Saturnisme

Intoxication au plomb

Le saturnisme correspond à une imprégnation excessive des individus, en particulier des enfants, au plomb. Cette substance est toxique pour l’organisme, même à faible concentration. Chez les enfants, une imprégnation correspondant à 50 μg de plomb par litre de sang entraine une déclaration obligatoire du cas, ainsi que des mesures d’intervention pour réduire l’exposition. Les chercheurs tentent aujourd’hui d’améliorer le dépistage des personnes les plus exposées et d’évaluer les mesures de protection afin d’identifier les plus efficaces.

Dossier réalisé en collaboration avec Philippe Glorennec, enseignant-chercheur à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et à l’Institut de recherche sur la santé, l’environnement et le travail (Irset, unité Inserm 1085), équipe Evaluation des expositions et recherche épidémiologique sur l’environnement, la reproduction et le développement, Rennes

Comprendre le saturnisme

La plombémie, marqueur de l’intoxication par le plomb

Le plomb n’a aucun rôle physiologique connu chez l’Homme : sa présence dans l’organisme témoigne toujours d’une contamination. Il peut être incorporé par voie digestive, respiratoire ou sanguine entre la mère et le fœtus. Il se distribue ensuite dans le sang, les tissus mous, et surtout dans le squelette (à 94%) où il s’accumule progressivement et reste stocké très longtemps (demi-vie supérieure à 10 ans). 

L’indicateur retenu pour évaluer l’imprégnation par le plomb est sa concentration mesurée dans le sang, ou plombémie. Elle reflète un équilibre entre une contamination en cours, le stockage ou le déstockage du plomb osseux et son élimination. Après la fin d’une exposition, la plombémie diminue en un ou deux mois jusqu’à un nouvel équilibre dont le niveau est fonction du stock osseux 

Une toxicité sans seuil

Les effets nocifs du plomb sur la santé sont corrélés à l’importance de l’imprégnation dans l’organisme. Toutefois, il est aujourd’hui établi que le plomb est toxique pour les enfants, les femmes enceintes et les adultes, même à de faibles concentrations.

  • Chez le jeune enfant, l’effet le plus préoccupant d’une intoxication au plomb est la diminution des performances cognitives et sensorimotrices. Une plombémie de 12μg/L est associée à la perte d’un point de QI, et de nombreuses études épidémiologiques ont montré une association entre la concentration de plomb dans le sang et les performances à l’âge scolaire. Dès les faibles concentrations, le plomb altère également le développement staturo-pondéral et sexuel du jeune enfant, son comportement et l’acuité auditive.
  • Chez la femme enceinte, le plomb altère le développement fœtal et le déroulement de la grossesse.
  • Chez les adolescents et les adultes, il augmente les risques de maladie rénale chronique et d’hypertension artérielle, altère la qualité du sperme et diminue la fertilité masculineSon impact sur la santé cardiovasculaire et la mortalité associée est également important.

Tous ces effets ont été observés chez des individus présentant des plombémies faibles, et aucun seuil de « non toxicité » n’a pu être défini. Les scientifiques parlent d’une toxicité sans seuil.


Un seuil d’intervention à ne pas confondre avec un seuil de toxicité

La concentration minimale de plomb dans le sang définissant le saturnisme a longtemps été de 100μg/L. Suivant les recommandations du Haut Conseil de la santé publique, les autorités sanitaires ont décidé, en juin 2015, de l’abaisser à 50 µg/L.

Il s’agit d’un seuil d’intervention, déclenchant une déclaration obligatoire auprès des autorités sanitaires, une enquête environnementale et des mesures de protection. Mais, des concentrations bien plus faibles sont largement répandues et délétères, en particulier chez les enfants. 


Baisse régulière de la plombémie dans la population

Depuis les années 90, une diminution importante de la plombémie moyenne des enfants testés, ainsi qu’une baisse de l’imprégnation de fond de la population générale sont observées. La réhabilitation de l’habitat ancien, la suppression des carburants plombés, le traitement des eaux de distribution publique et la diminution des concentrations en plomb des aliments ont contribué à cette évolution. Néanmoins, des sources d’intoxication sont encore présentes dans l’environnement. Les peintures au plomb de l’habitat ancien restent la première source de contamination des cas signalés, mais la plupart des enfants sont aussi exposés par l’alimentation et l’ingestion involontaire de particules du sol ou de poussières. 

