Ça sent le fenouil… Pas facile d’être volontaire

« Ça sent le fenouil… Pas facile d’être volontaire » est l’épisode 05 de la saison 1 des Volontaires, le podcast de l’Inserm avec les citoyennes et les citoyens qui font avancer la recherche médicale.

À la fois volontaire et scientifique, Laetitia a été sélectionnée pour participer à une étude très particulière lancée par l’Inserm. Pour cela, elle a d’abord dû faire preuve d’un rythme veille/sommeil parfait ! Cette condition remplie, elle a expérimenté, la tête dans une boîte et le nez dans des parfums, comment notre sensibilité à la lumière, et donc notre rythme biologique, a des effets sur notre perception aux odeurs. Elle revient sur cette aventure tandis que le journaliste et docteur en neurosciences Chandrou Koumar, venu spécialement à Lyon pour rencontrer un nouveau volontaire à cette étude, a expérimenté… un petit loupé ! Qu’importe, le protocole reste surprenant et les parfums… entêtants !

Invités

  • Claude Gronfier est chronobiologiste et neurobiologiste au Centre de recherche de neuroscience de Lyon. Il est responsable de l’étude Effets de la lumière sur la sensibilité aux odeurs et à la température.
  • Tao Jiang est chercheuse et maîtresse de conférences. Spécialiste de l’olfaction, elle contribue à l’étude Effets de la lumière sur la sensibilité aux odeurs et à la température.
  • Xi Wang et Maëlys Souilhol sont doctorantes. Elles font partie de l’équipe scientifique de l’étude Effets de la lumière sur la sensibilité aux odeurs et à la température.

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Durée de l’épisode : 13 min 06

Transcription de l’épisode

Musique

Chandrou : Bonjour, je suis Chandrou Koumar, journaliste, docteur en neurosciences. Dans cet épisode des Volontaires, je suis à Lyon pour parler d’une étude sur les effets de la lumière sur nos sens, comme les odeurs et la douleur. Les Volontaires, c’est le podcast de celles et ceux qui participent à la recherche médicale de l’Inserm, qui est le seul organisme de recherche publique entièrement dédié à la santé humaine. Aujourd’hui, je vais rencontrer Laetitia, qui a été volontaire dans l’étude scientifique.

Laetitia : J’ai participé à l’étude il y a deux mois et demi.

Chandrou : Ainsi que Claude Gronfier.

Claude : Je suis neurobiologiste à l’Inserm, dans le Centre de recherche en neurosciences de Lyon.

Chandrou : Et Tao Jiang, spécialiste de l’olfaction.

Tao : Je vous montre un arôme de fenouil.

Chandrou : Ah oui…

Tao : Sous votre nez.

Chandrou : Ça sent le fenouil, je confirme. Tous deux dirigent l’étude. Mais je vais aussi voir Xi Wang et Maëlys Souihlol, qui toutes les deux font partie de l’équipe scientifique. Et attention, suspense ! Dans ce protocole, le choix des volontaires est très select. Soixante personnes participent à l’étude, mais pour cela, elles doivent répondre à des critères très précis. Au moment où je vous parle, là, je sais pas si le volontaire va pouvoir réaliser l’expérience de cet après-midi. Ça se trouve, il va pas être sélectionné. D’ailleurs, j’ai pas eu le droit de lui parler, ça pourrait le stresser, et donc fausser les résultats.

Musique

Chandrou : Je suis au Centre de recherche de neurosciences de Lyon. On est dans la salle de manipulation : c’est une petite pièce très sombre et les volets sont fermés. Là, je suis avec Laetitia, une volontaire qui a déjà bouclé l’expérience.

Laetitia : J’ai 26 ans, je suis… volontaire. Et puis à côté de ça, je suis doctorante au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.

Chandrou : Donc vous êtes une volontaire qui connaissait pas l’expérience en question mais qui connaissait quand même un peu l’environnement de la recherche et de la science. Qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer là-dedans ?

Laetitia : Ce qui m’a motivé, la première chose, c’est le sujet. Le sujet de l’étude, l’olfaction, je travaille beaucoup dessus, alors c’était plus l’aspect scientifique qui m’intéressait au départ. J’étais curieuse de voir leur montage. Et puis la deuxième chose, c’est que je sais que c’est compliqué de recruter. Moi, je cherche souvent des personnes à recruter et donc je me dis toujours que quand on a le temps, c’est sympa de rendre service quand même.

