Déborah Bourc’his : Pasionaria de l’épigénétique

Depuis 20 ans, Déborah Bourc’his se fascine pour les mécanismes épigénétiques qui affectent l’ADN des mammifères, notamment lors de la reproduction. Grâce aux découvertes qu’elle a réalisées, la chercheuse vient de recevoir le prix Liliane-Bettencourt pour les sciences du vivant.

Déborah Bourc'his © Inserm/Guénet, François
Déborah Bourc’his © Inserm/Guénet, François

Enfant, Déborah Bourc’his avait une conception bien particulière de la biologie : dans les forêts de Touraine, elle cherchait des silex taillés par des hommes de Cro-Magnon. D’autres jours, elle cueillait fleurs et autres plantes, puis les classait consciencieusement dans des herbiers. « J’aimais réaliser des collections avec ce je trouvais dans la nature », se souvient- elle. Quatre décennies plus tard, cette passion ne l’a pas quittée : dans son laboratoire de l’institut Curie, à Paris, elle se fascine pour la collection des dizaines de milliers de gènes contenus dans l’ADN des mammifères. « Je pensais devenir médecin, explique la scientifique. Mais j’ai été très attirée par la génétique au lycée. C’étaient des exemples simples, mais la gymnastique de l’esprit nécessaire pour approcher ce domaine, et cette idée de transmission, d’hérédité, m’ont fascinée. » Son père, professeur de français, et sa mère, cadre à l’hôpital, l’encouragent. « Je m’engageais dans une filière prestigieuse, tout le monde était ravi. »

Sur les bancs de la fac, aux débuts des années 1990, la jeune femme voit naître une petite révolution. Au milieu des termes habituellement utilisés pour parler de génétique (l’ADN, les gènes, la réplication), une nouvelle notion apparaît : la méthylation – soit le fait que l’ADN puisse subir des modifications biochimiques naturelles, via l’ajout de groupements méthyle. L’activité des gènes peut en être modifiée, sans que la séquence de l’ADN change. Cette méthylation peut aussi être transmise lors des divisions cellulaires, voire aux générations suivantes. Bientôt, cette révolution s’appellera l’épigénétique.

Nous n’y comprenions pas grand-chose mécanistiquement mais il était clair que tout ce que nous savions jusque-là sur la transmission des caractères devait intégrer ces nouvelles connaissances. J’ai immédiatement su que je voulais travailler sur la méthylation de l’ADN

Peu de laboratoires s’intéressent alors à ce sujet. En 1996, la jeune chercheuse rejoint celui d’Evani Viegas-Péquignot, à l’hôpital Necker à Paris, pour réaliser une thèse sur le syndrome ICF, une maladie génétique rare liée à un défaut constitutif de méthylation et associant une immunodéficience, une instabilité chromosomique et des anomalies faciales. Là, elle identifie des mutations de méthylation DNMT3B. En 2000, la « méthyleuse en herbe » s’envole pour les États-Unis. « Vivre à New York était un rêve d’enfant. Mon grand-père était parti y travailler dans les années 1920 et j’ai toujours été émerveillée par ses histoires. Quand j’avais 5 ans, il m’a appris à siffler les taxis avec les doigts comme là-bas ! » rit-elle encore. 

À la prestigieuse université Columbia, au sein du département de génétique et de développement, elle découvre lors de son post-doctorat que les spermatozoïdes et les ovules ont besoin d’une stimulation spéciale pour acquérir la méthylation de leur ADN, via le cofacteur3 DNMT3L. « Une expérience fabuleuse, se souvient-elle. J’y ai rencontré Timothy Bestor, mon mentor. Il y avait une émulation intense à travailler à ses côtés, à échanger autour des concepts qui émanaient de nos recherches. Nous sommes restés très proches. »

En 2009, après avoir été recrutée comme chercheuse à l’Inserm, une opportunité tout aussi enthousiasmante s’ouvre. L’épigénétique est bouleversée par l’arrivée des technologies de cartographie à grande échelle. Celles-ci permettent d’analyser l’ensemble des modifications épigénétiques de l’ADN du génome mais aussi des histones3 autour desquelles s’enroule la molécule d’ADN.

