Anorexie mentale

Un trouble essentiellement féminin, à la frontière de médecine somatique et de la psychiatrie

L’anorexie mentale est un trouble du comportement alimentaire essentiellement féminin qui apparait le plus souvent à l’adolescence. Il entraîne une privation alimentaire stricte et volontaire pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. L’anorexie est très souvent associée à des troubles psychologiques. Les chercheurs tentent de préciser les mécanismes impliqués dans l’émergence de ce trouble, ainsi que ses facteurs de risque et d’évolution. Ils cherchent aussi à améliorer la qualité de la prise en charge des patients : l’objectif est d’obtenir des guérisons plus fréquentes et plus rapides, limitant ainsi le risque de séquelles et de complications potentiellement fatales.

Dossier réalisée avec le collaboration de Laura Di Lodovico, psychiatre, et de Philip Gorwood, chef de service et de pôle à l’hôpital Sainte-Anne (unité Inserm 1266, Institut de psychiatrie de Paris), à partir d’une première version réalisée avec Nathalie Godart, pédopsychiatre (unité Inserm 1178, Paris).

Comprendre l’anorexie mentale

L’anorexie mentale est un trouble des conduites alimentaires qui survient le plus souvent au moment de la puberté. Il se manifeste par un refus catégorique de s’alimenter normalement pendant une longue période, pour perdre du poids ou ne pas en prendre.

L’anorexie mentale se déclenche le plus souvent entre 14 et 17 ans, avec un pic de prévalence maximale à 16 ans. Toutefois, il semblerait que l’âge de début soit de plus en plus précoce. Le trouble peut parfois survenir tôt, à partir de 8 ans, ou plus tard, après 18 ans. Contrairement à certaines idées reçues, l’anorexie affecte toutes les catégories sociales et pas seulement les plus aisées. 

Environ 20% des jeunes filles adoptent des conduites de restriction et de jeûne à un moment de leur vie mais seule une minorité d’entre elles deviennent anorexiques, présentant alors tous les critères diagnostiques associés à ce trouble. Une étude épidémiologique menée auprès d’adolescents dans leur 18e année, en France en 2008, indique que l’anorexie mentale a concerné 0,5% de ces jeunes filles et 0,03 % des garçons entre 12 et 17 ans. Des données étrangères vont dans le même sens, avec des chiffres équivalents. 

Selon une revue des études épidémiologiques réalisées entre 2000 et 2018, la prévalence de l’anorexie au cours de la vie serait de 1,4% chez les femmes et de 0,2% chez les hommes. Ces chiffres sont restés stables au cours des dernières décennies. 

Des symptômes bien définis

Le diagnostic de l’anorexie mentale repose sur des critères cliniques précis, issus des classifications internationales (CIM et DSM 5). Ces critères font référence : 

  • à la façon de s’alimenter (restriction, éviction de certains aliments, refus de s’alimenter, phases boulimiques), et à certaines pratiques (vomissements provoqués, prise de laxatifs),
  • au poids (IMC inférieur à 17,5 kg/m2),
  • à la perception de soi (refus de reconnaître sa maigreur, perception déformée de son corps) et à l’estime de soi (sentiment d’avoir le contrôle sur son corps, hantise de grossir),

L’absence de règles depuis au moins 3 mois (aménorrhée) est un indicateur important en clinique, même s’il n’apparaît plus parmi les critères diagnostics de la maladie depuis la 5e édition du DSM, compte tenu de l’utilisation fréquente d’une contraception œstroprogestative qui crée des hémorragies de privation masquant l’aménorrhée. Le ralentissement de la croissance chez une jeune adolescente peut également être évocateur. D’autres symptômes encore peuvent être associés à l’anorexie : obsessions alimentaires, hyperactivité, surinvestissement intellectuel… 

L ‘ensemble de ces éléments engendre des perturbations, d’intensité variable, du fonctionnement cognitif et émotionnel. 

Des facteurs prédisposants et d’autres pérennisants

L’anorexie mentale est un trouble polyfactoriel qui dépend de facteurs génétiques et psychologiques individuels, en étroite interaction avec des facteurs environnementaux, familiaux et socioculturels. Parmi eux, il existe des facteurs prédisposants, des facteurs précipitants et des facteurs pérennisants. 

