Hémophilie

Une maladie hémorragique héréditaire

L’hémophilie est une maladie génétique due à l’absence totale ou partielle d’une protéine impliquée dans la coagulation du sang – on parle de « facteur de coagulation ». En cas de saignement, l’écoulement ne peut pas s’arrêter, ou très difficilement. Les conséquences sont majeures, avec des hémorragies sévères en cas de blessure et des saignements spontanés chez certains patients, notamment au niveau des articulations. Néanmoins, grâce à des traitements toujours plus innovants, y compris des thérapies géniques, la maladie est aujourd’hui bien contrôlée dans la plupart des cas. Les recherches se poursuivent pour améliorer encore l’efficacité et la durée d’action de ces traitements.

Dossier réalisé en collaboration avec Sébastien Lacroix-Desmazes, directeur de l’équipe Immunopathologie et immuno-intervention thérapeutique au Centre de recherche des Cordeliers (unité Inserm 1138) à Paris, et Laurent Frenzel, responsable du Centre de traitement de l’hémophilie à l’hôpital Necker-Enfant Malade et chercheur à l’institut Imagine (unité Inserm 1163).

Comprendre l’hémophilie

L’hémophilie est une maladie génétique héréditaire grave, qui se traduit par une difficulté pour le sang à coaguler normalement. La coagulation est un processus complexe qui mobilise de nombreuses protéines appelées facteurs de coagulation. Elles s’activent en cascade tels des dominos, aboutissant à la production de fibrine. Telle une « colle », cette dernière permet l’assemblage de cellules sanguines particulières – les plaquettes – pour former un bouchon qui va bloquer l’écoulement sanguin : c’est l’agrégation plaquettaire.

Plusieurs types d’hémophilie existent, dont deux sont prédominantes :

  • L’hémophilie A est la plus fréquente (un garçon touché sur 5 000 naissances). Elle se caractérise par un déficit du facteur VIII de la coagulation.
  • L’hémophilie B, cinq fois plus rare (un garçon sur 25 000 naissances), est liée quant à elle à un déficit du facteur IX de coagulation.
schéma de la cascade de la coagulation
La coagulation implique de nombreux facteurs (désignés par un chiffre romain), qui s’activent en cascade pour aboutir à la formation fibrine.

Selon la nature précise de l’anomalie génétique à l’origine de la maladie, le facteur de coagulation affecté est totalement absent de l’organisme du patient, partiellement absent, ou présent mais sous une forme dysfonctionnelle. Ces différences se traduisent par des degrés variables de sévérité de la maladie. L’hémophilie n’est pas une maladie évolutive : quelle que soit sa sévérité, elle reste identique tout au long de la vie.


Les filles très rarement concernées

Les gènes des facteurs VIII et IX de la coagulation sont localisés sur le chromosome X. Les femmes étant dotées de deux chromosomes X, elles portent donc deux exemplaires de chacun de ces gènes : si l’un des exemplaires est muté, l’autre permet généralement la synthèse du facteur de coagulation. La maladie est donc très rare chez les femmes. Elle peut se déclarer chez celles qui héritent de deux chromosomes X porteurs d’une anomalie, ou chez celles portant un seul exemplaire muté, mais qui s’exprime au détriment de l’exemplaire fonctionnel (par un phénomène épigénétique).

Dotés d’un seul chromosome X hérité de leur mère (et donc un seul exemplaire des gènes codant les facteurs VII et IX), les garçons sont systématiquement malades lorsqu’ils héritent d’un gène muté.

Les femmes porteuses d’une mutation sur un de ces gènes ont 50 % de risque de transmettre la maladie à leur fils. On dit qu’elles sont « conductrices d’hémophilie ». En cas d’antécédents d’hémophilie sévère dans une famille, un diagnostic prénatal peut être réalisé si le fœtus est de sexe masculin. Une amniocentèse est alors réalisée pour doser les facteurs de coagulation. Si une hémophilie est diagnostiquée, une IVG thérapeutique peut être envisagée. Dans le cas où les parents souhaitent mener la grossesse à terme, des précautions seront prises à la naissance. En effet, des premiers saignements peuvent survenir au moment de l’accouchement, notamment au niveau cérébral en raison de la compression du crâne. Si une femme est conductrice d’hémophilie, il est également possible de procéder à un diagnostic préimplantatoire en cas de fécondation in vitro.


