Olivier Delattre : Pour la recherche, pour la médecine, pour les enfants

Meilleurs diagnostics, nouveaux traitements… les recherches menées par Olivier Delattre ont toutes des applications cliniques. Aucun hasard dans cette démarche. Chercheur depuis 25 ans, il n’oublie pas qu’il est aussi pédiatre de formation.

Olivier Delattre © Inserm/Guénet, François
Olivier Delattre © Inserm/Guénet, François

Directeur de l’unité Génétique et biologie des cancers à l’Institut Curie à Paris, Olivier Delattre, vient de recevoir le Prix Léopold Griffuel de la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer. Dans la présentation de ce 44e prix, la fondation indique : « À l’interface de la recherche fondamentale et translationnelle, ses travaux ont eu un impact direct sur la recherche clinique. » Quelques mots qui résument fidèlement le parcours de cet expert des tumeurs de l’enfant, chercheur depuis 25 ans, mais qui a gardé son âme de pédiatre. 

Tout a en effet commencé pour lui par des études de médecine. 

C’est un peu par hasard que j’ai effectué mon premier stage d’internat en pédiatrie, mais très vite j’y ai pris goût. Ainsi, en 1982, je suis parti en coopération à Dakar au Sénégal. Une expérience clinique d’une variété extraordinaire. [...] De retour en France, je me suis orienté vers l’hématologie, l’étude des maladies du sang. Mais j’étais attiré par la recherche car je voulais comprendre comment le savoir scientifique puis médical naissait dans les laboratoires.

Pour assouvir sa curiosité, il suspend son internat et passe un an dans le laboratoire de génétique des tumeurs fondé par Gilles Thomas à l’Institut Curie. Un choix qui ne tient pas au hasard. « À cette époque, les découvertes de la fin des années 1970 des oncogènes responsables de cancers chez l’animal, trouvaient leurs premières applications chez l’Homme. C’était enthousiasmant, se souvient-il. En outre, à la fois polytechnicien, médecin et biologiste, Gilles Thomas était un esprit brillant, doté d’une connaissance encyclopédique. Ce fut mon premier mentor. » L’année suivante, il persévère dans l’équipe de Richard Breathnach alors au laboratoire de génétique moléculaire des eucaryotes dirigé par Pierre Chambon à Strasbourg. 

« Tous deux m’ont aussi marqué, avec une approche plus fonctionnelle de la génétique », précise-t-il. Puis après quelques mois passés au Massachusetts General Hospital à Boston aux États-Unis, il revient dans le laboratoire de Gilles Thomas et reprend son internat en oncologie pédiatrique. « Il s’avère que Jean-Michel Zucker, chef du département de pédiatrie à l’Institut Curie, encourageait ses élèves à se former à la recherche. C’était un visionnaire, convaincu que cette démarche était indispensable à la qualité de la recherche clinique et fondamentale, souligne Olivier Delattre à qui on n’a pas eu à forcer la main. Pendant deux ans un peu compliqués, j’étais interne le jour et chercheur la nuit. »

Ses deux doctorats en poche, l’un en médecine et l’autre en biologie moléculaire des organismes eucaryotes, impossible de continuer à ce rythme. Recruté à l’Inserm, il choisit alors la recherche, mais il n’oublie pas les jeunes malades et oriente ses travaux vers l’oncologie pédiatrique. « L’étude des tumeurs de l’enfant est relativement facilitée par le fait qu’elles sont génétiquement stables, très peu influencées par l’environnement, précise-t-il. Ce sont en quelque sorte des modèles simplifiés dont les mécanismes peuvent être retrouvés dans les tumeurs des adultes. » Un double constat qui ne se démentira pas. Quelques mois après qu’il ait choisi de rester dans l’équipe de Gilles Thomas, celle-ci identifie et caractérise des gènes remaniés par translocation chromosomique – c’est-à-dire par l’échange de matériel génétique entre deux chromosomes – à l’origine du sarcome d’Ewing, un cancer des os de l’enfant et du jeune adulte. Depuis cette première mondiale, son équipe a montré que la protéine EWS- FLI (pour Ewing Sarcoma – Friend Leukemia Integration), issue de ce remaniement, régule plusieurs voies de signalisation impliquées dans la prolifération anormale des cellules, « en particulier la voie de l’IGF1 (Insulin-Like Growth Factor‑1), un facteur de croissance dont l’inhibition a montré une efficacité lors d’un essai clinique de phase I [mené par le laboratoire pharmaceutique Pfizer, ndlr.] », indique-t-il. 

