AccueilActualitéReportages en laboQuand l’art soulage les douleursQuand l’art soulage les douleurs Publié le : 19/08/2025 Temps de lecture : 5 min Reportages en laboL’hôpital neurologique de Bron, près de Lyon, prend en charge les adolescents qui souffrent de douleurs chroniques. Lorsque les antalgiques ne suffisent plus à les soulager, quelle alternative leur offrir ? L’équipe Neuropain tente une approche différente, à travers la danse, l’art-thérapie et le yoga. Plusieurs ados participent à des séances hebdomadaires, et les résultats sont déjà très encourageants : le ressenti de la douleur est diminué et l’humeur s’améliore. À terme, l’équipe de recherche espère que ces méthodes « douces » soient proposées à tous les jeunes patients dans l’impasse. Rencontres.Un reportage à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°65Dans le studio de danse de l’hôpital de Bron, l’art-thérapeute Angeline Olympieff propose un exercice de respiration à Clara, une patiente de 14 ans suivie pour ses douleurs chroniques. Elle prend place à côté d’Anna Bregeon, une psychomotricienne en stage de master 2 qui se prête au jeu pour l’accompagner. Sur une musique apaisante, les deux jeunes femmes doivent prendre conscience de leurs inspirations et expirations, une main dans le dos de l’autre, et essayer de respirer sur le même rythme. Cette simple pratique permet de s’ancrer et de se reconnecter avec son corps. Une manière d’entrer dans la séance en douceur.De gauche à droite : Angeline Olympieff, art-thérapeute, Clara, volontaire, et Anna Bregeon, étudiante et stagiaire ©Inserm/François GuénetUne parenthèse hors du quotidienPuis le cours de danse contemporaine commence avec quelques exercices à deux, pour initier le mouvement grâce au partenaire, qui vient toucher différentes parties du corps de l’autre. L’art-thérapeute propose ensuite à chacune de tenir un éventail dans la main quand elles dansent. « C’est un outil sur lequel les patientes peuvent se raccrocher, se concentrer, pour se sentir moins démunies », explique Angeline Olympieff, qui prépare soigneusement chaque atelier en fonction des particularités des patientes. La musique, parfois entraînante, parfois calme, donne le tempo et inspire le mouvement. Chacune à leur tour, elles proposent un enchaînement que les autres doivent imiter. L’éventail apporte sa touche de grâce et de poésie, pour un moment suspendu dans le temps. Un instant où l’on peut oublier sa douleur, ses difficultés. « C’est une parenthèse qui change des rendez-vous habituels », confirme Clara. La chercheuse Inserm spécialiste de la douleur, Maud Frot, en est convaincue : « Nos premiers résultats sont très positifs : nos patients, en grande majorité des filles, nous disent qu’ils et elles se sentent mieux après les séances. »Impasse thérapeutiqueLes jeunes suivis dans ce centre d’évaluation et de traitement de la douleur (CETD) souffrent de diverses douleurs chroniques : céphalées, douleurs viscérales ou articulaires, migraines abdominales et parfois vomissements. On parle de douleur chronique lorsqu’elle est persistante, dure au-delà de six mois et répond mal aux traitements.C’est justement tout le problème de ce type de douleurs. « Lorsque les antalgiques ne suffisent plus à soulager les patients, ils ne savent plus vers quoi se tourner. Certains essaient d’autres méthodes comme l’hypnose ou l’acupuncture mais les séances coûtent cher et ne sont pas remboursées. » C’est pourquoi Maud Frot a décidé de lancer l’étude Algodanse en mars 2024, afin de tester sur de jeunes volontaires l’apport de la danse, de l’art-thérapie et du yoga sur la gestion de leurs maux. « Nous aimerions amener la preuve scientifique que ces thérapies alternatives peuvent fonctionner chez des patients dans l’impasse thérapeutique », déclare la chercheuse. Le tout à l’hôpital public, dans un cadre très suivi, qui dure dans le temps, sans médicaments, et sans frais pour les familles.La chercheuse Maud Frot, à gauche, pilote le projet Algodanse. ©Inserm/François GuénetPour l’étude, un