Cancer du pancréas : la recherche en action

La plupart des cancers du pancréas sont résistants à la chimiothérapie. Pour pallier cela, des chercheurs et cliniciens toulousains ont mis au point une thérapie génique. Leurs travaux ont commencé dans les années 2000 et la phase 2 des essais cliniques vient de s’achever. Retour sur ce long parcours.

C’est un travail dont les prémices ont débuté il y a plus de 25 ans qui est sur le point de s’achever pour les équipes Inserm toulousaines de Pierre Cordelier, Fabian Gross et Louis Buscail. Ces chercheurs, ingénieurs et médecins terminent un essai clinique de phase 2, promu par le CHU de Toulouse, sur une thérapie génique qui vise à traiter le cancer du pancréas. Leurs travaux illustrent parfaitement le long cheminement que doivent parcourir les scientifiques, de l’étincelle à l’origine d’une bonne idée jusqu’aux résultats des essais cliniques sur l’humain.

Entre 1996 et 2006, deux découvertes marquent le début des travaux. « Nous avons identifié des gènes d’intérêt, dont l’expression est perdue dans les tumeurs, qui permettent de réduire l’agressivité du cancer du pancréas et d’augmenter sa sensibilité à la chimiothérapie », se rappelle Pierre Cordelier. En effet, la plupart des personnes atteintes par cette maladie sont confrontées à un problème de résistance de leur tumeur au traitement. En cas de cancer du pancréas, deux chimiothérapies sont proposées : à base de folfirinox, ou de gemcitabine lorsque la première molécule n’est pas tolérée par le patient. C’est plus particulièrement aux mécanismes de résistance à cette seconde chimiothérapie que les recherches de ce groupe se sont consacrées.

Après avoir identifié trois gènes d’intérêt – qui permettent respectivement la synthèse du récepteur de somatostatine SSTR2 et des protéines désoxycytidine kinase (DCK) et uridylate monophosphate kinase (UMK) –, les chercheurs ont mis en lumière leur mode d’action. Le premier réduit l’agressivité de la tumeur quand les deux suivantes augmentent sa sensibilité à la gemcitabine. En parallèle, ils ont développé un moyen de rétablir leur expression dans les cellules tumorales. Il s’agit d’un système baptisé CYL-02, composé d’une petite molécule d’ADN circulaire (plasmide) porteuse des trois gènes d’intérêt précités, complexée à un vecteur (non viral) qui permet de le faire entrer dans les cellules à traiter. En pratique, CYL-02 est injecté directement dans les tumeurs des malades par endoscopie guidée, donc sans recours à la chirurgie. Les gènes thérapeutiques sont alors préférentiellement exprimés dans les cellules cancéreuses. Une chimiothérapie à base de gemcitabine est administrée en parallèle, selon le protocole clinique courant. Son efficacité est améliorée par le traitement génique. Ce travail, depuis l’identification des gènes d’intérêt jusqu’aux premiers résultats positifs chez l’humain, aura pris plus de dix ans.

Des premières expériences précliniques à l’évaluation chez l’humain

Mais avant de tester ce vecteur sur des patients, il a été nécessaire de conduire des essais précliniques, sur les modèles animaux. Ils ont permis de déterminer la distribution du traitement dans l’organisme après son administration, sa toxicité et son efficacité, avec notamment, lors de cette dernière étape, la recherche de la dose maximale qu’il est possible de délivrer. Puis les travaux sont entrés en phase clinique en 2010. La phase 1, conduite sur 22 patients, s’est achevée en 2012. Elle a permis de déterminer la dose optimale à utiliser chez l’humain, d’identifier des biomarqueurs liés à une plus grande probabilité d’efficacité du traitement, ainsi que de détecter des premiers signes d’efficacité. C’est sur cette base que l’équipe toulousaine a pu poursuivre ses travaux avec un essai de phase 2, sur 70 patients répartis en deux bras d’étude : 35 patients n’étaient traités que par chimiothérapie (groupe témoin), tandis que 35 autres recevaient la thérapie génique et la chimiothérapie. Débutée en 2017, l’étude s’est récemment achevée et les résultats, en cours d’analyse, seront connus sous peu. Ces travaux pourraient déboucher sur la mise en place d’un essai de phase 3 qui permettra d’évaluer l’intérêt thérapeutique de l’approche sur un nombre plus important de patients.

🔎 Pour en savoir plus sur les essais cliniques et comprendre les différences entre les diverses phases

Ce long cheminement aura dans tous les cas eu l’avantage de mobiliser une communauté scientifique, de convaincre les différents acteurs du bien-fondé de la démarche, facilitant ainsi la tâche pour les prochaines expérimentations. Précisément, les chercheurs progressent non seulement dans leur compréhension de l’hétérogénéité des tumeurs et de leurs mécanismes de résistance, mais aussi dans la mise en place de nouvelles biothérapies en capacité de combler les limitations des approches antérieures. Aujourd’hui, l’équipe de Pierre Cordelier travaille plus particulièrement sur les virus oncolytiques, capables d’infecter spécifiquement les cellules tumorales et de détruire les tumeurs. Cette biothérapie présente plusieurs avantages. « La capacité de dissémination de ces virus est remarquable, rapporte le chercheur. De plus, les cellules tumorales infectées peuvent “réveiller” une réponse immunitaire antitumorale, quasi absente dans le cancer du pancréas, ce qui ouvre la voie à l’immunothérapie. » Deux brevets sont en cours de dépôt pour deux souches oncolytiques très prometteuses. Pour au moins l’une d’entre elles, l’équipe est désormais à la recherche de fonds pour lancer son évaluation préclinique…


Pierre Cordelier est responsable de l’équipe Innovation thérapeutique dans le cancer du pancréas au Centre de recherches en cancérologie de Toulouse (CRCT, unité 1037 Inserm/CNRS/Université Toulouse III – Paul-Sabatier).

Fabian Gross est chef de projet au module Biothérapies du centre d’investigation clinique de Toulouse (CIC 1436, Inserm/CHU de Toulouse).

Louis Buscail est coordonnateur du module Biothérapies du centre d’investigation clinique de Toulouse (CIC 1436, Inserm/CHU de Toulouse) et médecin-chercheur dans l’équipe de Pierre Cordelier.


Source : O. Barbey et al. Preclinical development of non-viral gene therapy for patients with advanced pancreatic cancer. Mol Ther Methods Clin Dev, mars 2023 ; doi : 10.1016/j.omtm.2023.03.005 et L. Buscail et al. First-in-man Phase 1 Clinical Trial of Gene Therapy for Advanced Pancreatic Cancer : Safety, Biodistribution, and Preliminary Clinical Findings. Mol Ther, avril 2015 ; doi : 10.1038/mt.2015.1

Auteur : B. S.

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