Chandrou : Claude, merci beaucoup de nous recevoir dans votre laboratoire. Une des particularités de votre protocole, c’est l’inclusion des volontaires. Est-ce que vous pourriez m’expliquer ce qu’est un bon volontaire dans le cadre de votre protocole ?

Claude : On cherche des gens qui sont en bonne santé dans cette étude puisqu’on cherche à comprendre la physiologie, on cherche à comprendre comment ça marche. Donc des gens qui n’ont pas de troubles, pas de pathologies, pas de troubles de l’humeur, pas troubles du sommeil, pas de troubles douloureux, pas de troubles visuels, puisqu’on cherche à s’intéresser à l’effet de la lumière via le système visuel. Et donc, une fois qu’on a obtenu les questionnaires qui nous permettent de sonder ces aspects-là, on les rencontre, on leur parle.

Laetitia : Il y avait plein de questionnaires sur… nos habitudes de sommeil, etc., et nos habitudes alimentaires. J’ai répondu aux questionnaires sur les rythmes du sommeil, etc. Je pensais pas que j’allais pouvoir être recrutée, parce que je pensais pas avoir un rythme régulier, ni quoi que ce soit.

Claude : Lorsqu’on considère qu’ils sont en bonne santé, eh bien on les inclut. En tous cas, on les inclut dans la deuxième phase du recrutement. Et cette deuxième phase du recrutement, c’est celle qui consiste à leur faire porter un bracelet, qu’on appelle un « bracelet actimétrique », qui est une sorte de montre qui va enregistrer les mouvements du poignet.

Laetitia : On doit être le plus rythmé possible. Et c’était ça, finalement, qui était le plus contraignant, parce que… c’est assez bizarre de devoir se dire : « Ouh là, mon dieu, il est 23 h 30 ou minuit, ou machin, c’est l’heure. »

Chandrou : Comme quand on était enfant ?

Laetitia : Un peu, ouais, c’est exactement ça.

Chandrou : C’est l’heure d’aller au lit !

Laetitia : C’est l’heure d’aller au lit, oui, oui, et je me suis retrouvée parfois avec des amis ou de la famille et de devoir leur dire : « Attendez, mais en fait là, je dois aller me coucher » ou machin ou « Là, non, demain matin, il faut que je me réveille à telle heure. » J’ai essayé de bien respecter ça, et je pense que du coup, je me suis mis la pression. C’est venu parfois perturber mon sommeil, de me dire en pleine nuit : « Mon dieu, faut que je dorme ! »

Chandrou : Et puis c’est quand même très drôle puisque vous êtes en train de dormir et vous vous réveillez pour vous dire qu’il faut se rendormir.

Laetitia : Voilà, exactement !

Chandrou : Je veux dire, c’est Inception du sommeil.

Musique

Claude : Quand on enregistre pendant une semaine ou deux semaines, et bien on voit très précisément les heures de coucher, les heures de lever, les éveils pendant la nuit, et on voit surtout si le sommeil est stable. Est-ce que les sujets, les participants vont se coucher toujours à la même heure ? Est-ce qu’ils se lèvent toujours à la même heure ? Et, suite à cet enregistrement, eh bien on décide si le participant peut être inclus au regard de son cycle veille-sommeil et aussi de son comportement alimentaire.

Chandrou : Au milieu de la pièce, il y a une chaise en face d’un bureau, sur lequel est posée une grande boîte noire avec un trou au centre. C’est à l’intérieur que le volontaire doit mettre sa tête pour être exposé à la lumière pendant quatre phases de 30 minutes.

Laetitia : Quand on a la tête dedans, on ne voit pas l’extérieur. On est vraiment comme dans une bulle, c’est, en plus, c’est sphérique à l’intérieur. La première fois que j’ai mis la tête dans la boîte, c’était ambiance très tamisée, très sympathique, et il y a des fois, c’était très, très lumineux. Je me souviens d’une fois, à un moment, je me suis dit : « Mais je vais jamais réussir à ouvrir les yeux complètement. » Parce que c’était, en fait le contraste est trop grand entre le moment où c’est très tamisé et le moment où on nous envoie une pleine lumière dans les yeux.

Chandrou : Je vais demander à Xi et Maëlys, qui font toutes deux partie de l’équipe scientifique, si elles peuvent me montrer la salle de monitoring, c’est-à-dire la salle où on observe ce qu’il se passe chez les volontaires pendant l’expérience.

Bruits de pas.

Chandrou : Là, dans la salle qui est collée, il y a tout plein de matériel scientifique. Il n’y a pas le moindre doute : on est dans une salle d’expériences. Là, Xi est en train de préparer les différents matériels.

