Jacky Goetz : Cancer et métastases, en quête des forces en présence

L’agressivité d’une tumeur met en jeu diverses forces biomécaniques de ses propres cellules et de son environnement proche. Des phénomènes que Jacky Goetz, responsable de l’équipe Biomécanique des tumeurs de Strasbourg, observe puis décrypte. Ses travaux sont aujourd’hui salués par deux prix et une labellisation.

Un article à retrouver dans le n°49 du magazine de l’Inserm

Jacky Goetz ©Inserm/François Guénet
Jacky Goetz ©Inserm/François Guénet

La dangerosité des cancers tient notamment à leur capacité à produire des métastases, c’est-à-dire des cellules qui forment une nouvelle tumeur en passant par la circulation sanguine. « Avec mon équipe, nous étudions, dans le cancer du sein, les mécanismes qui permettent aux cellules cancéreuses circulantes de quitter le sang et de coloniser un nouveau tissu », explique Jacky Goetz, directeur de recherche Inserm au laboratoire d’immunologie et rhumatologie moléculaire* de l’université de Strasbourg. Son approche originale, qui s’appuie sur l’étude des forces biomécaniques impliquées dans ces phénomènes, lui a permis de commencer à percer ce mystère. Elle lui a valu de recevoir en 2020 le grand prix de cancérologie de la fondation Simone et Cino Del Duca de l’Académie des sciences, le Ruban rose Avenir et, cette année, la labélisation de la Ligue contre le cancer. 

Si Jacky Goetz s’intéresse aujourd’hui à la dernière étape de la progression du cancer, c’est tout d’abord la question plus globale de la manière dont une tumeur est capable d’envoyer des cellules envahir d’autres organes qui l’a intrigué. Et à l’image de ce phénomène, son parcours est jalonné d’étapes clés qui l’ont amené à ses travaux actuels. « Le premier déclic pour la science date de la classe de première. J’ai découvert qu’on pouvait visualiser sous tous les angles les protéines en 3D, ce qui a parlé à mon penchant artistique, évoque le chercheur. Le second a eu lieu à l’issue de la maîtrise de biologie. Pour savoir si la recherche académique allait vraiment m’intéresser, j’ai effectué un stage volontaire d’un an avec Inna Gerasymova, étudiante en thèse à l’université de pharmacie de Strasbourg qui travaillait sur la migration des astrocytomes, un cancer du cerveau. » Bilan : il y attrape le virus de la recherche sur la progression des cancers, qui ne le quittera plus. 

Son DEA en poche, comme un clin d’œil aux cellules cancéreuses qui voyagent dans l’organisme, il quitte son port d’attache « car avec ma compagne nous souhaitions voir d’autres horizons ». En octobre 2003, il part donc faire sa thèse au Canada, sous la direction de Robert Nabi de l’université de Colombie-Britannique. « J’y ai étudié la capacité des cellules tumorales à s’ancrer sur le microenvironnement qui les entoure sous l’influence des forces biomécaniques de ce dernier, explique-t-il. En outre, Robert Nabi, dont la curiosité scientifique est immense, a été très important dans la construction de ma personnalité de chercheur. » Enfin, la vie au Canada avec l’omniprésence de la nature était idéale pour le scientifique, qui est aussi triathlète. Toutefois, pour des raisons familiales, le couple décide par la suite de se rapprocher de Strasbourg. En janvier 2008, il fera donc son post-doctorat en Espagne, dans l’équipe de Miguel Angel del Pozo au Centre national de recherches cardiovasculaires Carlos III à Madrid. « J’ai alors étudié comment certaines cellules à l’origine saines sont capables de remodeler l’environnement tumoral », précise Jacky Goetz. En parallèle, s’intéressant à la microscopie, il imagine des approches pour visualiser des étapes clés de la progression métastatique dans des modèles animaux. 

Le voir pour le croire

Madrid étant trop « urbaine » pour le sportif, début 2010, il met le cap sur Strasbourg et le laboratoire de Julien Vermot à l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire** d’Illkirch. Lors de ce second post- doctorat, il apprend à maîtriser le modèle poisson-zèbre et étudie, grâce à la microscopie « intravitale » sur les embryons vivants, la capacité de la paroi des vaisseaux sanguins à répondre aux forces du flux. « Des travaux très utiles à nos études actuelles sur la formation des métastases », souligne le chercheur. De fait, depuis 2013 et la création de son groupe Inserm, il met en œuvre cette démarche Seeing is believing (« il faut le voir pour le croire ») afin d’étudier la progression du cancer du sein et aboutit à quatre études majeures. L’équipe montre en effet que la paroi des vaisseaux sanguins se remodèle autour de la cellule tumorale circulante qui entrave le flux. Elle lui permet ainsi de sortir et de former un foyer métastatique. Au cours du même processus, l’équipe observe que les cellules cancéreuses ont un Velcro® pour s’attacher à la paroi vasculaire et résister aux forces du flux. Par ailleurs, elle se penche sur les vésicules extracellulaires. « Ces gouttelettes lipidiques d’une centaine de nanomètres transportent de nombreuses molécules actives. Sécrétées par les tumeurs avant le départ des cellules cancéreuses, elles colonisent les organes et préparent le terrain pour permettre à ces dernières de devenir métastatiques, explique Jacky Goetz. Or, grâce à la microscopie intravitale, nous avons réussi à les visualiser pour la première fois au monde. » L’équipe montre ensuite que si les cellules tumorales sont dépourvues des gènes RAL‑A et RAL‑B (pour RAS Like Proto-Oncogene A et B), les vésicules qu’elles sécrètent perdent en efficacité. « Les tumeurs du sein qui expriment faiblement ces deux gènes sont moins agressives, complète le chercheur. L’analyse moléculaire de ces vésicules prélevées par une simple prise de sang pourrait donc améliorer le diagnostic de ce cancer. » Des travaux fondamentaux porteurs d’espoirs comme en témoignent aujourd’hui les nombreux prix reçus. 

Dates clés

2003. DEA en pharmacologie 

2007. Doctorat en sciences de la vie effectué au Canada et soutenu à l’université de Strasbourg 

2013. Création de l’équipe Inserm Biomécanique des tumeurs 

2014. Habilitation à diriger des recherches 

2020. Grand prix de cancérologie de la fondation Simone et Cino Del Duca et prix Ruban rose Avenir 2020 (dotation 110 000 €) 

2021. Labélisation de la Ligue contre le cancer (dotation de 3 ans + 2 ans, avec une première année à 60 000 €) 

Notes :
* unité 1109 Inserm/Université de Strasbourg, équipe Biomécanique des tumeurs
** unité 1258 Inserm/CNRS/Université de Strasbourg ; Imperial College London (Royaume-Uni)