Phase 1 : Elle teste un nouveau médicament

Sophie n’est pas malade mais a accepté de tester une nouvelle molécule dont on ignore les effets. Comment se passe ce type d’essai clinique et quels sont les risques ? C’est ce que nous raconte le journaliste et neuroscientifique Chandrou Koumar qui a suivi cette « volontaire saine » à l’hôpital de Tours dans le cadre du projet Nebuflag. À la clé ? L’espoir d’un médicament développé dans les laboratoires de recherche publique de l’Inserm et une victoire contre l’antibiorésistance.

« Elle teste un nouveau médicament… alors qu’elle n’est pas malade » est l’épisode 15 de la saison 1 des Volontaires, le podcast de l’Inserm avec les citoyennes et les citoyens qui font avancer la recherche médicale.

Invités

  • Hélène Bansard est infirmière au Centre d’investigation clinique de Tours.
  • Antoine Guillon est médecin réanimateur et investigateur principal de l’étude Nebuflag.
  • Valérie Gissot est médecin investigateur au centre d’investigation clinique de Tours.

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Transcription de l’épisode

MUSIQUE GÉNÉRALE

Chandrou : Bonjour, j’espère que vous vous portez bien. Je suis très heureux de vous retrouver depuis le CHRU de Tours pour aller à la rencontre d’une volontaire qui fait avancer une étude scientifique de l’Inserm. Pour les besoins de l’étude, elle doit rester anonyme. Mais disons qu’elle s’appelle Sophie, qu’elle a 42 ans et qu’elle est passionnée d’apiculture. Difficile d’imaginer que cet ingénieure de recherche, habituée des laboratoires, va tester la toxicité d’un possible futur médicament… pour faire avancer la médecine.

Hélène : Je vais mettre l’aérogène en route. Donc il y a un nuage qui va commencer à se former. Vous respirez tranquillement.

Chandrou : Vous écoutez Les Volontaires, le podcast qui va à la rencontre de celles et ceux qui participent à la recherche médicale du seul organisme de recherche publique entièrement dédié à la santé humaine : l’Inserm.

Je suis Chandrou Koumar, journaliste et docteur en neurosciences. Pour cet épisode, on va se demander comment on développe un nouveau médicament. Et pour cela, on se penche sur la troisième cause de décès dans le monde, il s’agit des infections respiratoires. Parmi elles…, il y a la pneumonie, qui peut être causée par des bactéries qui infectent les poumons. Ces bactéries sont de plus en plus résistantes au traitement antibiotique. On parle de bactéries multirésistantes. Afin d’y remédier, les scientifiques de l’Inserm et de l’institut Pasteur de Lille, ainsi que leurs partenaires, ont développé une nouvelle molécule qui pourrait aider les patients et qui s’appelle le Flamod. Mais avant que le médicament soit disponible en pharmacie, comment le valide-t-on ? Qui est assez courageux pour faire partie des premiers êtres humains à tester une nouvelle molécule dont on ignore les effets ?

Sophie : C’est intrigant de se demander ce que ça peut nous faire.

Chandrou : Comment réduit-on les risques qu’encourent les volontaires ?

Hélène : Si jamais vous avez un petit souci... vous me faites un signe de la main.

Chandrou : Pour répondre à ces questions, je vais suivre Sophie dans sa participation à l’essai clinique Nebuflag du centre d’investigation clinique du CHRU de Tours et qui vise à évaluer la toxicité d’un possible nouveau traitement des pneumonies antibioresistantes.

FIN MUSIQUE GÉNÉRIQUE

Je suis dans le bâtiment du centre d’investigation clinique de Tours avec Sophie.

Sophie : Bonjour, je m’appelle Sophie, j’ai 42 ans.

Chandrou : Si elle doit rester anonyme, c’est pour que les scientifiques qui analysent les résultats ne puissent pas savoir de qui il s’agit pour qu’ils puissent rester neutres dans l’analyse des données. Là ‚Sophie est assise dans un fauteuil et elle attend patiemment.

