Cancer du sein : la difficile reprise du travail

Plus de 20 % des femmes qui ont eu un cancer du sein ne travaillent pas deux ans après le diagnostic. Est-ce par volonté ou contrainte ? Une question à laquelle l’étude Canto- Work répond : l’état de santé et les traitements ont certes leur part de responsabilité, mais la situation familiale et socio-économique joue aussi un rôle important.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°58

En France, le cancer du sein est le cancer féminin le plus fréquent. Le taux de survie à 5 ans est de 87 % et la mortalité diminue d’année en année. Malgré cette évolution positive et alors que, dans les pays occidentaux, plus de 70 % des femmes travaillent, « 21 % de celles qui ont eu un cancer du sein n’ont pas repris leur activité professionnelle deux ans après le diagnostic », indique Gwenn Menvielle, directrice de recherche Inserm, épidémiologiste à l’institut Gustave-Roussy à Villejuif. Identifier l’ensemble des freins à cette reprise afin de proposer des moyens de les lever est donc un des enjeux actuels de la prise en charge de ce cancer. Pour mener à bien cette démarche, Gwenn Menvielle, Ines Vaz-Luis, oncologue dans la même équipe, et Agnès Dumas, sociologue et chercheuse Inserm dans l’unité Épidémiologie clinique et évaluation économique appliquées aux populations vulnérables à Paris, ont conçu l’étude Canto-Work. Celle-ci s’appuie sur la cohorte Canto (pour Cancer Toxicities), initiée en 2012, qui suit plus de 12 000 femmes soignées pour un cancer du sein localisé. Son objectif est d’identifier les séquelles des traitements sur la qualité de vie à long terme. « L’avantage de cette cohorte est qu’elle recueille des informations cliniques sur le type de tumeur, les traitements, l’état de santé, mais aussi des données sur la situation sociale, familiale et professionnelle des femmes et leur qualité de vie, dès le diagnostic et durant six ans », précise Gwenn Menvielle.

Des freins cliniques... mais pas seulement

Canto-Work a ainsi montré que deux ans après le diagnostic, « les traitements les plus invasifs – l’ablation du sein et des ganglions lymphatiques de l’aisselle – et la prise de trastuzumab, un anticorps monoclonal utilisé comme anticancéreux, s’accompagnent d’une moindre reprise du travail », explique l’épidémiologiste. À cela s’ajoutent des effets indésirables des traitements – par exemple un handicap important au niveau du bras suite à la chirurgie, des douleurs neuropathiques ou des atteintes intestinales – ainsi que des séquelles psychologiques : dépression et anxiété. De même, « la fatigue sévère – en particulier émotionnelle – qui est un symptôme très fréquent, présent jusqu’à quatre ans après le diagnostic, et décrit comme le plus gênant par les femmes, joue un rôle », complète Ines Vaz-Luis.

« Mais la reprise du travail dépend aussi de la situation familiale et socio-économique, indépendamment de l’état de santé et des traitements », souligne Gwenn Menvielle. À revenu égal des ménages au moment du diagnostic, les femmes qui vivent en couple reprennent moins rapidement et davantage à temps partiel. « Par ailleurs, avoir la charge de trois enfants ou plus est un facteur aggravant, mais uniquement pour les plus défavorisées. C’est comme si ces femmes étaient victimes d’une double peine », précise l’épidémiologiste. Enfin, presque la moitié des femmes rééquilibre vie privée et vie professionnelle en faveur de la première. Ce phénomène est accentué par le manque d’intérêt du travail – les employées sont moins enclines à la reprise que les cadres –, la sensation d’une absence de soutien du manager, les interférences négatives du cancer dans le quotidien, par exemple la peur de la rechute qui entrave les projets ou la culpabilité d’avoir été moins disponible pour sa famille. Mais ce changement de priorité de vie est aussi lié au fait que l’expérience de la maladie peut être perçue comme ayant un impact « positif » sur le sens de sa vie, l’attention portée à sa santé, une meilleure estime de soi.

Des aides multiples et personnalisées

« La réinsertion professionnelle se heurte à des difficultés diverses et certaines patientes sont plus à risque d’être pénalisées par le cancer, résume Gwenn Menvielle. Il faut donc les identifier afin de proposer une approche individualisée au plus tôt après le diagnostic et ce d’autant plus qu’il existe des outils pour les aider ». Par exemple, « l’activité physique adaptée ou la thérapie cognitive et comportementale permettent de diminuer la fatigue, complète Ines Vaz- Luis. C’est pourquoi, nous avons développé un algorithme qui permet de déterminer, dès le diagnostic, le niveau de risque de fatigue sévère qui pourrait survenir à l’issue des traitements ». Par ailleurs, les chercheuses ont montré que les patientes étaient favorables à un soutien avec des outils digitaux, tout en gardant des contacts humains. Elles vont donc évaluer un suivi personnalisé durant deux ans avec deux applications et des contacts téléphoniques réguliers. Les aspects cliniques reposeront sur Résilience, une « appli » développée à Gustave-Roussy, axée sur la gestion des symptômes cliniques. La plateforme Alex, conçue par la start-up Wecare@work, permet quant à elle d’accompagner les patientes dans leur parcours professionnel, dès l’annonce du diagnostic. Attention, il ne s’agit pas de remettre les femmes au travail manu militari, mais que « chacune choisisse sa trajectoire professionnelle de manière éclairée », avertit Gwenn Menvielle, qui précise également : « L’histoire ne s’arrête pas à la reprise. Nous nous intéressons aussi au maintien de l’activité professionnelle à long terme et à ses conditions. Notre objectif est d’identifier les moyens d’une reprise stable et surtout de qualité. »


Gwenn Menvielle, Ines Vaz-Luis conduisent leur recherche dans l’unité Biomarqueurs et nouvelles cibles thérapeutiques en oncologie (unité 981 Inserm/Gustave-Roussy/Université Paris-Saclay), à l’Institut Gustave Roussy à Villejuif. Agnès Dumas est sociologue, chercheuse au sein de l’unité d’épidémiologie clinique et évaluation économique appliquées aux populations vulnérables (unité 1123 Inserm/Université Paris Cité)


Auteur : F. D. M.

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