En 1995, plus d’un quart des enfants de 1 à 6 ans avait une plombémie supérieure à 50μg/L et 2,1% une plombémie supérieure à 100μg/L. Aujourd’hui, la proportion des enfants présentant un taux de plomb dans le sang supérieure à 50μg/L est tombée à environ 2%, celle des enfants avec une plombémie supérieure à 25μg/L à 10%, avec des disparités entre les régions et certains quartiers urbains. Les taux supérieurs à 100μg/L sont devenus rares et représentent à peine 0,1% des enfants. 

Les enfants en bas âge sont les plus exposés en raison des risques d’ingestions de poussières ou de débris de peinture contaminées par contacts mains-bouche. Ils sont également les plus vulnérables.

Objectifs : plombémie minimale pour toute la population et seuil d’intervention à 50μg/L

Pour tenir compte des effets sans seuil du plomb sur la santé, le Haut Conseil de la santé publique préconise une politique de réduction des expositions au plus bas niveau possible. En 2014, il a fixé deux objectifs à atteindre d’ici 2017 :

  • une plombémie moyenne de 12μg/L pour l’ensemble de la population,
  • 98% de la population avec une plombémie inférieure à 40μg/L.

Il a, en outre, fixé deux niveaux de plombémie permettant d’organiser la prévention du saturnisme infantile :

  • un niveau d’intervention rapide, à partir de 50μg/L, impliquant une déclaration obligatoire du cas et déclenchant une enquête environnementale et des mesures de protection
  • un niveau de vigilance, à partir de 25μg/L. Son dépassement indique l’existence probable d’au moins une source d’exposition dans l’environnement, nécessite d’informer les familles sur les sources usuelles d’imprégnation et les risques du plomb, et d’effectuer un suivi biologique trimestriel de la plombémie tant qu’elle n’a pas baissé.

Ces seuils ont été fixés en 2014 et il est prévu de les actualiser tous les dix ans. 

Le diagnostic du saturnisme passe par la mesure de la plombémie

L’intoxication au plomb est le plus souvent silencieuse. Des signes cliniques peuvent se manifester, mais ils sont peu spécifiques : troubles digestifs vagues (anorexie, douleurs abdominales récurrentes, constipation, vomissements), troubles du comportement (apathie ou irritabilité, hyperactivité), troubles de l’attention et du sommeil, mauvais développement psychomoteur, pâleur en rapport avec une anémie. 

Le diagnostic de l’intoxication au plomb ne peut être établi que par un dosage de la plombémie, prescrit aux individus présentant des facteurs de risque. Les médecins disposent de questionnaires permettant de faciliter ce dépistage. 

Ce dosage est néanmoins de moins en moins pratiqué par les médecins compte tenu de la baisse des taux d’imprégnation et de l’élimination progressive des sources de fortes expositions. Plus de 6 300 plombémies ont été effectuées en France en 1995 chez les enfants de 0 à 17 ans, contre seulement 2 000 en 2014. De plus, ce dosage est réalisé de façon hétérogène en France : l’Ile-de-France concentre environ 60% des enfants testés, mais d’autres régions ont mis en place des actions de dépistage importantes (régions Rhône-Alpes et Nord-Pas-de-Calais, par exemple). 

Connaître les sources d’exposition pour repérer les personnes à risque

La Direction générale de la santé recommande de repérer les facteurs de risque d’exposition au plomb chez tous les enfants à l’occasion des bilans de santé des 9e et 24e mois de vie, et d’inscrire les résultats dans le carnet de santé. Elle recommande également ce dépistage chez les femmes enceintes à l’occasion de l’entretien prénatal du 4e mois de grossesse et chez les femmes envisageant une grossesse à court terme.

Les sources d’exposition les plus communes représentant un facteur de risque sont : 

  • Les poussières et débris de peinture des habitations construites avant 1975 (et surtout celles datant d’avant 1949), en particulier en cas de travaux de rénovation en cours ou intervenus dans les six derniers mois, pouvant contribuer à répandre le plomb.
  • La fréquentation régulière d’un site industriel rejetant ou ayant rejeté du plomb dans les sols et dans l’air. Cette pratique est de plus en plus rare et de mieux en mieux contrôlée.
  • L’eau du robinet contaminée par des canalisations en plomb. Les installations publiques sont désormais exemptes de plomb, mais les installations privées vétustes peuvent en contenir. Elles sont néanmoins progressivement remplacées, grâce à la réhabilitation progressive des logements anciens.
  • Une activité professionnelle ou de loisir exposant au plomb : restauration de vitraux, travail dans une fonderie, fabrication de céramiques ou d’objets émaillés, fabrication de munitions ou d’objets en plomb (plombs de pêche ou petits soldats par exemple).
  • L’alimentation, via la contamination des sols et de l’air par le plomb. Sont en particulier concernés les aliments qui proviennent de pays utilisant encore de l’essence au plomb (ce qui n’est pas le cas de la France).
  • L’utilisation de vaisselles artisanales ou cosmétiques traditionnels (notamment le khôl) contenant du plomb.