Hélène : On a reçu le traitement donc je vais venir avec le docteur Gisseau pour faire l’administration, je vais vous demander de vous moucher et ensuite vous laver les mains et je vais venir dans cinq minutes

Chandrou : Elle est accompagnée d’Hélène Bansard.

Hélène : Bonjour je suis infirmière au centre d’investigation clinique depuis 2008.

Chandrou : Sophie contribue à un essai clinique de phase 1, c’est-à-dire qu’elle fait partie des premières personnes à tester le potentiel médicament. Attention, là, l’objectif n’est pas de savoir si le médicament est efficace, mais plutôt d’évaluer sa tolérance et d’observer son éventuelle toxicité. Ainsi, contrairement à ce qu’on peut penser, Sophie n’est pas atteinte d’une pneumonie ou de quoi que ce soit d’autre. Elle est bonne santé, c’est une volontaire saine !

Hélène : Allez‑y, installez-vous dans le fauteuil. Donc, je vais brancher le tuyau sur l’air. Je vais vous mettre le masque sur le nez, je vais vous demander d’enlever vos lunettes. Pendant l’administration, vous ne devrez pas parler. Vous allez avoir un peu de condensation sur les joues, vous allez laisser faire. Il ne faudra pas renifler, il faudra respirer normalement. Et si jamais vous avez un petit souci, vous faites un signe de la main.

Chandrou : Alors Sophie, comment on se sent là, une fois qu’on a le petit masque dans la main et qu’on est à quelques secondes de l’administration ?

Sophie : Un peu impatiente quand même, et puis finalement un petit peu stressée d’arriver à respirer correctement.

TAPIS MUSICAL

Chandrou : La molécule testée est un aérosol qui s’administre un peu comme de la ventoline. Sophie met un masque sur son nez et sur sa bouche. Elle inspire et la molécule va directement dans ses poumons.

Hélène : Je vais mettre l’aérogène en route. Donc il y a un nuage qui va commencer à se former. Vous respirez tranquillement. Est-ce que vous êtes à l’aise ?

FIN TAPIS MUSICAL

Donc ne répondez pas, ne parlez pas. On a commencé à 10h54, ça va durer entre 8 et 10 minutes, c’est très variable.

Chandrou : Ce que Sophie ne sait pas, c’est si la molécule dans l’aérosol est bien du Flamod, ou alors un placebo. Pour comprendre comment il fonctionne, je vais à la rencontre d’Antoine Guillon.

Antoine : Je suis médecin réanimateur et je suis investigateur principal de l’étude Nebuflag.

Chandrou : Ainsi que de Valérie Gissot.

Valérie : Je suis médecin-investigateur au centre d’investigation clinique.

Chandrou : Dans l’étude Nebuflag, vous avez décidé de faire deux groupes. Un premier groupe qui va tester la molécule, le flamod, et puis un deuxième groupe qui teste le placebo. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Antoine : Le flamod, en fait, c’est une molécule qui est dans un diluant et si on observe un effet, on veut être sûr que cet effet soit bien attribuable à la molécule et pas au diluant. Et d’avoir quelques volontaires qui n’ont que le diluant, ça nous permet de faire ce tri, d’être sûr que les effets sont attribuables à la molécule et pas un effet dit non spécifique attribué au diluant.

Chandrou : Sophie, ça fait 15 minutes qu’on vous a administré la molécule. Pour des raisons réglementaires liées à l’étude, je ne peux pas vous demander comment vous vous sentez physiquement. Ça fait partie du secret de cette recherche clinique. Par contre, ce qui m’intéresse, c’est de savoir comment vous vous sentez émotionnellement.

Sophie : Je me sens bien, je me sens un peu excitée, c’est vrai que c’est... C’est stimulant de ne pas savoir quelle molécule on a eu. C’est intrigant de se demander ce que ça peut nous faire.

Chandrou : Est-ce que vous essayez de savoir si vous avez ingéré la molécule d’intérêt ou le placebo ?

Sophie : Oui et non j’ai pas envie d’être trop à l’écoute pour pas me créer des symptômes et en même temps, j’aimerais bien savoir, mais enfin, d’avoir la réponse naturelle, mais j’essaye de pas être trop à l’écoute quand même.