Xi : Bonjour à tous, je m’appelle Xi Wang et je suis doctorante en quatrième année de thèse.

Maëlys : Je m’appelle Maëlys Souihlol, je suis en deuxième année de master en neurosciences à l’université de Lyon 1.

Chandrou : Combien de temps ça prend de, d’équiper des volontaires ?

Xi : Alors, je dis généralement c’est entre 1 h et 1 h 15.

Maëlys : On installe tous les capteurs. Donc on a de la température, de l’électrocardiogramme, électroencéphalogramme.

Chandrou : Donc vous mesurez l’activité électrique du cerveau…

Maëlys : Ouais.

Chandrou : L’activité du rythme cardiaque ?

Maëlys : C’est ça. Dilatation des pupilles aussi, le rythme respiratoire, la conductance cutanée, donc c’est une espèce de transpiration qu’on a sur les mains, qui reflète l’état intérieur. On mesure leur réponse olfactive, donc à l’aide de petits questionnaires également.

Chandrou : Comment ils réagissent les volontaires quand ils commencent à se faire installer, à devenir une sorte de cyborg ?

Xi : Généralement, ils n’ont pas trop de surprise parce qu’avant la manip, on va, on est allé proposer de venir au labo une fois et faire une visite d’inclusion. Donc pendant cette heure, on a bien montré notre protocole de recherche.

Chandrou : On nous a vivement recommandé de ne pas aller discuter avec les volontaires avant l’expérimentation. On était curieux de savoir pourquoi.

Maëlys : Si ils savent qu’ils sont enregistrés ou si on commence à leur poser trop de questions, etc., ils vont se mettre dans un état de stress et on n’aura pas les réponses physiologiques qu’on attend. Donc on évite vraiment de perturber au maximum la manip.

Musique

Chandrou : Laetitia, vous, vous avez déjà terminé le protocole. Globalement, vous êtes contente d’avoir participé à cette étude ?

Laetitia : Oui, oui, oui. Et c’est marrant, en plus de… de vérifier, c’est comme si on faisait un petit check de… parce qu’ils vérifient du coup le sommeil, la vue, l’odorat. Donc il y a une sensation un peu de faire un… un petit bilan. [Rire] Pas besoin de passer chez le médecin quand on est volontaire. [Rire]

Chandrou : Bon, là, je dois quitter la salle rapidement pour ne pas prendre le risque de croiser le volontaire qui va commencer sa phase de préparation. Il doit surtout pas me voir, ça pourrait tout faire louper.

Musique

Chandrou : En fait, on a des rythmes dans le corps, parmi lesquels le rythme circadien, qui dure environ 24 h et qui est principalement synchronisé par la lumière. Ces rythmes, ils ont un impact sur notre sommeil, notre mémoire et même sur nos perceptions. Selon l’heure de la journée, on ne ressent pas les choses pareilles.

Claude : On ne sait pas encore à l’heure actuelle si la lumière module l’olfaction. Donc pour le tester, on va exposer nos participants à quatre séquences. Le participant va être, à l’occasion de chacune de ces quatre périodes d’exposition à la lumière, on va lui proposer de nous indiquer s’il sent ou non certaines odeurs qu’on va diffuser à l’aide de petites canules au niveau de ses narines : l’odeur de pain grillé, l’odeur de poulet, l’odeur de pommes de terre rissolées… Donc un ensemble d’odeurs, il y a douze odeurs au total, et chacune de ces odeurs sera ou non perçue par le participant.

Laetitia : C’est assez marrant, parce que je n’ai pas reconnu les odeurs. Je… je voyais pas trop ce que je sentais, c’était vraiment des odeurs pas familières pour moi, je… j’arrivais pas du tout à nommer et tout. C’est très compliqué en fait.

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Chandrou : Là, je suis avec Tao, qui prépare entre autres les différentes odeurs qui sont envoyées dans… dans les nez des volontaires. On pourrait se croire dans une pièce de confection de parfumerie, on pourrait penser qu’on fait des parfums ici.

Tao : Ça ressemble beaucoup, ça ressemble réellement beaucoup.

Chandrou : Sauf qu’ici on fera un parfum au poulet pommes de terre rissolées quoi.

Tao : Voilà. [Rire] Donc, tout à fait. [Rire] Ici, par exemple, je vous montre un arôme de fenouil.

Chandrou : Ah oui, ça… ça sent le fenouil, je confirme.

Tao : C’est vrai ? [Rire]

Chandrou : Ça… ça sent un peu le fenouil. Dites-moi Tao, est-ce que vous êtes vexée quand un ou une volontaire ne reconnaît pas l’odeur que vous avez préparée dans votre salle ?

