Denis Guilloteau : la polyvalence au bénéfice des malades

Denis Guilloteau, pharmacien de formation et spécialiste de l’imagerie du cerveau, a mis tout en œuvre pour que ses recherches quittent le laboratoire et intègrent les services hospitaliers. Une démarche reconnue par l’Académie nationale de pharmacie qui lui a décerné le prix d’Honneur 2017.

Denis Guilloteau © Inserm / François Guénet
Denis Guilloteau © Inserm / François Guénet

« En débutant mes études de pharmacie dans les années 1970, je voulais travailler dans un laboratoire d’analyses biomédicales, jusqu’à ce que je fasse un stage au centre hospitalo-universitaire de Tours », explique Denis Guilloteau, radiopharmacien spécialiste de l’imagerie du cerveau, qui a reçu le prix d’Honneur 2017 de l’Académie nationale de pharmacie. « J’y ai été accueilli dans le service d’imagerie fonctionnelle dirigé par Thérèse Planiol. Cette spécialiste mondiale de médecine nucléaire en neurologie était une professionnelle fantastique qui savait transmettre sa passion. »

Dès lors, le virus de l’imagerie ne quittera plus Denis Guilloteau. Il termine ses études de pharmacie, les complète avec une thèse en pharmacochimie, et se spécialise sur les marqueurs radioactifs utilisés en imagerie à l’Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN) à Saclay. Schématiquement, un atome radioactif est associé à une molécule. Celle-ci est choisie en fonction du paramètre biologique à mesurer (respiration, dégradation des sucres…) et son devenir dans l’organisme est suivi grâce aux particules émises par le traceur. 

Puis le jeune chercheur retourne au CHU de Tours, innovant pour l’époque à plus d’un titre. « L’équipe était composée de personnes d’origines très diverses : polytechniciens, ingénieurs, pharmaciens, médecins…, souligne-t-il. En outre, certains avaient plusieurs compétences, comme Léandre Pourcelot, qui était ingénieur et médecin, et dont les travaux sur les ultrasons étaient déjà mondialement reconnus. » Ce dernier avait apporté à Tours le premier appareil européen à effet Doppler à ultrasons pour l’étude de la circulation sanguine. Cette machine émet des ultrasons qui sont « renvoyés » par les globules rouges : la variation de la fréquence des ondes réfléchies détermine ainsi la vitesse du sang. En 1972, le docteur Pourcelot mettra au point les premières échographies en temps réel, qui révolutionneront notamment le suivi des grossesses. Un pionnier donc, mais pas qu’en sciences. 

En 1968, pour valoriser ses travaux, il crée la société Delalande électronique avec le laboratoire pharmaceutique du même nom. Cette démarche marquera Denis Guilloteau, qui sera non seulement chercheur, mais aussi chef du service de médecine nucléaire in vitro au CHU de Tours, cofondateur avec le laboratoire Cyclopharma du Centre d’études et de recherches sur les radiopharmaceutiques (CERRP) et enseignant. 

Grâce à l’imagerie, nous abordions donc la psychiatrie d’un point de vue biologique.

Un parcours à l’image des valeurs qui l’ont porté dès les premières années au sein du groupe créé par Thérèse Planiol. « Le maître mot de l’équipe était l’excellence, mais c’était empreint de bienveillance. Léandre Pourcelot nous menait tout en douceur vers là où il voulait, se remémore-t-il. Quand il a créé une unité Inserm en 1988, je l’ai donc suivi. Unité à la tête de laquelle je l’ai remplacé en 2004, sans en changer les fondements. » En effet, dès sa création, l’unité a allié recherche et clinique puisque codirigée par Léandre Pourcelot et le psychiatre Gilbert Lelord. « Grâce à l’imagerie, nous abordions donc la psychiatrie d’un point de vue biologique. C’est d’ailleurs ainsi qu’ils ont été parmi les premiers à prouver que les mamans n’étaient pas responsables de l’autisme de leurs enfants », rappelle-t-il. 