Des hémorragies plus ou moins graves et des complications articulaires

En cas de forme « modérée » (10 à 20 % des patients) ou « mineure », la maladie peut rester indétectable jusqu’au jour où la personne a un accident ou une chirurgie (typiquement une chirurgie dentaire). Mais dans la moitié des cas, l’hémophilie est dite « sévère » : la maladie est rapidement diagnostiquée aux vues de saignements excessifs, quelle qu’en soit la cause. Elle nécessite une prise en charge dès le diagnostic et tout au long de la vie.

Dans les formes sévères, certains saignements surviennent de façon spontanée, par exemple suite à de simples mouvements susceptibles d’induire des brèches dans la paroi des veines ou des artères, notamment au niveau de certaines articulations ou de muscles. Dans de rares cas, des saignements internes au niveau du cerveau ou de l’abdomen sont susceptibles d’engager le pronostic vital. Dès l’âge de 3 mois, ces saignements spontanés peuvent entraîner des hématomes susceptibles de provoquer la compression d’autres vaisseaux et de nerfs, nécessitant une intervention. Lors des premiers déplacements de l’enfant, des bleus apparaissent au niveau de ses jambes. 

Une des complications majeures de l’hémophilie est l’apparition d’hémarthroses, des épanchements de sang au niveau des articulations. Ce phénomène douloureux provoque un gonflement et une perte de souplesse. En l’absence de traitement, les récidives finissent par altérer l’articulation et mènent à l’arthropathie hémophilique, c’est-à-dire une dégradation du cartilage, associée à une déformation et à une perte définitive de la mobilité articulaire. Cette évolution peut être prévenue par un traitement de l’hémophilie (voir plus loin). 


L’hémophilie n’est pas la seule cause de troubles de la coagulation

La coagulation est un processus complexe qui fait intervenir bien d’autres facteurs que ceux impliqués dans les hémophilies A et B. Il existe donc d’autres maladies de la coagulation qui touchent les deux sexes.

C’est le cas de la maladie de Willebrand, la maladie hémorragique la plus fréquente après l’hémophilie (prévalence mondiale de 1 %), mais qui est le plus souvent peu ou pas symptomatique. Elle est causée par un déficit en facteur Willebrand, une protéine impliquée dans la toute première étape de la coagulation.

D’autres pathologies sont liées à des déficits d’autres facteurs de coagulation ou à des défauts d’agrégation plaquettaires. Face à un trouble de la coagulation, le dosage des différents facteurs impliqués permet, entre autres, de réaliser un diagnostic différentiel. 


Des traitements de substitution à la thérapie génique

L’hémophilie est une maladie qui se contrôle bien de nos jours grâce aux traitements. Elle pourrait même être guérie dans certains cas, grâce à la thérapie génique.

Les traitements substitutifs

Les traitements substitutifs permettent de restaurer la coagulation en remplaçant le facteur absent ou dysfonctionnel. Ces traitements injectables sont destinés aux patients atteints de formes modérées à sévères. Leur objectif est de maintenir une concentration suffisante en facteur de coagulation de substitution dans le sang, pour permettre une coagulation quasi-normale en cas de saignement.

Pour l’hémophilie A, le facteur VIII thérapeutique utilisé était initialement dérivé du plasma de donneur. Aujourd’hui, les patients reçoivent un facteur VIII recombinant, c’est-à-dire produit en laboratoire dans des conditions contrôlées. La protéine est par ailleurs modifiée pour être active plus longtemps dans l’organisme que le facteur VIII produit naturellement. Pour cela, la protéine est fusionnée à un fragment d’anticorps (fragment Fc d’immunoglobuline de type G ou IgG), ou modifiée par ajout d’une chaîne de polyéthylène glycol (un processus appelé « pégylation ») pour freiner sa dégradation. Malgré cela, la durée d’action de ces facteurs – FVIII-Fc ou FVIII-PEG – reste relativement courte, nécessitant des injections intraveineuses régulière : environ deux fois par semaine en prophylaxie, voire toutes les 8 heures en cas de saignement.