Certaines sources d’exposition sont spécifiques aux enfants : 

  • Un stock élevé de plomb à la naissance, hérité de la mère au cours de la grossesse.
  • L’ingestion d’écailles de peinture et de poussières contaminées via le portage mains-bouche.
  • Une arrivée récente en France évoquant une exposition possible dans le pays d’origine.

Le niveau d’intervention rapide en pratique

La déclaration obligatoire des cas de plombémie dépassant le seuil de 50 µg/L permet le déclenchement d’une enquête environnementale par les autorités sanitaires ou les municipalités. L’objectif est d’identifier l’origine de l’intoxication. Selon les résultats de cette enquête, le préfet met en œuvre des procédures administratives ayant pour but de soustraire l’enfant à la source de plomb. Néanmoins, cette contamination est très persistante dans l’environnement et dans l’organisme, pendant plusieurs années. 

Dans des cas extrêmement rares de contamination grave, dépassant les 450 μg de plomb par litre de sang, un traitement chélateur favorisant l’élimination du plomb par les urines est administré à l’hôpital pour réduire la plombémie en urgence. En dehors de cette situation, la réduction de la plombémie passe par l’éviction des sources d’exposition.

Des fiches pratiques pour les acteurs de santé sont disponibles dans le guide pratique de dépistage et de prise en charge des expositions au plomb chez l’enfant mineur et la femme enceinte.

Les enjeux de la recherche

Les chercheurs tentent de faciliter le travail des médecins, en améliorant les critères de dépistage du risque d’intoxication au plomb. En effet, un professionnel de santé sait que l’eau du robinet peut être contaminée par des canalisations en plomb, mais comment peut-il savoir si les canalisations du lieu de résidence de l’enfant sont en plomb ? Une équipe Inserm (unité 1085, Institut de recherche sur la santé, l’environnement et le travail, Rennes) a travaillé à cette améliorations en collaboration avec Santé publique France. Les chercheurs tentent de découvrir des facteurs complémentaires prédictifs d’exposition, par exemple la proportion de logements indignes dans un quartier. 

Par ailleurs, il est nécessaire de préciser la nature des sources d’exposition au plomb. Dans ce cadre, en collaboration avec le CSTB, l’InVS et l’AP-HP, cette même équipe Inserm a récemment contribué au projet « Plomb-Habitat » consistant à décrire les sources de plomb dans l’habitat et leur association avec la plombémie. L’étude a été conduite au sein de 484 foyers français. Les chercheurs ont passé en revue l’eau du robinet, les poussières déposées au sol, les peintures, les aires de jeux extérieures, les parties communes, ainsi que les plats et cosmétiques traditionnels. Leurs résultats montrent que l’eau et les poussières contaminées sont les sources d’exposition les plus fortement associées à la moyenne des plombémies, mais aussi aux 10% des plombémies les plus élevées. Les auteurs recommandent par ailleurs de réserver la vaisselle en céramique contenant du plomb à des fins décoratives, ou encore de reconsidérer l’utilisation de cosmétiques contenant du plomb.

Les chercheurs souhaitent maintenant mener des études d’intervention et comparer des mesures de réduction de l’exposition au plomb pour identifier les actions les plus efficaces. L’utilisation de linge humide pour nettoyer les poussières chargées en plomb est par exemple discutée. Ces données sont importantes pour fonder les décisions publiques de réduction des expositions au plomb. 

D’autres travaux sont en cours sur les liens entre l’intoxication au plomb et d’autres expositions/situations de santé. L’objectif est de savoir si les effets du plomb s’en trouvent modifiés. 

Quant aux effets du plomb seul sur la santé humaine, les travaux se poursuivent pour tenter d’identifier un seuil de non toxicité qui pourrait servir de référence. 

taux minimum où l’effet toxique du plomb peut être observé,
Effets du plomb inorganique chez les enfants et les adultes : taux minimum où l’effet peut être observé, d’après l’Agency for Toxic Substance and Disease Registry (in Expertise collective Inserm, Saturnisme. Quelles stratégies de dépistage chez l’enfant ? 2008) 

Pour aller plus loin