la présence de dépôts neurotoxiques dans leur cerveau.

La maladie d’Alzheimer est notamment due à l’accumulation de protéine amyloïde dans le cerveau. Si les troubles de la mémoire en sont le symptôme le plus fréquent et le plus connu, les personnes atteintes présentent aussi des troubles du sommeil qui débutent souvent précocement, bien avant l’apparition de la démence. Mais le lien entre ces altérations du sommeil et les dépôts neurotoxiques observés au niveau cérébral n’est pas clairement établi : existe-t-il une association entre les deux et, si oui, l’un pourrait-il être la conséquence de l’autre ? L’enjeu est important car si les troubles du sommeil favorisent le développement des dépôts de protéine amyloïde, ils constitueraient un facteur de risque de démence. Leur repérage pourrait permettre d’identifier les personnes à risque et leur proposer des approches préventives.

Afin d’explorer cette hypothèse, l’équipe de Géraldine Rauchs s’est intéressée aux troubles qui affectent spécifiquement le sommeil paradoxal, cette phase du sommeil particulièrement propice aux rêves. La chercheuse de l’Inserm explique : « La plupart des études menées sur le sujet se sont plus volontiers intéressées au sommeil lent, parce qu’il correspond à une période de récupération intense, et parce que c’est durant cette période que les déchets toxiques produits par nos neurones seraient éliminés. Ces travaux ont montré une association entre l’accumulation de protéines amyloïdes et les troubles du sommeil lent. » Mais le sommeil paradoxal est intéressant pour deux principales raisons : « Tout d’abord, il implique des neurones qui sont précocement atteints dans la maladie d’Alzheimer, les neurones de type cholinergiques. De plus, des modifications du sommeil paradoxal s’observent dès les stades précoces de la maladie, avant celles qui touchent le sommeil lent », poursuit-elle.


Lent ou paradoxal, l’architecture de notre sommeil

Une nuit de sommeil se compose de cycles successifs eux-mêmes constitués par une alternance entre sommeil « lent » et sommeil « paradoxal ». Ces deux types de sommeil se distinguent par l’activité cérébrale qui leur est associée. Lorsqu’on mesure l’activité du cerveau par électroencéphalographie au cours du sommeil lent, on observe des ondes électriques de grande amplitude et de faible fréquence. Pendant le sommeil paradoxal, l’activité cérébrale est proche de celle de la phase d’éveil, avec des ondes plus courtes et plus fréquentes.

Pour en savoir plus sur le sommeil


La chercheuse et son équipe ont analysé l’architecture du sommeil d’une cohorte de personnes âgées sans troubles cognitifs. Parallèlement, des examens d’imagerie (par PET scan et IRM) ont été réalisés pour rechercher la présence éventuelle de dépôts amyloïdes dans leur cerveau et pour évaluer leur structure et leur fonctionnement cérébraux. « Nous avons d’abord mis en évidence que la puissance des ondes cérébrales qui caractérisent le sommeil paradoxal, les ondes thêta, est d’autant plus faible que les dépôts amyloïdes au niveau du cortex sont nombreux », rapporte Géraldine Rauchs. Les chercheurs ne retrouvent cette corrélation avec aucune autre onde parmi celles qui caractérisent le sommeil lent, léger ou profond. « Cela conforte l’hypothèse d’un lien entre modifications précoces du sommeil paradoxal et risque d’évolution vers la démence » souligne-t-elle. Pour le confirmer, des études de suivi seront nécessaires, afin d’étudier chez les mêmes volontaires l’évolution des troubles du sommeil, des troubles cognitifs et de l’agrégation amyloïde au cours du temps.

De la corrélation à la causalité

« Au cours de ces travaux, nous avons été surpris d’observer que la diminution de la puissance des ondes cérébrales thêta, et donc de l’activité neuronale, s’accompagne d’une augmentation de la perfusion cérébrale [c’est-à-dire du débit sanguin] au niveau de plusieurs régions du cerveau, notamment dans les aires fronto-pariétales », relate la scientifique. Or la diminution d’activité d’une zone cérébrale est logiquement associée à un besoin moins important en oxygène, et donc à une diminution du flux sanguin. Géraldine Rauchs et son équipe posent donc l’hypothèse que les aires fronto-pariétales pourraient constituer l’épicentre d’un mécanisme précoce qui conduirait à terme à un déclin cognitif et s’élargirait ensuite à d’autres zones. « L’augmentation de la perfusion cérébrale dans les régions qui présentent davantage de dépôts amyloïdes pourrait refléter un mécanisme compensatoire transitoire pour aider à y maintenir une activité neuronale habituelle. Mais il pourrait être délétère à plus long terme, puisqu’une hyperactivité neuronale est connue pour favoriser l’accumulation de protéine amyloïde », propose-t-elle.

Pour confirmer ces hypothèses, la chercheuse et son équipe souhaitent conduire des travaux similaires auprès de groupes plus importants de personnes âgées en bonne santé cognitive, mais aussi auprès de volontaires qui souffrent de troubles cognitifs de sévérité variable. « D’ici là, nous allons continuer à suivre les participants de la cohorte déjà constituée. Nous allons donc pouvoir étudier leur évolution cognitive et évaluer si leurs troubles du sommeil ont une valeur prédictive d’évolution vers la maladie d’Alzheimer », conclut Géraldine Rauchs.


Géraldine Rauchs est chercheuse au sein de l’équipe Neuropresage, dans l’unité Physiopathologie et imagerie des maladies neurologiques (unité 1237 Inserm/Université de Caen-Normandie) au GIP Cyceron, à Caen.


Source : C. André et coll. Rapid-eye-movement sleep, neurodegeneration and amyloid deposition in ageing. Annals of Neurology du 15 janvier 2023 ; doi : 10.1002/ana.26604

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