Pour l’hémophilie B, le facteur IX thérapeutique est également produit en laboratoire. Sa durée de vie est étendue par fusion avec un fragment Fc d’IgG ou à de l’albumine humaine. L’ajout de ces éléments permet à la protéine d’échapper à la dégradation dans les cellules spécialisées dans l’élimination des vieilles molécules, et de repasser dans la circulation sanguine. Les injections de FIX-Fc sont généralement espacées d’environ une semaine.

Un des principaux effets secondaires susceptibles de survenir avec ces traitements est l’apparition d’anticorps dirigés contre le facteur de coagulation thérapeutique injecté. Ce problème concerne 6 % des patients atteints d’hémophilie B traités et 5 à 30 % de ceux atteints d’hémophilie A. Les anticorps en question apparaissent en général lors des premières injections et réduisent progressivement l’efficacité du traitement. Le risque de les voir apparaître dépend en partie du type d’anomalie génétique à l’origine de la maladie. Si le facteur de coagulation qui fait défaut au patient est totalement absent de son organisme, ce risque est important : le système immunitaire aura en effet davantage tendance à prendre le facteur de substitution pour un corps étranger et à produire des anticorps chargés de le neutraliser. En revanche, si le facteur de coagulation est produit dans l’organisme du patient sous une forme non fonctionnelle, le système immunitaire est déjà habitué à la présence de la protéine. Le risque d’apparition des anticorps sera donc moins important.

Pour lutter contre ce phénomène, une stratégie consiste à induire une tolérance, à l’image de ce qui se fait dans l’allergie. Cette approche est utilisée chez des patients atteints d’hémophilie A, mais de plus en plus rarement car d’autres solutions émergent (voir plus loin). Elle passe par l’administration de fortes doses de facteur VIII plusieurs fois par semaine, pendant au moins plusieurs mois et jusqu’à trois ans. Le système immunitaire finit par tolérer la protéine chez environ deux tiers des patients atteints d’hémophilie A. Dans le cas de l’hémophilie B, cette intervention peut provoquer des réactions allergiques graves et n’est donc pas utilisée.

Les agents contournants

Une autre stratégie de traitement de l’hémophilie consiste à utiliser des molécules qui miment l’action des facteurs de coagulation.

En cas d’hémophilie A, un anticorps bispécifique, l’emicizumab, permet de remplacer l’action du facteur VIII : il reconnait le facteur IX et le facteur X et les rapproche pour permettre l’activation du facteur X, comme le fait le facteur VIII. Le médicament est injecté par voie sous-cutanée par le malade lui-même, environ tous les 15 jours. Il est désormais prescrit en première intention (ou en cas d’apparition d’une réaction immune contre le facteur VIII thérapeutique). L’apparition d’anticorps neutralisant l’emicizumab a été décrite mais ce phénomène reste extrêmement rare. Toutefois, l’emicizumab recrée seulement environ 20 % de l’activité du facteur VIII, de sorte que ce médicament est insuffisant en cas d’hémorragie importante lors d’un accident ou d’une opération chirurgicale.

Chez les patients atteints d’hémophilie A ou B qui ont développé des anticorps contre le facteur thérapeutique, et en cas d’urgence en raison d’un accident hémorragique ou d’une chirurgie, il est possible d’utiliser du facteur VII activé,qui déclenche la cascade de coagulation indépendamment du facteur VIII ou IX en activant directement le facteur X. Il est naturellement présent dans l’organisme et produit de la thrombine en très petite quantité. Son administration augmente la production mais de façon très brève et avec une réponse aléatoire selon les patients.

Une autre alternative est le recours à un complexe de protéines appelé FEIBA. Le FEIBA contient un mélange de facteurs II, IX, X, et du facteur VII activé. Il déclenche une coagulation, indépendamment de la présence de facteur VIII ou IX. Il peut être utilisé chez des personnes atteintes d’hémophilie A ou B. Toutefois, ce médicament a une durée d’action courte et a été associé à des événements indésirables graves à savoir des thromboses, c’est-à-dire des blocages de la circulation sanguine.