Par ailleurs, ces travaux ont amélioré le diagnostic et permis de caractériser une nouvelle famille de cancers, les tumeurs rhabdoïdes, appelées ainsi car elles partagent des traits communs avec les rhabdomyosarcomes, tumeurs musculaires de l’enfant. Celles- ci touchent surtout les reins et le système nerveux central, mais elles peuvent se développer n’importe où dans l’organisme. « Il s’avère qu’elles sont hétérogènes, et certaines formes ressemblent au sarcome d’Ewing. Or, nous avons montré qu’en réalité, elles sont une famille à part entière, caractérisée par l’inactivation d’un gène suppresseur de tumeur, Smarcb1, impliqué dans un complexe protéique chargé du remodelage de la chromatine, la forme condensée de l’ADN dans le noyau de nos cellules »,explique le chercheur. À nouveau, ces travaux ont permis d’améliorer le diagnostic et la mise au point d’un traitement. Le tazemetostat, développé par la société EpiZyme, fait actuellement l’objet d’un essai clinique international auquel participe l’Institut Curie. En outre, « il a été montré que des anomalies de ce complexe sont observées dans près de 20 % des cancers adultes », ajoute Olivier Delattre. 

Enfin, « initialement à la demande des cliniciens, nous nous intéressons au neuroblastome, un tumeur maligne solide extra- crânienne qui touche les jeunes enfants. Son comportement est fascinant : dans certains cas, elle régresse toute seule, dans d’autres, elle est au contraire très agressive et résistante aux traitements, relate le chercheur. Nous avons montré que ces tumeurs sont associées à des anomalies du gène qui code le récepteur membranaire ALK (anaplastic lymphoma kinase). » Schématiquement, quand il est muté, il fonctionne en permanence dans les cellules nerveuses tumorales et provoque leur prolifération, alors que celle-ci s’arrête quand il est bloqué. Là encore, un essai clinique est en cours en France avec le crizotinib, un traitement qui inhibe ALK. Aujourd’hui, le prix de la Fondation ARC permet à Olivier Delattre de renforcer son équipe qui est à l’image de sa démarche, entre recherche fondamentale et clinique. Pour preuve, « au sein de l’unité que je dirige, une équipe est sous la responsabilité de deux pédiatres qui ont, comme moi, réalisé une thèse de sciences » explique-t-il, ravi de faire des émules. 

Et il ne manque pas d’arguments pour les convaincre. 

Travailler sur le cancer est absolument passionnant [...] Pour le médecin, il s’agit d’en trouver le talon d’Achille pour le traiter plus efficacement. Pour le chercheur il s’agit aussi d’étudier un objet biologique étrange, quasi universel au sein du règne animal, dont l’origine et le rôle éventuel dans l’évolution restent très obscurs

En savoir plus sur Olivier Delattre

Olivier Delattre dirige l’unité de Génétique et biologie des cancers (unité 830 Inserm/Institut Curie – Université Paris-Descartes) à l’Institut Curie à Paris. 

Dates clés

  • 1981 Interne des hôpitaux de Paris
  • 1990 Docteur en médecine
  • 1991 Docteur en biologie moléculaire des organismes eucaryotes
  • 1988–1998 Chercheur dans l’unité Génétique des tumeurs, Institut Curie
  • Depuis 2007 Directeur de l’unité Génétique et biologie des cancers, Institut Curie
  • Depuis 2012 Directeur du Site de recherche intégré sur le cancer (Siric) de l’Institut Curie

Extrait du magazine Science&Santé n°35