Erwan Bézard : Une vie entièrement dévouée aux malades

Depuis vingt ans, ce neurobiologiste spécialiste de la maladie de Parkinson n’a de cesse que ses recherches profitent aux malades et de travailler en synergie avec ses collègues chercheurs et médecins. Une philosophie qui anime l’ensemble de l’Institut des maladies neurodégénératives de Bordeaux qu’Erwan Bézard dirige.

Erwan Bézard © Inserm/Guénet, François

Le 8 juin 2016, Erwan Bézard, directeur de l’Institut des maladies neurodégénératives (IMN) de Bordeaux, a reçu le Grand Prix scientifique de la Fondation Simone et Cino Del Duca pour ses travaux sur la maladie de Parkinson. « Précisément, je partage ce prix avec Ronald Melki de l’Institut des neurosciences Paris-Saclay qui travaille sur les aspects cellulaires, tandis que je suis sur les versants animaux et humains », souligne-t-il. Une précision à l’image de sa démarche scientifique qui va de la cellule au malade, mais aussi à celle de l’homme attentif à son entourage, comme en témoigne son parcours. 

Breton d’origine, il rejoint Bordeaux juste après son DEUG de biologie, car « ma future femme y poursuivait ses études et que c’était la seule université à proposer une licence en neurosciences », relate-t-il. Ses racines y prennent sans souci – peut-être que le rugby pratiqué à Bordeaux, puis à Salies-de-Béarn, y est pour quelque chose. Et c’est en toute logique qu’en 1995, il intègre, au CNRS, le laboratoire de neurophysiologie de Bernard Bioulac, sous la direction de Christian Gross pour sa thèse sur la maladie de Parkinson. « En 1993, cette équipe, dans laquelle il y avait aussi leur collègue chercheur Abdelhamid Benazzouz, avait mis au point la chirurgie par stimulation cérébrale profonde dans cette pathologie. C’était enthousiasmant de vivre cette recherche appliquée, se souvient- il. Et j’ai adhéré à cette philosophie de travail chère à Christian Gross. » Côté étude, son intérêt se porte sur les phénomènes compensatoires qui font que les symptômes n’apparaissent que lorsqu’il y a des lésions importantes du cerveau. Après Bordeaux il poursuit, en 1999, ses travaux dans le laboratoire d’Alan Crossmann à l’université de Manchester en Grande-Bretagne. 

Par ailleurs, à cette époque, il mesure que pour mener des études précliniques sur la maladie de Parkinson, « il faut disposer d’un nombre statistiquement valide de primates ». Faute de structure adéquate en Europe, il part en Chine en quête d’un élevage. Une expérience dont il sourit encore. 

Je me suis retrouvé seul dans une ferme au fin fond du pays, avec mes équipements de laboratoire, sans parler un mot de chinois et face à des gens qui eux ne parlaient ni anglais, ni français, raconte-t-il. Seuls moyens de communication : les gestes et l’exemple. Mais ça a marché.

Pour preuve, ce lieu est devenu une extension du laboratoire bordelais et Erwan Bézard s’y rend plusieurs fois par an pour y mener ses études sur les primates. En revanche, comme il le reconnaît en riant, « côté apprentissage du chinois, je ne dispose encore aujourd’hui que d’un kit minimal de survie ».

L’aventure en Angleterre est donc profitable mais, sa femme travaillant à Bordeaux, le neurobiologiste réintègre son ancien laboratoire, tandis que ses travaux prennent une nouvelle voie. Toujours désireux, « comme [ses] modèles Christian Gross, Alan Crossman ou Mohamed Jaber de Poitiers » que les recherches profitent aux malades, il trouve que « l’étude des phénomènes compensatoires n’aboutit pas assez à des applications ». Il oriente donc ses recherches vers les dyskinésies, un effet secondaire des traitements. En effet, l’un des traitements de la maladie de Parkinson, la lévodopa, permet de compenser la disparition progressive de la dopamine, un messager chimique qui assure la communication entre les neurones. Pendant quelques années, l’effet est bénéfique, mais après cette « lune de miel », comme l’appelle le neurobiologiste, le malade développe des mouvements anormaux involontaires, appelés donc dyskinésies. 

« C’est alors que j’ai rencontré Pierre Sokoloff [alors neurobiologiste au Centre Paul Broca à Paris, ndlr.] avec lequel j’ai mené la première étude sur ce thème à partir de 2001. À l’époque, j’étais encore naïf et j’étais sûr que nous aboutirions très vite, reconnaît-il. Aujourd’hui, je sais que le développement d’un traitement est très long… » Mais pas impossible puisqu’un traitement a fait l’objet d’un essai clinique positif de phase 2 chez 50 malades et entre actuellement en phase 3. Il permettrait de moduler le récepteur d’un neurotransmetteur, le glutamate, qui répond de manière démesurée à la dopamine chez les malades, ce qui entraîne les dyskinésies. Si les bénéfices se confirment, Erwan Bézard sera arrivé à son but, soulager les patients, mais là n’est pas sa seule réussite. 

En effet, bien avant ça, en 2010, sous le patronage de Bernard Bioulac, on lui confie la création, puis la direction de l’IMN de Bordeaux, afin d’y développer une approche intégrée. « C’est un lieu qui rassemble des chercheurs et des médecins, un plateau de recherche et de soins, où nous pouvons aller des cellules aux malades. En outre, chose rare pour ce type de structure, j’en assure la direction alors que je ne suis pas médecin. Mais cela aurait été impossible sans l’investissement de François Tison, neurologue et directeur adjoint en charge de la recherche clinique, souligne-t-il. Enfin, je suis très fier qu’une pièce soit réservée aux associations de malades. Et grâce à celle de la Maison du Cerveau, chercheurs, médecins et patients font connaître au grand public les maladies du cerveau. »

Pas de doute, vingt ans après ses débuts, Erwan Bézard reste fidèle à la philosophie de Christian Cross et à l’IMN et intervient très régulièrement aux États-Unis, en Chine et dans toute l’Europe. Et au niveau humain, là encore, ses valeurs n’ont pas varié : respect et consensus semblent être ses maîtres-mots. « Parmi les personnes qui m’entourent, il ne faut pas oublier Benjamin Dehay, un jeune chercheur qui devrait prendre ma suite scientifique », tient-il à préciser. Drôle de remarque pour quelqu’un d’à peine 46 ans, mais « c’est normal d’anticiper car je tiens à une transition douce comme a su la mener Bernard Bioulac avec moi. » Néanmoins, la retraite n’est pas pour demain et son agenda est bien rempli. Alors, pour tenir le rythme, il sait se ménager des moments pour souffler, « notamment pour éviter d’être épouvantable au travail, reconnaît-il en riant. En l’occurrence, avant, il y avait le rugby – un excellent défouloir – mais l’âge aidant, je suis revenu à la compétition équestre que je pratique depuis que je suis enfant. » Là encore, il s’agit de sauter des obstacles, mais ceux-là, il les surmonte en famille. 

En savoir plus sur Erwan Bézard

Erwan Bézard est directeur de l’Institut des maladies neurodégénératives (IMN, unité 5293 Inserm/CNRS) à Bordeaux. 

Dates clés

  • 1998 Docteur en neurosciences – Université Bordeaux-II
  • 1999–2001 Post-doc à l’université de Manchester (Grande-Bretagne)
  • 2007 Responsable de l’équipe Physiopathologie des syndromes parkinsoniens de l’IMN
  • 2010. Directeur de l’Institut des maladies neurodégénératives de Bordeaux
  • 2011–2014 Prime de l’excellence scientifique de l’Inserm

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Extrait du magazine Science&Santé n°32