Des traits de tempérament caractéristiques semblent favoriser la survenue de l’anorexie mentale. C’est le cas du perfectionnisme, d’une faible estime de soi, des manifestations anxieuses ou dépressives précoces, d’une moindre flexibilité cognitive entrainant une incapacité à s’adapter et à changer ses habitudes ou encore de cognitions sociales diminuées : ces personnes ont une faible capacité à comprendre l’état d’esprit des autres et ont des relations sociales relativement pauvres. Des stress précoces variés ont aussi été incriminés comme les difficultés périnatales, la maltraitance ou les abus sexuels. 

Des variations génétiques ont par ailleurs été associées à certains aspects comportementaux, psychiatriques et/ou métaboliques présents dans l’anorexie mentale. Des études de cohorte portant sur des centaines de personnes ont permis de découvrir que celles souffrant d’anorexie mentale présentaient plus fréquemment des mutations sur huit gènes déjà associés aux troubles obsessionnels compulsifs, à la dépression, à l’anxiété, à une forte inclination pour l’activité physique, mais aussi à un moindre risque de développer un diabète et à un faible indice de masse corporelle. Mais à ce jour, aucun gène prédisposant directement à l’anorexie mentale n’a été mis en évidence. Il se pourrait plutôt que de nombreux gènes à effet mineur contribuent à l’apparition de ce trouble en présence d’autres facteurs de risque. 

Des anomalies biologiques ont également été repérées chez les personnes souffrant d’anorexie mentale, par exemple des anomalies de la neurotransmission, comme un hyperfonctionnement du système sérotoninergique et des anomalies du circuit dopaminergique.

Plusieurs facteurs semblent ensuite contribuer à la chronicisation de l’anorexie, notamment des facteurs biologiques, psychologiques et neurocognitifs. Le corps s’adapte à la restriction alimentaire, prolongée par des modifications des systèmes de régulation de l’appétit, du métabolisme, de l’humeur. Ainsi, le système cérébral de la récompense est altéré chez environ 80% des patients. Normalement, les aliments appétissants provoquent la libération d’endorphines, reflétant le plaisir pris à les déguster. Mais chez les personnes anorexiques, c’est au contraire le jeûne, la restriction alimentaire et l’activité physique intense qui sont à l’origine d’une libération d’endorphines. Le système dysfonctionne et appelle alors à ces comportements, les renforce et les perpétue. Par ailleurs, une personne anorexique se réjouit et exprime une satisfaction de sa maigreur et de pouvoir contrôler son corps. 

Par ailleurs, environ 40% des personnes anorexiques souffrent de troubles psychiatriques : anxiété, phobies, trouble obsessionnel compulsif, addictions (alcool, abus de substances) ou troubles de la personnalité. Ils peuvent apparaître avec l’anorexie ou être exacerbés par celle-ci. Ils peuvent aussi être indépendant du trouble de la conduite alimentaire : l’intrication est très complexe à évaluer pour les cliniciens. Ces troubles, qui compliquent la prise en charge, participent à la chronicisation de l’anorexie.

La puberté, souvent le point de départ

L’anorexie mentale se révèle souvent pendant la puberté, période clé de l’autonomisation sociale et de la sexualisation durant laquelle les individus sont focalisés sur l’image du corps et l’image de soi. Elle débute toujours par une restriction alimentaire, le plus souvent voulue (le « régime »), parfois fortuite, impliquant une dénutrition. Des événements de vie traumatisants (séparation, deuil…) sont fréquemment retrouvés avant le déclenchement des troubles alimentaires et pourraient marquer le point de départ de l’anorexie mentale chez certaines patientes. L’anorexie mentale évolue ensuite souvent vers une forme associant une boulimie nerveuse (voir encadré). 

La phase anorexique dure en moyenne un an et demi à trois ans, mais cet état peut se prolonger jusqu’à cinq ans ou plus chez certaines patientes. 

Deux tiers des sujets guéris après 5 ans

Après cinq ans d’évolution, deux tiers des patients sont guéris. Pour les autres, on parle d’anorexie mentale chronique. Des rémissions ou guérisons plus tardives sont toujours possibles. A terme, la moitié des personnes soignées pour une anorexie mentale à l’adolescence guérissent, un tiers est amélioré, 21% souffrent de troubles chroniques et 5 à 6% décèdent. 