Lever les freins de la coagulation

Des inhibiteurs naturels de la thrombine, la molécule qui génère la fibrine à la fin du processus de coagulation, ont été découverts. Certains bloquent sa production et d’autres son activité. Des molécules thérapeutiques sont développées pour lever ces inhibitions et augmenter la coagulation, indépendamment des facteurs VIII ou IX.

Le concizumab, un anticorps monoclonal ciblant le TFPI (Tissue Factor Pathway Inhibitor), restaure la production de thrombine. Injectable par voie sous-cutanée, il est indiqué pour prévenir ou réduire la fréquence des épisodes hémorragiques chez les patients hémophiles A ou B de plus de 12 ans qui ont développé des anticorps contre leur facteur thérapeutique. Toutefois, son utilisation est associée à un risque de thrombose, c’est-à-dire de formation d’un caillot sanguin susceptible d’obstruer la circulation sanguine.

Le fitusiran, un petit ARN interférent, bloque la production d’un inhibiteur majeur de la thrombine (antithrombine 3). Ce traitement n’est pas encore disponible en France.

La thérapie génique

La thérapie génique peut être proposée aux adultes qui n’ont pas développé d’anticorps contre le facteur de coagulation à restaurer. Elle apporte aux patients une version fonctionnelle du gène muté à l’origine de leur hémophilie. Cette stratégie peut théoriquement permettre à leurs propres cellules de produire le facteur de coagulation qui leur fait défaut et, ainsi, de se passer du traitement de substitution. 

En août 2022 et février 2023, deux médicaments de thérapie génique ont été autorisés en Europe : le Roctavian pour l’hémophilie A et l’Hemgenix pour la forme B. Dans les deux cas, le gène du facteur qui fait défaut aux malades est placé dans un vecteur dérivé d’un virus rendu inoffensif (virus adéno-associés AAV 5). Injecté au malade, ce vecteur infecte ses cellules cibles, en l’occurrence dans le foie, et y délivre le gène thérapeutique. La machinerie cellulaire va alors se mettre synthétiser le facteur de coagulation à partir du gène.

Dans l’hémophilie B, ce traitement fonctionne très bien à condition que les patients ne soient pas déjà immunisés contre les virus AAV. La production de facteur IX est assurée dans le temps, sans avoir à recourir à un traitement de substitution. Le recul est actuellement de 13 ans chez les premiers patients inclus dans les essais cliniques. En revanche, les résultats sont plus aléatoires dans l’hémophilie A, avec un niveau d’expression du facteur VIII très variable d’un patient à un autre et qui peut diminuer de moitié au cours des deux années qui suivent le traitement. La réinstauration d’un traitement classique est alors souvent nécessaire.

Mieux vivre avec la maladie

La majorité des patients hémophiles traités vivent aujourd’hui quasi normalement avec un risque d’hémorragie contrôlé.

Chez ceux qui présentent des hémorragies intra-articulaires et musculaires récurrentes, la kinésithérapie, ainsi qu’une activité physique douce et régulière sont nécessaires pour prévenir l’apparition de séquelles articulaires. En cas d’arthropathie articulaire trop avancée, une chirurgie orthopédique est parfois nécessaire. Grâce aux traitements, ces complications sont néanmoins de plus en plus rares chez les enfants et les adultes jeunes. Les personnes plus âgées qui n’ont pas eu de traitements prophylactiques lorsqu’ils étaient jeunes ont en revanche souvent des séquelles articulaires de saignements antérieurs. En outre, dans le monde, plus de 70 % des patients hémophiles n’ont pas accès aux traitements.

En France, le suivi de la maladie a lieu dans un centre de traitement de l’hémophilie (CTH). Répartis dans toute la France, ces centres délivrent au patient une carte d’hémophile qui permet à tout professionnel de santé de connaître le statut du malade et ses traitements en cas d’urgence. En l’absence de cette carte, le soignant doit être informé au plus vite de l’hémophilie du patient. 

