Jérôme Galon : Pionnier dans l’immunologie des cancers

Pendant longtemps, nos défenses immunitaires sont restées à l’arrière-plan de la lutte contre le cancer. Jérôme Galon, directeur de recherche Inserm, s’efforce depuis plus de quinze ans de montrer qu’elles ont un rôle important à jouer. Des efforts qui lui valent aujourd’hui d’être le lauréat du prix de l’inventeur européen 2019 pour son test Immunoscore®. Utilisé en clinique, ce test se fonde sur la réponse du système immunitaire de patients atteints de cancer pour prédire leurs risques de rechute et ainsi adapter leur prise en charge.

Un article à retrouver dans le n°45 du magazine de l’Inserm

Jérôme Galon
©Inserm/François Guénet

Chercheur pionnier dans l’immunologie des cancers, Jérôme Galon collectionne les publications prestigieuses et les prix pour ses travaux de recherche. Mais le dernier en date, le prix de l’inventeur européen 2019, vient couronner un autre aspect de sa vie professionnelle : son talent d’entrepreneur. « J’ai toujours eu l’envie de créer une société pour valoriser les découvertes de mon équipe. C’est un honneur que notre test Immunoscore® ait été sélectionné parmi les 165 000 brevets déposés chaque année en Europe », déclare l’immunologiste, ravi. Cet aboutissement confirme par ailleurs que, dans la lutte contre le cancer, notre système immunitaire a bel et bien une place de choix. 

Sa passion pour l’immunologie lui a été transmise par le professeur Michel Seman lors de sa maîtrise en 1992 à Jussieu. « J’étais fasciné par le concept de soi et de non-soi ainsi que par la grande capacité d’adaptation du système immunitaire. C’est incroyable comment nos défenses arrivent à reconnaître n’importe quoi ! », s’enthousiasme-t-il encore. Après son DEA à l’institut Pasteur et une thèse à l’institut Curie soutenue en 

1996, Jérôme Galon traverse l’Atlantique, destination Bethesda, une ville située à une dizaine de kilomètres au nord de Washington. C’est là que se trouve le plus grand centre de recherche des NIH, les National Institutes of Health, institutions américaines chargées de la recherche biomédicale. « Je garde un excellent souvenir de ce post-doctorat. C’était magique : les moyens étaient illimités ! Tout était donc possible, nous utilisions les techniques les plus pointues. Et la proximité des plus grands spécialistes créait une effervescence. Pour moi, cela a été une révélation : j’ai alors su que je voulais poursuivre dans la recherche », se remémore le chercheur. 

Depuis les États-Unis, Jérôme Galon candidate alors en 2000 à un poste Inserm au centre de recherche des Cordeliers* à Paris et l’obtient. De retour à Jussieu, l’immunologiste s’attache à développer un projet de recherche dans un domaine que la plupart des oncologues et des cliniciens ne trouvaient pas digne d’intérêt à l’époque : l’immunologie des cancers. 

Un changement complet de paradigme

« J’étais persuadé que mon expertise acquise aux États-Unis sur le séquençage du génome et sur l’analyse de l’expression des gènes pouvait être utile dans cette discipline. » Le jeune responsable d’équipe se met alors en relation avec des cliniciens pour obtenir l’accès à des cohortes de patients, développe des infrastructures informatiques pour accueillir des bases de données et commence à étudier l’environnement tumoral de tissus cancéreux. « Ce fut un projet long et difficile », se souvient Jérôme Galon. Mais en 2005 les premiers résultats tombent.