L’institut Curie, avec le soutien du CNRS, de l’Inserm et de l’université Pierre-et- Marie-Curie, ouvre une nouvelle unité dédiée à la génétique et à la biologie du développement. « Edith Heard, qui dirige cette unité, m’a demandé de les rejoindre pour créer une des équipes, centrée sur les décisions épigénétiques et la reproduction des mammifères », explique la chercheuse. 

Nous n’étions que quatre chefs d’équipe et il a fallu tout faire, jusqu’au recrutement de nos futurs collègues ! C‘est une opportunité formidable de construire une identité scientifique. Nous sommes aujourd’hui plus d’une centaine de personnes et dix équipes.

Celle de Déborah Bourc’his a récemment réalisé deux découvertes : la démonstration que la taille des individus à l’âge adulte est déterminée dès les premiers jours de développement par la méthylation indélébile d’une séquence d’ADN particulière, puis l’identification inattendue d’une nouvelle ADN méthyltransférase – une enzyme qui permet la méthylation –, baptisée DNMT3C et spécialisée dans la méthylation des spermatozoïdes et la fertilité mâle. Au total, la chercheuse aura donc décrypté trois des cinq méthyltransférases connues (DNMT3B, DNMT3L et DNMT3C). 

Questionnée sur les dissensions qui animent le monde de l’épigénétique, elle se range volontiers du côté de ce qu’elle nomme « la police de l’épigénétique ». « On peut me trouver rigide, mais je pense qu’il faut que cette discipline avance dans un cadre bien défini : nous devons avant tout travailler à bien comprendre les mécanismes fondamentaux qui régissent l’épigénétique. Or beaucoup de chemin reste à faire. D’autres préfèrent déjà parler d’influence de l’environnement sur ces marques épigénétiques : cette dérive conduit selon moi à galvauder ce qu’est réellement l’épigénétique, soit un mécanisme avant tout normal du développement, et non pas quelque chose qui affectera forcément négativement la santé de l’individu », explique-t-elle. 

Déborah Bourc’his a un avenir proche bien rempli : maman d’un jeune enfant, Merlin, elle vient de recevoir le prix Liliane-Bettencourt pour les sciences du vivant. Doté de 300 000 euros, il récompense un chercheur de moins de 45 ans reconnu pour la qualité de ses publications, son statut de référent dans son domaine, un projet de recherche prometteur mais aussi des qualités humaines remarquées. Il va permettre à la scientifique d’assurer le salaire de post-doctorants mais aussi de s’engager dans des approches innovantes, rarement soutenues par les agences de financement. « Les bonnes nouvelles de cette envergure sont rares dans le monde de la recherche française. Je suis extrêmement fière et honorée d’avoir reçu ce prix, d’autant plus qu’il n’était pas revenu à une femme depuis 2009. L’inégalité de genre dans les positions de direction de la recherche est réelle. Les jeunes femmes ont besoin de modèles de réussite professionnelle conciliée à une vie familiale et sociale épanouie », conclut la chercheuse. 

En savoir plus sur Déborah Bourc’his

Déborah Bourc’his dirige l’équipe Décisions épigénétiques et reproduction chez les mammifères (unité 934 Inserm/CNRS/Institut Curie/Université Pierre-et-Marie-Curie, Génétique et biologie du développement) à l’Institut Curie à Paris. 

Dates clés

  • 1996–2000 Doctorat à l’hôpital Necker à Paris
  • 2000–2005 Post-doctorat à l’université Columbia à New York
  • 2005–2009 Chargée de recherche Inserm à l’université Paris-Diderot à Paris
  • 2009. Chef de l’équipe Décisions épigénétiques et reproduction chez les mammifères, unité Génétique et biologie du développement de l’institut Curie à Paris
  • 2017. Prix Liliane-Bettencourt pour les sciences du vivant

Extrait du magazine Science&Santé n°38