TAPIS MUSICAL

Chandrou : Une heure après l’administration, Hélène vient surveiller l’état de Sophie et réaliser des prélèvements qui permettent d’évaluer des potentiels effets toxiques indésirables.

FIN TAPIS MUSICAL

Hélène : Je vais vous prendre la tension, la fréquence respiratoire, vous faire la prise de sang et la nasosorption. Donc c’est pour un petit buvard qui absorbe le mucus qu’il y a dans la narine. Je vais introduire ce buvard dans votre narine et après vous allez presser avec votre doigt contre la narine. On le laisse 2 minutes en place.

Antoine : Alors, les principaux prélèvements sont là pour surveiller la sécurité des patients. Donc, c’est ça qui prime. Et on a d’autres types de prélèvements qui sont un objectif plus secondaire pour voir si on commence à avoir une efficacité biologique.

Chandrou : Valérie Gisseau, quels risques pour les volontaires, pour qui c’est le Flamod qui est administré ?

Valérie : Déjà comme toute première molécule qu’on administre, on ne sait pas quelles peuvent être les réactions allergiques. Donc c’est d’abord et avant tout ça, et là c’est une molécule qui est administrée par aerosol, donc ce qu’il pourrait y avoir c’est une réaction inflammatoire du poumon.

Sophie : Je sais qu’il y a eu des études avant qui ont été faites en pré-clinique donc du coup je suis tout à fait sereine sur l’administration sur l’Homme et puis il y a déjà eu des personnes qui l’ont fait et si l’étude n’a pas été arrêtée c’est qu’on le tolère très bien pour le moment.

Valérie : Déjà, avant de pouvoir participer, on vérifie que la santé du volontaire n’y a pas de problème. Donc, elle a déjà, lors d’une précédente visite, fait un petit check-up. Déjà, c’est une première sécurité. Et sinon, le jour de l’administration, déjà, on n’administre qu’un volontaire à la fois et on attend au minimum 24 heures pour faire une deuxième administration. Et tout ça est très réglementé et surveillé.

Antoine : Ce qu’il faut bien comprendre que c’est une démarche pas à pas, c’est-à-dire que chaque volontaire bénéficie de l’expérience du volontaire qui le précède pour qu’on soit en capacité d’arrêter si on juge qu’on doit arrêter ou d’augmenter les doses de façon très très très progressive en partant une toute petite dose. Et donc il y a une cohérence comme ça globale du projet qui permet de gagner en sécurité. Tout ça, c’est évalué par des comités qui sont indépendants. Et qui permettent aussi d’avoir un regard extérieur et c’est pas que nous qui prenons ces décisions.

Chandrou : Imaginons que là, Sophie a un effet indésirable grave, qu’est-ce qui se passe ?

Valérie : Elle sera prise en charge tout de suite. Déjà moi en tant que médecin sur place, je serais là rapidement, mon bureau est en face de la chambre et après on est dans une structure pour avoir l’autorisation de faire ces études-là. On a une ligne exprès pour appeler un réanimateur, on n’a même pas besoin de faire de numéro, il peut être sur place en moins de deux minutes, et on a déjà dans la chambre tous les matériels nécessaires avec un chariot d’urgence. Donc on est vraiment équipé pour agir tout de suite.

TAPIS MUSICAL

Chandrou : L’essai clinique Nebuflag concerne 40 volontaires sains, entre 18 et 65 ans, qui vont tester le Flamod ou le placebo pour aider les équipes scientifiques à évaluer la toxicité du traitement. Étape indispensable pour pouvoir évaluer ensuite son efficacité thérapeutique. La pneumonie antibiorésistante est causée par des bactéries qui résistent aux antibiotiques qui infectent les poumons des patients. L’objectif du Flamod est donc d’augmenter l’immunité des patients pour aider les antibiotiques à agir contre les bactéries.