premier groupe de jeunes patients assiste aux cours de danse, un deuxième aux ateliers d’art, un troisième participe aux séances de yoga et enfin, le quatrième est un groupe contrôle et ne prend part à aucun atelier. « On demande aux volontaires de remplir des questionnaires sur leur niveau de douleur, d’anxiété, sur la perception de leur corps et leur qualité de vie, avant, pendant et après le protocole. On leur demande aussi de remplir des échelles de ressenti de la douleur, de l’humeur et de la fatigue avant et après chaque atelier. Ainsi, nous pouvons comparer les données entre les groupes et dans le temps. »À l’issue des premières données récoltées, l’équipe de recherche a pu montrer que la douleur diminuait dans 7 séances d’art-thérapie sur 10, et 5 séances de danse sur 10. Globalement, l’équipe constate une amélioration de l’humeur de 60 % en moyenne chez les patients après les ateliers, quel que soit leur nature. Et surtout, l’anxiété des patients est considérablement améliorée à l’issue des 15 séances, ce qui montre qu’elles n’agissent pas seulement sur l’aspect corporel. « La dimension psychologique ne doit pas être négligée dans la prise en charge de la douleur chronique chez l’adolescent. Parfois on ignore la cause de la douleur, mais elle est bien réelle et peut être la conséquence d’une souffrance psychique. Certains de nos patients ont subi du harcèlement scolaire voire des agressions sexuelles », témoigne la chercheuse.Exprimer sa douleurLors des séances d’art-thérapie, les jeunes patients sont invités à s’exprimer à travers la peinture, le collage ou le dessin. Un des exercices consiste à écrire une liste de mots pour se décrire, puis à créer une œuvre pour représenter un trait de sa personnalité. Une autre pratique repose sur la peinture intuitive : peindre en musique tout ce qui passe par la tête. Là encore, l’art-thérapeute s’adapte en fonction des ados en face d’elle. « Je vais proposer de reproduire des dessins de manière très précise pour une patiente qui a besoin de garder le contrôle, explique-t-elle. À l’inverse, j’offre beaucoup plus de liberté et d’autonomie à l’une des adolescentes qui préfère rester dans sa bulle et exprimer sa créativité. »Anna Bregeon, qui participe aux ateliers avec les volontaires, a réalisé un tableau avec la technique de la peinture intuitive. ©Inserm/François GuénetLes interventions hyper personnalisées ont pour but de mettre à l’aise les patientes, pour que ce moment puisse leur apporter du bien-être et de la sécurité. Angeline Olympieff ajuste aussi les séances en fonction de l’état physique et mental des ados. Parfois, il faut limiter le mouvement, surtout dans la danse, car la douleur est trop grande. « Nos patients souffrent souvent de kinésiophobie, c’est-à-dire la peur du mouvement et de se faire mal, précise Maud Frot. Ils ont bien souvent une perception négative de leur corps et ne se croient pas capables de réaliser certains gestes. » Mais à travers la danse et l’art, ces adolescents peuvent exprimer leurs émotions, reprendre plaisir à bouger, parler de leur corps. Parfois même comprendre leur colère et leurs limites. Un second souffle, un soulagement, comme l’a résumé un jeune patient qui a participé aux séances l’année dernière : « Je me suis senti libre. »À écouterLe dernier épisode du podcast Les Volontaires est consacré au projet Algodanse : Danser contre les douleurs chroniquesPodcast Maud Frot est chercheuse Inserm dans l’équipe Neuropain, au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (unité 1028 Inserm/CNRS/Université Claude-Bernard Lyon 1). L’étude Algodanse est financée par la fondation APICIL, les Fonds de dotation Patrick de Brou de Laurière, la fondation Maladies rares/Algodystrophie France et l’Institut rhônalpin des systèmes complexes.Texte : L. A.Photos : Inserm/François GuénetÀ lire aussi Musée sur ordonnanceReportages en labo Tango thérapie : entrez dans la danseReportages en labo DouleurLa douleur serait à l’origine de près de deux tiers des consultations médicales. Elle…