« En analysant les paramètres immunitaires de plus de 900 patients atteints de cancer du côlon, nous avons été surpris d’observer que la dissémination de métastases était bloquée chez certains d’entre eux par des lymphocytes T mémoires. » Grâce à l’action de ces globules blancs dont le rôle est de reconnaître une menace à laquelle notre système immunitaire a déjà été confronté, ces patients présentaient un moindre risque de rechute. Des résultats qui pourraient faire évoluer tout le système de classification des cancers utilisé pour déterminer pronostic et traitements. Les tumeurs sont en effet classées en fonction de leur localisation, de leurs caractéristiques, comme leur agressivité, et de la présence de métastases. « Pourtant les lymphocytes T jouent un rôle essentiel dans la progression tumorale. En déterminant leur présence dans la tumeur, leur type, leur nombre et la qualité de leur réponse immunitaire, nous avons pu prédire de manière plus précise les risques de rechute de patients qui souffraient de cancer colorectal. C’est un changement complet de paradigme », déclare Jérôme Galon. Ce concept sera alors désigné sous le nom de « contexture immunitaire » à la suite de la parution en 2006 de ces résultats dans la prestigieuse revue Science. 

Prédire le risque de rechute des patients

C’est à ce moment-là que l’âme d’entrepreneur de Jérôme Galon s’est éveillée. Le chercheur décide en effet que ces travaux doivent avoir un impact clinique. Son objectif : développer un test qui prédise le risque de rechute des patients afin de proposer la prise en charge la plus adaptée. Dans ce but, il dépose de nombreux brevets avec l’aide d’Inserm Transfert puis cofonde la startup HalioDx en 2014. Aujourd’hui, cette société compte 170 employés, dont une vingtaine aux États-Unis, et distribue Immunoscore® dans 28 pays. Concrètement, ce test permet de caractériser cette fameuse contexture immunitaire dans les tissus tumoraux. Pour cela, ces derniers sont analysés à l’aide d’un scanner spécialisé puis un algorithme détermine notamment le nombre de lymphocytes T présents. Plus ces cellules immunitaires sont nombreuses, plus l’Immunoscore® est élevé et plus les chances de survie augmentent. D’abord validé dans le cancer colorectal, cet outil de pronostic est aussi disponible pour certaines tumeurs du poumon, appelées « non à petites cellules » (CPNPC). Et d’autres types de cancer devraient suivre. Par ailleurs, les patients qui présentent un Immunoscore® élevé répondent mieux aux chimiothérapies et potentiellement aux immunothérapies, ces traitements qui boostent les défenses immunitaires contre les tumeurs. À terme, l’Immunoscore® pourrait donc aussi être utilisé pour prédire les réponses des patients aux traitements. « C’est important pour moi de voir que non seulement ces découvertes ont un impact en santé publique, mais qu’elles ont aussi permis de créer une société dynamique », se félicite le chercheur. 

Et ce sont notamment sur ces deux critères que s’est fondé l’Office européen des brevets pour décerner à Jérôme Galon le prix de l’inventeur européen 2019 dans la catégorie Recherche. « Je suis comblé scientifiquement mais toutes ces découvertes n’auraient pas été possibles sans le soutien de l’Inserm et l’aide de mes collègues comme Franck Pagès de l’hôpital européen Georges Pompidou à Paris. » Et le chercheur ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Les derniers travaux de son équipe, publiés dans la revue Nature, suggèrent que le système immunitaire pourrait détecter des changements cellulaires avant même le développement de cancers. Ce qui ouvrirait la voie à des traitements destinés à stimuler nos défenses immunitaires avant la formation de tumeurs. L’immunologie semble donc promise à un avenir de premier plan en cancérologie. 

Dates clés

1992. Master d’immunologie à l’institut Pasteur de Paris 

1992–1996. Thèse d’immunologie à l’institut Curie de Paris 

1997–2001. Post-doctorat au NIH de Bethesda, États-Unis 

2001. Responsable d’équipe Inserm 

Depuis 2007. Directeur de recherche Inserm et responsable de l’équipe Immunologie et cancérologie intégratives au centre de recherche des Cordeliers à Paris 

* unité 1138 Inserm/ Université Paris Diderot/Université Paris Descartes/Sorbonne Université, Centre de recherche des Cordeliers, équipe Immunologie et cancérologie intégrative, Paris