FIN TAPIS MUSICAL

Antoine : Si on se replace dans le contexte plus général, on a un stress actuellement, c’est que les bactéries deviennent de plus en plus résistantes. Et donc, il y a deux solutions. Soit on invente des antibiotiques différents et qui ne vont pas lier à ce problème là, ou soit on rend nos antibiotiques actuels à nouveau efficaces. Et c’est le pari qu’on a pris avec Flamod qui va nous permettre de potentialiser l’efficacité des antibiotiques qui sont actuellement déjà disponibles.

TAPIS MUSICAL

Chandrou : La participation de Sophie ne va pas prendre fin avec la journée. Elle va encore devoir s’investir. Demain, elle sera de retour pour des observations. Et elle va donner des nouvelles de sa santé aux équipes pendant encore deux semaines.

Qu’est-ce qui vous a motivé, Sophie, à participer à cette étude en particulier ?

FIN TAPIS MUSICAL

Sophie : On travaille sur la recherche fondamentale et les études sont longues et là le fait qu’on puisse passer sur une étude clinique avec des volontaires, c’est stimulant. Ça permet de voir le progrès des recherches et j’avais envie de vivre ça du côté volontaire, l’interaction avec les médecins, les infirmiers et de se sentir également dans l’action du projet.

Antoine : Les volontaires sains, ils n’ont pas du tout de bénéfice en fait, parce qu’ils ne sont pas malades par définition. Et donc, il faut une certaine curiosité, générosité et avoir compris que tout ce qu’on fait chez les patients, c’est permis parce que avant, des gens se sont prêtés à ce jeu-là. Et donc, voilà, il faut les remercier. C’est vraiment un acte de générosité et de solidarité qui est très louable.

TAPIS MUSICAL

Chandrou : Si la grande majorité des médicaments sont développés par l’industrie pharmaceutique, celui qui nous intéresse a été développé dans les laboratoires de recherche publique de l’Inserm.

FIN TAPIS MUSICAL

Antoine : Alors, l’étude Nebuflag fait partie d’un projet européen qui s’appelle FAIR. C’est un consortium européen et c’est extrêmement excitant de voir que des structures académiques, donc des chercheurs de la sphère publique, sont capables de se coordonner, d’être complémentaires pour aboutir à dessiner un essai clinique de cette ambition. Et c’est vrai que c’est atypique, parce que c’est déconnecté de la recherche industrielle plus privée. Et donc c’est très stimulant de voir que la recherche publique aboutit aussi à la production d’une molécule qui, j’espère, un jour sera un médicament.

Chandrou : Mais avant que le Flamod soit disponible en pharmacie, il reste encore des étapes.

Valérie : Dans toutes les étapes, il y a la sécurité, c’est-à-dire que c’est toujours un objectif de vérifier la sécurité de l’administration du traitement. Tout médicament a des effets indésirables, alors le but c’est qu’il soit le plus faible possible parce que après la finalité c’est d’administrer à des patients et ça va être une balance bénéfice-risque, c’est-à-dire qu’il y aura forcément des effets indésirables, Il faut qu’il soit... moins important que le bénéfice que va apporter le médicament par la suite.

GÉNÉRIQUE DE FIN

Chandrou : C’était fascinant de voir les premières étapes d’un développement d’une nouvelle thérapie chez l’être humain. Par contre, je dois avouer que je suis assez frustré de ne pas savoir ce qui a été administré à Sophie. Placebo ou molécules, le mystère reste entier. À très vite pour de nouvelles rencontres scientifiques avec les volontaires. Merci d’avoir écouté cet épisode consacré aux volontaires qui participent au développement d’une nouvelle thérapie contre les pneumonies biorésistante. Les Volontaires, c’est un podcast de l’Inserm. Produit par MaisonK Prod. À bientôt pour de nouvelles aventures et de nouvelles études en recherche médicale. Et si vous avez aimé cet épisode, n’hésitez pas à vous abonner et à le partager autour de vous. Et si vous le pouvez, pensez à nous mettre 5 étoiles sur votre application, ça nous aide vraiment.


Une série créée par l’Inserm, orchestrée par Chandrou Koumar, journaliste et docteur en neurosciences et produite par MaisonK Prod. Musique et mixage : Ben Molinaro. Graphisme : Anna Toussaint.