« Puis, au fil des ans, nous nous sommes intéressés aux maladies neurodégénératives comme Alzheimer, la sclérose latérale amyotrophique (SLA), la maladie de Parkinson… », poursuit-il. L’objectif était de trouver des moyens de visualiser le fonctionnement du cerveau, et en miroir ses dysfonctionnements. L’équipe développera de nombreux traceurs, dont l’un des plus couramment utilisés encore aujourd’hui : PE2I. Cette molécule marquée au carbone radioactif (le carbone 11), mise au point en 1998 par Denis Guilloteau et son collègue Patrick Emond dont elle porte les initiales, permet de tracer la dopamine.

Ce neurotransmetteur est l’élément clé de la communication entre les neurones dopaminergiques dans notre cerveau, dont la destruction est à l’origine de la maladie de Parkinson. « Depuis, pour gagner en efficacité, nous avons développé plus d’une dizaine de traceurs de la dopamine, dont le dernier, LBT-999, fait l’objet d’un essai chez des malades. Notre objectif est comme toujours de pouvoir transférer ce traceur aux services hospitaliers », souligne Denis Guilloteau, qui reste à la fois chercheur, praticien hospitalier et fervent supporteur du rapprochement entre les structures publiques et les industriels. 

C’est dans cet esprit qu’en 2006, il fonde avec Jean-Bernard Deloye, directeur général du laboratoire Cyclopharma, le CERRP. Ce partenariat entraînera notamment l’implantation d’un cyclotron à Tours. Cet accélérateur de particules, qui permet l’obtention d’atomes radioactifs, comme le fluor 18 ou le carbone 11, a facilité par exemple le développement du traceur AV45 utilisé dans la maladie d’Alzheimer. Cette pathologie est pour partie due à l’accumulation anormale entre les neurones d’une protéine appelée « peptide bêta-amyloïde ». Ces plaques d’amyloïde étaient observables uniquement lors d’autopsies jusqu’à la mise au point d’AV45 par l’Américain Hank F. Kung de l’université de Pennsylvanie au milieu des années 2000. Or, ce traceur a été produit pour la première fois en Europe par le CERRP, ce qui a permis de l’évaluer dès 2011 chez des malades en France et a contribué à sa mise sur le marché en 2015. 

Le choix du chercheur américain de confier cette production au CERRP illustre aussi l’intérêt de Denis Guilloteau pour les collaborations internationales. « Je ne suis pas spécialement attiré par les voyages, mais j’aime rencontrer des gens différents, ce qui m’a amené à collaborer il y a plus de vingt ans avec Hank F. Kung, ou avec le Suédois Christer Halldin de l’institut Karolinska de Stockholm, avec lequel j’ai travaillé, depuis le traceur PE2I jusqu’au LBT-999. Au fil des ans, ce sont devenus des amis très proches, explique-t-il. De même, j’ai apprécié enseigner aux étudiants de l’INSTN et dans le cadre de programmes européens, et accueillir de jeunes chercheurs. Les différences d’origine, de culture, de vécu… sont toujours enrichissantes. »

Je n’aurais pas pu être seulement chercheur, ou pharmacien, ou enseignant…

Et la transmission, un réel plaisir, pourrait-il ajouter. « J’ai enseigné à la faculté de pharmacie et celle de médecine, en particulier pour les premières années. Les étudiants sont obnubilés par le concours, mais en faisant cours de manière “un peu théâtrale” et vivante, on peut arriver à leur transmettre notre passion et leur montrer que l’horizon est vaste, qu’il n’y a pas qu’une seule voie pour peu qu’on s’accroche, souligne-t-il. D’ailleurs, j’avoue que je n’aurais pas pu être seulement chercheur, ou pharmacien, ou enseignant… ni simple retraité demain. »

Nous le croyons sur parole. L’an dernier, il a passé la main de la direction de l’unité Inserm à Catherine Belzung. Le 30 août, il quittera définitivement le CHU, mais l’aventure continue. Son prochain objectif : aider à l’implantation d’outils d’imagerie au Sénégal, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Togo, selon son adage « l’expérience peut servir ».