Thérapies ciblées : Un nouveau convoyeur de traitements au cœur des cellules

Produites par la plupart de nos cellules, les vésicules extracellulaires sont impliquées dans de nombreux processus physiologiques. Elles permettent notamment aux cellules de communiquer à distance à travers le transfert de molécules biologiques. La recherche tente de détourner cette machinerie cellulaire pour administrer de manière ciblée des substances thérapeutiques à certaines cellules dysfonctionnelles ou cancéreuses.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°57

Les vésicules extracellulaires ? Mais qu’est-ce donc ? « Ce sont en quelques sortes des “mini-cellules” dépourvues de noyau et des structures cellulaires habituelles, explique Graça Raposo, directrice de recherche CNRS à l’institut Curie, qui étudie depuis une trentaine d’années la formation et les fonctions des vésicules extracellulaires. Produits par la plupart de nos cellules, ces petits “sacs” circulent dans les fluides biologiques comme le sang, le mucus ou encore le liquide céphalorachidien dans lequel baigne notre cerveau. Mises en évidence dans les années 1970, les vésicules extracellulaires ont longtemps été considérées comme un moyen pour les cellules d’évacuer leurs déchets. » Mais leur rôle dans l’organisme ne se cantonne pas à celui de poubelle cellulaire. De tailles et de compositions variées, elles sont en effet impliquées dans de nombreux processus physiologiques comme la fertilité, la régénération des tissus ou encore les réponses de notre système immunitaire. Ainsi, « certaines cellules de défense de notre organisme comme les lymphocytes B et les cellules dendritiques relarguent des vésicules extracellulaires pour stimuler les réactions immunitaires », poursuit Graça Raposo, qui a contribué à mettre en évidence ce phénomène dans les années 1990.

Une image obtenue par microscopie électronique, en nuance de gris
Vésicules extracellulaires observées en microscopie électronique. © Grégory Lavieu/Inserm

Ces vésicules participent également à de nombreux mécanismes pathologiques associés aux maladies cardiovasculaires, infectieuses et neurodégénératives ou encore au cancer. « Les cellules cancéreuses produisent beaucoup de vésicules extracellulaires qui participent à la formation de métastases », précise la biologiste. Comprendre cette variété de fonctions des vésicules extracellulaires, tantôt bonnes, tantôt mauvaises pour la santé, est essentiel d’un point de vue fondamental mais pourrait aussi déboucher sur de nouvelles stratégies thérapeutiques. « La recherche dans ce domaine a explosé ces dernières années », remarque Graça Raposo.

Exploiter les vésicules extracellulaires

Des groupes de chercheurs et de multiples start-up mettent ainsi en place des essais cliniques dans le but de tirer profit du potentiel des vésicules extracellulaires, notamment en matière de régénération des tissus ou comme biomarqueurs, les vésicules étant spécifiques des cellules qui les produisent. Elles pourraient aussi contribuer à perfectionner des protocoles de thérapies géniques – dont le but est d’introduire du matériel génétique dans des cellules dysfonctionnelles – et de thérapies ciblées qui visent à détruire des cellules cancéreuses. En effet, « les vésicules extracellulaires agissent comme des véhicules biologiques qui permettent le transport de biomolécules entre cellules, explique Grégory Lavieu, biologiste et directeur d’une équipe de recherche labellisée Inserm à l’université Paris Cité. Elles acheminent ainsi des protéines, des lipides ou du matériel génétique d’une cellule donneuse vers une cellule receveuse. » Le relargage du contenu vésiculaire peut alors modifier le comportement et les propriétés des cellules receveuses. Ces caractéristiques des vésicules extracellulaires pourraient donc être exploitées pour acheminer des substances actives de façon ciblée à certains tissus et cellules de l’organisme.