La mortalité est maximale l’année qui suit la sortie d’hospitalisation des patientes. Elle est due aux complications somatiques dans plus de la moitié des cas (le plus souvent un arrêt cardiaque), à un suicide dans 27% des cas et à d’autres causes dans 19% des cas. Le taux de suicide associé à l’anorexie est le plus important de toutes les maladies psychiatriques.

Le repérage et la prise en charge précoces du trouble semblent favoriser le pronostic, avec un risque diminué de chronicité et de complications somatiques, psychiatriques ou psychosociales. 


Boulimie nerveuse : des liens étroits avec l’anorexie

Les troubles alimentaires que sont l’anorexie mentale et la boulimie nerveuse sont intimement liés et peuvent être associés ou s’alterner : 20 à 50% des sujets souffrant d’anorexie mentale ont des crises de boulimie et 27% des sujets souffrant de boulimie nerveuse ont des antécédents d’anorexie mentale.
Entre un tiers et la moitié des patients souffrant d’anorexie mentale passent d’une phase restrictive au moment de l’adolescence à une phase d’alternance avec des crises de boulimie suivies de vomissements aux alentours de 18 ans. Cette évolution peut parfois améliorer le poids, mais elle entraine d’autres risques comme des déséquilibres ioniques potentiellement graves (risque d’arrêt cardiaque) et la dégradation de la dentition. Les raisons de cette évolution ne sont pas connues. Et le pronostic de guérison est équivalent chez les jeunes femmes souffrant d’anorexie purement restrictive ou d’anorexie-boulimie.


Des complications aux séquelles

Des complications de l’anorexie sont directement liées à la dénutrition ou aux comportements associés (notamment aux vomissements).

En phase aiguë, une atteinte cardiovasculaire (baisse du rythme cardiaque, troubles du rythme, chutes de tension) peut toucher jusqu’à 87% des patientes et l’aménorrhée (absence de règles) est quasi constante. Les personnes souffrant d’anorexie mentale sont généralement infertiles, mais le risque de grossesse n’est pas nul. 

L’anorexie entraîne également des manifestations hématologiques (anémie, leucopénie et thrombopénie), un risque d’infections plus important, des perturbations neurologiques, des troubles métaboliques du cholestérol et du glucose, mais également une perte des cheveux, des problèmes rénaux et hépatiques, des constipations... Ces altérations sont le plus souvent réversibles lors de la reprise de poids. 

À plus long terme, les complications sont principalement osseuses, avec un risque d’ostéoporose, et dentaires en cas de vomissements. Ceux-ci, lorsqu’ils sont fréquents, provoquent une usure dramatique des dents. Il existe également un risque de retard de croissance staturo-pondérale si l’anorexie survient avant ou au début de la puberté 

Sur le plan psychique, l’anorexie entraine des ritualisations, une rigidité des attitudes et un appauvrissement de la vie relationnelle, affective et sexuelle, avec à terme un retentissement sur la vie scolaire ou professionnelle.

Faire adhérer le patient à la prise en charge

Les objectifs des soins sont de : 

  • restaurer le poids
  • traiter la souffrance psychologique
  • minimiser les conséquences sociales et relationnelles

Il est indispensable d’associer l’entourage à la prise en charge, notamment la famille, pour les mineurs mais aussi pour les adultes. 

La prise en charge débute en consultation ou avec une hospitalisation. L’hospitalisation peut être nécessaire en cas de risque vital pour la patiente (pour des causes physiques ou un risque suicidaire), mais aussi en cas d’épuisement familial ou d’échec des soins ambulatoires. La Haute Autorité de santé a publié un tableau décisionnel présentant les critères d’hospitalisation à temps plein pour les enfants/adolescents et pour les adultes. Il repose sur des critères cliniques, biologiques et sur l’ensemble des évènements récents engendrés ou en lien avec la maladie (critères anamnestiques) comme la vitesse de la perte de poids ou la survenue de malaises. En cas de refus de la patiente, l’hospitalisation peut être imposée par les parents ou par un tiers, en collaboration avec des médecins. 