En cas d’hémophilie, certains médicaments sont interdits ou à utiliser avec prudence, en particulier ceux qui fluidifient le sang comme l’aspirine ou les anti-inflammatoires non stéroïdiens (ibuprofène…)

Les enjeux de la recherche

Améliorer les traitements de substitution

Des recherches sont actuellement conduites pour améliorer l’efficacité des traitements de substitution. Plusieurs stratégies sont étudiées : augmenter la durée de vie des facteurs de substitution, empêcher l’apparition d’anticorps dirigés contre ces facteurs ou encore inhiber l’activité des anticorps en question. 

L’augmentation de la durée de vie des facteurs de substitution permettrait d’espacer les injections, actuellement hebdomadaires ou bihebdomadaires. Pour y parvenir, la stratégie reste de coupler le facteur de substitution à des molécules qui le protègent de la dégradation. Des recherches portent sur le choix du site de fusion entre le fragment d’immunoglobuline Fc et le facteur de coagulation, ou encore sur la nature du fragment Fc à fusionner. En outre, il a été montré que la présence d’acides aminés chargés positivement dans certains domaines du facteur de substitution VIII favorise la dégradation du facteur VIII ou du FVIII-Fc.

En parallèle, des chercheurs continuent à s’intéresser aux mécanismes d’apparition des anticorps dirigés contre les facteurs de substitution. En étudiant la réponse immunitaire induite par le facteur VIII de substitution, le rôle central de certaines cellules du système immunitaire, les cellules dendritiques, a pu être mis en évidence. Il devrait donc être possible de contrer l’apparition des anticorps indésirables en empêchant ces cellules de reconnaître le facteur de substitution. Or les résultats de chercheurs de l’Inserm montrent que les sucres présents à la surface du facteur sont très importants pour cette étape de reconnaissance.

Une autre stratégie pour éviter le développement de ces anticorps consiste à induire une tolérance au facteur de substitution. Il est envisagé d’y procéder au cours de la vie fœtale, sous réserve qu’il y ait eu un diagnostic prénatal. Dans ce but, une équipe Inserm (unité 1138) a injecté deux régions du facteur VIII recombinant associés à des fragments Fc à des souris hémophiles A gestantes. Ces régions de la protéine sont fortement immunogènes et leur taille réduite (par rapport au facteur « entier ») permet leur passage à travers le placenta. Les fœtus peuvent ainsi y être exposés et développer une tolérance au facteur VIII. Sept semaines après leur naissance, le facteur de substitution a été administré aux souriceaux issus de ces gestations : leur risque de réaction immunitaire contre le facteur a diminué de 80 %.

Une autre stratégie repose sur l’utilisation de la thérapie génique. Chez l’animal, restaure la production de FVIII par cette approche peut induire une tolérance au facteur de substitution. Ces données ont encouragé la conduite d’un essai clinique chez des patients atteints d’hémophilie A présentant des anticorps dirigés contre ce facteur pour vérifier si le même phénomène se produit. Sur deux cas publiés, cela a fonctionné chez un patient.

Pour traiter des patients chez lesquels des anticorps dirigés contre les facteurs de substitution thérapeutiques sont apparus, notamment en cas d’accident hémorragique ou d’intervention chirurgicale, une approche envisagée passe par la création de fenêtres thérapeutiques. L’idée est de museler temporairement le système immunitaire, le temps de procéder à une injection de facteur de substitution thérapeutique et de stopper l’hémorragie. Pour cela une molécule est expérimentée : l’imlifidase. Cette enzyme bactérienne élimine transitoirement, pendant une période de quatre à cinq semaines, toutes les immunoglobulines G dont celles en cause dans la réaction immunitaire dirigée contre les facteurs de substitution. Les travaux menés jusqu’ici uniquement chez la souris, suggèrent que traiter par de l’imlifidase des patients hémophiles immunisés contre le facteur VIII permettrait d’ouvrir une fenêtre thérapeutique de deux à sept jours durant lesquels ils pourraient recevoir à nouveau le facteur manquant.