Tao : Ah non, non, non. Bon, on prévient le volontaire : « Faut essayer de faire votre mieux, hein, pour répondre. Mais toutes les réponses sont bonnes pour nous.

Chandrou : Quelles applications on pourrait imaginer justement, qui découleraient de cette sensibilité à la lumière ?

Claude : Les applications qu’on peut imaginer sont celles qui, par exemple, pourraient concerner les troubles de l’olfaction. En augmentant l’intensité lumineuse, on pourrait améliorer l’olfaction de certains, de certaines personnes qui souffrent de ces troubles-là. Il est tout à fait imaginable, si nos résultats sont en faveur de ces… de ces résultats-là, eh bien, les médecins pourront prescrire des séances de luminothérapie pour les troubles douloureux ou olfactifs, ou, en effet, encourager à sortir et lézarder sur une terrasse.

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Chandrou : Là, on va aller voir l’équipe scientifique pour voir un peu comment ça s’est passé la deuxième sélection. Est-ce que ce volontaire a pu être inclus ou est-ce que, comme on… comme on a pu le voir, ça a été compliqué de l’inclure ? Comment ça s’est passé ? Est-ce que l’expérience a débuté ?

Claude : L’expérience n’a pas débuté, malheureusement, parce qu’il s’agit d’un volontaire qui est en dette de sommeil. Alors qu’on lui avait demandé sa durée de sommeil souhaité, il nous avait répondu 8 h. Il est plutôt à 7 h les deux dernières nuits. Il n’est pas très stable non plus. Ses horaires de coucher et de lever, malheureusement, ne sont pas tout à fait stables, donc, euh, il va y avoir le risque, là, que son horloge biologique soit pas bien synchronisée. Ces deux aspects de dette de sommeil et de désynchronisation de l’horloge, eh bien, pour nous, sont un problème. Pourquoi ? Bah, tout simplement parce que les études ont montré que lorsqu’on est en dette de sommeil, eh bien, la réponse à la lumière est plus faible. Donc ça constituerait pour nous un… un… une exception, un sujet atypique, une réponse atypique. On ne peut pas prendre ce risque et donc on est malheureusement obligé de ne pas l’inclure aujourd’hui.

Chandrou : Euh, Maëlys, comment il a réagi le volontaire quand vous lui avez dit que, malgré sa préparation, il était pas incluable ?

Maëlys : Eh bien il l’a plutôt bien prise, parce que il a quand même bien apprécié venir et… prendre connaissance du fait qu’on fasse de la recherche, des enjeux, des études, etc.

Chandrou : Et vous du coup, Tao, c’est pas trop démotivant de façon globale ces expériences, où on n’est jamais sûr qu’elles aillent au bout ? J’imagine que là, peut être que l’expérience, ça va prendre deux, trois jours, deux, trois semaines, deux, trois mois en plus. Comment on vit, en tant que scientifique, quand on sait quand est-ce qu’on commence, mais on sait pas quand est-ce qu’on termine ?

Tao : Quand on travaille longtemps dans le… chez le sujet humain, on est plus ou moins préparé psychologiquement que… on ne réussit pas à tous les coups. Et surtout, je pense à respecter le volontaire et respecter notre critère scientifique. C’est les deux principes qu’on doit tenir, quoi.

Chandrou : Et je confirme, tout le monde a le sourire, personne n’a l’air déçu. Donc je vais être content aussi que vous n’ayez pas inclus ce volontaire.

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Chandrou : J’ai passé une journée fascinante. Ça a été super cool de suivre les scientifiques et de regarder leur petit stress quant au fait de pouvoir inclure le volontaire ou non. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ont su garder le sourire.

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Chandrou : Merci d’avoir écouté cet épisode consacré aux volontaires qui participent à la recherche sur les mécanismes impliqués dans la sensibilité sensorielle à la lumière. À bientôt pour de nouvelles aventures et de nouvelles études en recherche médicale. Les Volontaires, c’est un podcast de l’Inserm produit par Maison K Prod. Et si vous avez aimé cet épisode, n’hésitez pas à vous abonner et à le partager autour de vous. Pensez à nous mettre cinq étoiles sur votre appli, ça nous aide vraiment.

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Autour de l’épisode

Une série créée par l’Inserm, orchestrée par Chandrou Koumar, journaliste et docteur en neurosciences et produite par MaisonK Prod. Musique et mixage : Ben Molinaro. Graphisme : Anna Toussaint.