L’objectif nutritionnel à court terme est une normalisation du poids progressive et le retour vers une alimentation spontanée, régulière et diversifiée. La patiente doit retrouver les sensations de faim et de satiété, et savoir y apporter une réponse adaptée. 

La rémission et la reprise pondérale peuvent s’accompagner d’une amélioration des troubles psychiatriques éventuellement associé à l’anorexie, comme les symptômes dépressifs et anxieux. Mais cet effet n’est pas systématique : les troubles psychiatriques peuvent persister, s’aggraver ou même apparaître chez certains patients en rémission. Cependant, alors qu’il est difficile de poser un diagnostic clair de la santé psychiatrique du patient en phase aiguë d’anorexie en raison des intrications complexes entre ces différents troubles, le retour à un poids normal permet de mieux évaluer le tableau psychiatrique global du patient. 

La prise en charge et le suivi sont multidisciplinaires, psychologique (soutien, thérapies comportementales et familiales) et somatique. Un traitement médicamenteux peut être mis en place pour soulager les troubles psychiatriques associés ou les complications somatiques. La rémission et la reprise pondérale peuvent s’accompagner d’une amélioration des troubles psychiatriques s’ils étaient présents comme les symptômes dépressifs et anxieux mais de façon non systématique. Ainsi, ces troubles peuvent persister après la rémission, s’aggraver ou même apparaître chez certains patients. Alors qu’il est difficile de poser un diagnostic clair de la santé psychiatrique du patient en phase aiguë d’anorexie compte tenu des intrications complexes entre les deux, le retour à un poids normal permet de mieux évaluer le tableau psychiatrique global du patient. Chez les adultes, plusieurs approches thérapeutiques sont proposées en première ligne, telles que la thérapie cognitivo-comportementale, la thérapie familiale ou encore d’autres psychothérapies. Aucune de ces stratégies n’a montré une supériorité par rapport aux autres. La présence d’un psychiatre référent et spécialisé dans la prise en charge des troubles alimentaires est fondamentale pendant toute la durée de la prise en charge, si possible en lien avec le médecin traitant généraliste. 

Le déni des troubles par la patiente est un obstacle à la prise en charge fréquent et important. D’autres facteurs comme le fait d’avoir plus de 18 ans, un ou des enfants, vouloir rester maigre ou encore avoir un comportement compulsif offrent un moins bon pronostic d’adhésion aux soins. Au final, entre un quart et la moitié des patients abandonnent leur traitement en cours, y compris pendant l’hospitalisation.

Les rechutes sont fréquentes lors de l’évolution de l’anorexie mentale. En cas de rémission, le suivi doit se maintenir au moins un an. 


Le bénéfice de la thérapie familiale

La thérapie familiale menée à l’adolescence a démontré une réelle efficacité dans l’anorexie mentale. Elle se centre sur la famille et les interactions au sein de celle-ci. Elle implique les parents mais également la fratrie (thérapie multi-familiale). L’anorexie mentale génère souvent un stress et des perturbations familiales importants. L’objectif est de renforcer les liens intrafamiliaux pour replacer la famille au cœur d’une dynamique constructive. 


Les enjeux de la recherche

À la recherche des causes et des mécanismes

Les chercheurs tentent de décrire l’étiologie et la physiologie de ce trouble alimentaire pour pouvoir le prévenir et identifier d’éventuelles cibles thérapeutiques. 

Les dernières avancées de la recherche suggèrent que l’anorexie mentale est maintenue, au moins en partie, par un dysfonctionnement de circuits neuronaux sous-tendant les symptômes de la maladie. A l’hôpital Sainte-Anne, l’équipe de Philip Gorwood (Unité Inserm 1266) explore notamment la dérégulation du système de prise de décision et de motivation. Les patients souffrant d’anorexie mentale semblent en effet présenter une réduction de la motivation à s’alimenter et vivre dans une routine centrée sur l’alimentation et le sport. Leurs choix sont davantage guidés par les habitudes, et leurs capacités de changement et d’adaptation sont altérées. Ces différents modes de prises de décisions (habitude ou nouveauté) sont contrôlés par des régions différentes du cerveau. Des chercheurs étudient les anomalies qui pourraient expliquer le manque de capacité de ces jeunes à modifier leur comportement, ce qui renforcerait leur restriction alimentaire. 