L’équipe de Grégory Lavieu a d’ores et déjà planté quelques jalons pour faire de cette idée prometteuse une réalité. La doctorante Shéryl Bui et la chercheuse Julia Dancourt ont en effet récemment mis au point des procédés de biofabrication de cellules donneuses à même de produire des vésicules extracellulaires capables de détruire des cellules receveuses. « Nous avons tout d’abord manipulé ces cellules donneuses à l’aide d’outils génétiques pour les rendre résistantes à une toxine létale et pouvoir contrôler le chargement de cette “arme” dans les vésicules extracellulaires. En parallèle, nous avons forcé l’expression dans les vésicules d’une protéine d’origine humaine – la syncytine‑1 – qui améliore de façon significative la fusion de leur membrane avec celles des cellules receveuses », explique le chercheur. Son équipe avait en effet déjà montré dans de précédents travaux que le relargage du contenu vésiculaire requiert la fusion de ces membranes, une étape qui n’est pas optimale dans les conditions naturelles. « Les vésicules produites ont ensuite été purifiées avant d’être mises en contact avec des cellules cancéreuses in vitro. Nous avons alors observé la mort de celles-ci. Cela prouve que les vésicules extracellulaires ont bien été assimilées car la toxine diphtérique utilisée dans ces travaux n’est active qu’à l’intérieur des cellules cancéreuses, où elle bloque la synthèse des protéines. Nous avons donc créé des vésicules tueuses susceptibles de détruire n’importe quelle cellule receveuse », se réjouit Grégory Lavieu.

Du ménage au convoyage

Et cette méthode, qui a fait l’objet d’un dépôt de brevet en juillet 2022 avec l’aide d’Inserm Transfert, la filiale privée de l’Institut spécialisée dans la valorisation, est versatile. Ces vésicules bioconçues pourraient non seulement bonifier l’arsenal thérapeutique de lutte contre les tu- meurs en permettant l’ablation de cellules cancéreuses mais seraient aussi en mesure d’acheminer n’importe quelle substance active à l’intérieur de cellules cibles, par exemple des gènes-médicaments dans le cadre de thérapies géniques. Or, ces vésicules présentent quelques avantages par rapport aux autres systèmes d’administration ciblée de médicaments comme les nanoparticules ou les liposomes, un autre type de vésicules créé de façon artificielle. « Les vésicules extracellulaires ne déclenchent pas ou peu de réaction du système immunitaire, ce qui augmente leur chance d’atteindre leur cible avant d’être détruites », déclare Grégory Lavieu. Par ailleurs, « l’utilisation d’une protéine “fusogène” d’origine humaine permet de se passer des éléments viraux habituellement employés pour pénétrer les cellules cibles et ainsi de limiter les risques sanitaires potentiels. »

Pour faire de ces vésicules de bons vecteurs pour l’administration ciblée de médicaments, il reste encore aux chercheurs à les diriger spécifiquement vers leur cible. « Nous sommes d’ores et déjà en train de manipuler les vésicules afin d’intégrer dans leur membrane des anticorps spécifiques pour qu’elles soient attirées de manière préférentielle par des cellules qui exhibent l’antigène correspondant. » Ces mini-cellules, long- temps perçues comme des poubelles, pourraient donc bientôt se révéler un convoyeur incontournable pour acheminer des traitements directement au sein de cellules malades.


Graça Raposo est cheffe de l’équipe Structure et compartimentation membranaire dans l’unité Biologie cellulaire et cancer (UMR 144 Institut Curie/CNRS/Sorbonne Université), à l’institut Curie à Paris.

Grégory Lavieu dirige l’unité Membrane dynamics in and outside the cell (unité 1316 Inserm), à Paris. Shéryl Bui,doctorante, et Julia Dancourt, chercheuse, travaille dans son équipe.


Sources : Dancourt et al. Efficient cell death mediated by bioengineered killer extracellular vesicles. Sci Rep., 19 janvier 2023 ; doi : 10.1038/s41598-023–28306‑8 ; S. Bui et al. Virus-Free Method to Control and Enhance Extracellular Vesicle Cargo Loading and Delivery. ACS Appl Bio Mater., 13 février 2023 ; doi : 10.1021/acsabm.2c00955 ; É. Bonsergent et al. Quantitative characterization of extracellular vesicle uptake and content delivery within mammalian cells. Nat Commun., 25 mars 2021 ; doi : 10.1038/s41467-021–22126‑y

Auteur : S. P.

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