Facteur de coagulation, mais pas que…

Des équipes étudient par ailleurs les autres rôles du facteur VIII. Chez la souris, il est aussi impliqué dans le développement osseux. Il contribuerait à la formation des cellules impliquées dans la construction osseuse (les ostéoblastes), et réduirait celle des ostéoclastes qui favorisent la destruction osseuse. Ces observations sont corroborées par d’autres, réalisées chez l’humain : les patients hémophiles présentent souvent une densité osseuse plus faible que la normale. Le facteur VIII jouerait également un rôle dans l’imperméabilité de la paroi vasculaire en favorisant la jonction des cellules endothéliales qui la composent. Chez les hémophiles, la paroi serait plus perméable, favorisant les hémorragies.

Stimuler la coagulation autrement

D’autres équipes s’attèlent à trouver des alternatives aux traitements de substitution. Une voie consiste à développer des anticorps capables de mimer l’action des facteurs de substitution à l’image de l’emicizumab, mais avec un niveau d’activité et une durée d’action plus importants. 

Des recherches sont également conduites pour améliorer les traitements ciblant la production de thrombine. Les molécules disponibles (anticorps monoclonal bloquant la TFPI et ARN interférent ciblant l’antithrombine 3) entraînent un risque de thrombose car elles activent trop fortement et de façon prolongée la production de thrombine. Pour prévenir ce risque, une équipe Inserm au Kremlin Bicêtre (unité 1148) s’intéresse à une molécule qui empêche la neutralisation de la thrombine spécifiquement au moment du saignement et sur le site du saignement : le VHH. Il s’agit d’un anticorps issu de camélidés qui neutralise fortement un inhibiteur naturel de la thrombine, la protéase Nexine‑1 (PN‑1).

Améliorer la thérapie génique

Dans l’hémophilie A, la thérapie génique fonctionne mal à ce jour. Les vecteurs utilisés pour délivrer le gène thérapeutique doivent être améliorés pour cibler des cellules qui produiraient davantage de facteur VIII, comme les cellules endothéliales qui tapissent les vaisseaux sanguins. Les chercheurs s’intéressent en particulier à des vecteurs dérivés de lentivirus ou encore des nanoparticules lipidiques. En outre la production de facteur VIII induit un stress pour la cellule qui se trouve dès lors fragilisée. Les chercheurs tentent de modifier le gène thérapeutique du facteur VIII pour réduire ce stress et améliorer la production du facteur de coagulation.

De nouveaux vecteurs sont également à l’étude pour la thérapie génique de l’hémophilie B. En effet, un grand nombre de personnes est immunisé contre les adénovirus et produisent donc des anticorps neutralisants contre le vecteur actuellement utilisé (AAV‑5). Elles ne peuvent bénéficier de ce traitement car le vecteur et le gène qu’il contient seraient immédiatement éliminés. En outre, chez les patients initialement non immunisés, l’administration du traitement déclenche la production d’anticorps anti-AAV qui empêche une nouvelle administration de thérapie génique en cas de perte d’efficacité de la première dose. Face à ce problème et parallèlement au développement de vecteurs alternatifs, il est aussi envisagé d’utiliser l’imlifidase pour créer une fenêtre thérapeutique permettant l’administration d’une thérapie génique malgré la présence d’anticorps anti-AAV. Comme pour l’élimination transitoire des inhibiteurs de facteurs de coagulation, il s’agit de neutraliser temporairement les anticorps dirigés contre les AAV, le temps d’une nouvelle injection de thérapie génique, afin que le gène thérapeutique s’insère dans les cellules cibles. Une équipe Inserm (unité 951 – Généthon) a apporté la preuve de concept in vitro et in vivo chez l’animal. Un brevet a été déposé par l’Inserm.

Une autre approche de thérapie génique consiste à corriger la mutation responsable de la maladie directement dans le gène du facteur de coagulation grâce à CRISPR-Cas9, un outil d’édition génomique. Cette approche permettrait une correction durable du gène et la persistance de cette correction au cours des divisions cellulaires. Actuellement les enfants ne peuvent pas être traités par thérapie génique car les cellules ciblées, celles de leur foie, se multiplient activement au cours de la croissance et qu’il n’est pas possible d’administrer des doses répétées de thérapie génique. Avec cette approche d’édition génomique, les enfants pourraient peut-être bénéficier d’une thérapie génique.

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