Des mécanismes biologiques communs aux addictions et à l’anorexie sont par ailleurs recherchés chez des modèles animaux. L’implication du système sérotoninergique, connu pour réguler à la fois la faim et les addictions, a notamment été étudié dans ce cadre. 

La composante génétique de la maladie continue par ailleurs à faire l’objet de recherches. Une attention particulière est portée aux variants du gène du BDNF (Brain-Derived Neurotrophic Factor) corrélées à plusieurs symptômes de la maladie, comme l’aspect de récompense lié à la maigreur. 

Enfin, des dérèglements hormonaux sont suspectés. La ghréline, hormone stimulatrice de l’appétit, fait par exemple l’objet de travaux car son taux plasmatique est anormalement élevé chez les patients anorexiques. Les scientifiques émettent deux hypothèses : selon la première, la sensibilité à l’hormone serait diminuée chez ces personnes, au moins de façon transitoire. Selon la seconde l’hormone jouerait un rôle actif dans la maladie. La concentration élevée de ghréline pourrait contribuer à l’aversion alimentaire, via la stimulation chronique de structures cérébrales et la libération de neurotransmetteurs responsables du vécu d’anxiété des patients lors de la prise alimentaire. Les scientifiques tentent donc de clarifier le rôle de cette hormone et d’identifier d’autres neuropeptides qui pourraient également être impliqués dans les troubles alimentaires, telles que l’insuline et la leptine. Comme avec la ghréline, leur action sur certaines structures cérébrales, notamment sur le système de récompense, pourrait contribuer à la perturbation du comportement alimentaire. 

La fin des faims ? – Communiqué de presse vidéo – 3 min 32 – Film extrait de la collection Histoires de recherche (2014)

L’axe microbiote-intestin-cerveau : des interactions entre la flore intestinale et l’anorexie ?

Comme dans d’autres formes de dénutrition sévère, une « dysbiose intestinale », c’est-à-dire une altération de l’équilibre du microbiote intestinal, a été mise en évidence dans l’anorexie mentale. Le microbiote intestinal correspond à l’ensemble de microbes peuplant l’appareil digestif. Il établit des communications avec le reste de l’organisme via la circulation sanguine et via l’axe intestin-cerveau qui englobe l’ensemble des signaux biologiques existants entre le système gastro-intestinal et le système nerveux central. Des perturbations de cet écosystème pourraient avoir un rôle dans la pathophysiologie de l’anorexie mentale sans que l’on sache à ce stade si ces anomalies précèdent l’apparition de l’anorexie ou en sont la résultante. 

Les chercheurs ont notamment observé une diminution de certaines espèces bactériennes productrices d’acides gras à chaine courte, bénéfiques pour les parois intestinales et le cerveau. L’augmentation d’espèces bactériennes qui dégradent des composants de la paroi intestinale a également été mise en évidence, associée à une augmentation de la perméabilité intestinale qui serait responsable d’une inflammation et d’une stimulation de la réponse immune. Cette dernière pourrait à son tour avoir des effets sur le fonctionnement cérébral. 

D’autres espèces bactériennes encore sont surreprésentées dans la flore intestinale des patients atteints d’anorexie, en particulier certaines Escherichia coli productrices de ClpB. Or cette protéine ClpB a une forte analogie structurale avec l’hormone de satiété. A Rouen, l’équipe de Pierre Dechelotte (unité Inserm 1073, Nutrition, inflammation et dysfonction de l’axe intestin-cerveau) émet l’hypothèse que la réponse immune initialement dirigée vers ClpB pourrait également cibler les récepteurs de l’hormone de satiété et, en les stimulant chroniquement, décourager la prise alimentaire. 

Un retour au poids normal et une alimentation diversifiée, riche en fibres et acides graisses polyinsaturées pourrait permettre de corriger, au moins en partie, la dysbiose intestinale des patients et de rétablir une flore intestinale plus proche de celle de personnes non anorexiques. 

Des améliorations cliniques

Un autre pan de la recherche, clinique cette fois, vise à comprendre l’évolution des comportements associés à l’anorexie, afin de mieux intervenir et d’améliorer le pronostic des patients. Dans 20 à 40% des cas, une hospitalisation à temps complet est nécessaire pour une prise en charge plus intensive sur le plan à la fois nutritionnel et psychologique. Cependant, des travaux récents ont montré que chez les jeunes filles souffrant d’anorexie mentale modérément sévère, nécessitant une première prise en charge intensive, l’hospitalisation de jour apporte des résultats similaires à ceux observés avec une hospitalisation à temps complet. Les deux stratégies de prise en charge sont associées aux mêmes taux de récupération de poids et de maintien de ce gain dans l’année suivant les soins. Toutefois, la première provoque une coupure avec l’environnement quotidien, et un coût plus important pour la collectivité. 

Toujours sur le plan clinique, la remédiation cognitive constitue une technique prometteuse en cours d’évaluation. Des thérapeutes apprennent aux patients à corriger des comportements délétères liés à une rigidité cognitive et à une focalisation sur les détails qui contribuent à entretenir leurs troubles. Dans ce but, des chercheurs s’appuient par exemple sur des outils thérapeutiques de réalité virtuelle. Ils permettent d’exposer les patients à des stimuli anxiogènes comme la nourriture, ou addictifs comme l’exercice physique, dans le cadre d’une surveillance médicale. Ces expositions répétées ont pour but de « désensibiliser » les patients pour que ces stimuli finissent par ne plus générer d’anxiété ou d’impulsion. Des supports thérapeutiques ont également été développés sous forme d’applications pour smartphone, pour accompagner les personnes souffrant d’anorexie mentale au quotidien. Ainsi, Blue Buddy, première application mobile française pour les personnes souffrant de trouble des conduites alimentaires, a été développée par l’équipe du pôle clinique des maladies mentales et de l’encéphale (CMME) de l’hôpital Sainte-Anne à Paris. 

Sur le plan pharmacologique, une étude récente conduite à partir d’une cohorte de patients adultes a démontré une efficacité de l’olanzapine sur leur prise pondérale, mais sans amélioration de leurs symptômes psychologiques et comportementaux spécifiques à la maladie. Ces résultats sont à confirmer. L’olanzapine est actuellement indiquée dans le traitement des psychoses, où elle apporte un bénéfice concernant le contrôle de symptômes délirants et hallucinatoires ainsi que celui de l’anxiété, avec une prise de poids comme effet secondaire plutôt fréquent. 

Les techniques de stimulation cérébrale

L’hypothèse selon laquelle l’anorexie mentale est maintenue, au moins en partie, par un dysfonctionnement de circuits neuronaux a représenté le point de départ de l’utilisation de la stimulation cérébrale profonde pour modifier de manière ciblée le fonctionnement de ces circuits, dans le but de réduire la sévérité de l’anorexie.

Dans ce domaine, la stimulation magnétique transcrânienne (TMS) est la stratégie non-invasive la plus étudiée chez les patients souffrant d’anorexie mentale. Elle repose sur l’application d’un champ magnétique à la surface du crâne, pour modifier l’activité neuronale. Elle présente une certaine efficacité chez des patients résistants à la prise en charge classique, notamment en cas de boulimie associée. La stimulation électrique transcrânienne à courant direct, également non invasive, est aussi utilisée. Elle repose quant à elle sur l’utilisation d’électrodes pour envoyer un courant électrique au niveau des zones du cerveau ciblées . 

Une approche plus invasive, la stimulation cérébrale profonde, a été employée de manière expérimentale au cours des dernières années pour des cas sévères d’anorexie mentale, résistants aux autres approches. Cette fois, il s’agit d’implanter des électrodes au cœur de structures cibles du cerveau, afin d’y délivrer un courant électrique qui modifie l’activité de groupes des neurones précis. En modulant la fréquence de la stimulation, l’activité de ces structures peut être inhibée ou, au contraire, augmentée. Les premières cibles de cette stimulation dans l’anorexie ont été les structures limbiques, siège des circuits de régulation des émotions et de l’anxiété.

La place de ces différentes techniques dans la pratique clinique reste expérimentale avec des résultats d’études hétérogènes et sans protocole défini à ce jour. Des essais cliniques randomisés sont nécessaires pour documenter leur efficacité et leur sécurité, à court et à long terme. 

Pour aller plus loin

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