Dengue

Une maladie virale transmise par les moustiques en pleine expansion

La dengue est une infection virale transmise par les moustiques. Elle est le plus souvent bénigne, mais des formes sévères et imprévisibles surviennent dans environ 1% des cas, plus souvent chez les jeunes enfants.
Plus de 55% de la population mondiale est aujourd’hui exposée au virus de la dengue. En raison de la circulation croissante du moustique vecteur de la maladie dans les régions tempérées, l’Europe n’est plus épargnée par le risque d’épidémie.
Les efforts de recherche sont déployés dans plusieurs directions : Il s’agit de mieux comprendre les déterminants des formes sévères qui surviennent de façon imprévisible, de prévenir l’infection par le développement de nouveaux vaccins plus efficaces que celui actuellement homologué, et de limiter la diffusion du moustique vecteur de la maladie.

Dossier réalisé en collaboration avec André Cabié, Centre d’investigation clinique Antilles Guyane, service des maladies infectieuses et tropicales, médecine polyvalente, CHU de Martinique – Université des Antilles. 

Comprendre la dengue

La dengue est une infection virale transmise par les moustiques femelles du genre Aedes, plus spécifiquement Aedes aegypti et Aedes albopictus.

Le virus de la dengue est un arbovirus (ou arthropod-borne virus, pour virus transmis par des arthropodes) dont on connaît actuellement 4 sérotypes : DEN‑1, DEN‑2, DEN‑3 et DEN‑4. Chez les personnes qui ont été infectées, la guérison entraîne une immunité à vie contre le sérotype à l’origine de l’infection, mais pas contre les trois autres. Une personne peut donc en théorie connaître au maximum quatre infections successives. Des infections ultérieures par d’autres sérotypes, surtout la deuxième, accroissent le risque de développer une dengue sévère. 

Schéma de transmission du virus de la dengue
© Inserm / F. Koulikoff

Le virus se transmet entre humains par l’intermédiaire d’un moustique infecté. Lors d’une piqûre, le moustique prélève le virus chez une personne infectée et peut le transmettre à une personne saine à l’occasion d’une autre piqûre, après une incubation de 4 à 10 jours et pendant tout le reste de sa vie. Les personnes infectées par le virus de la dengue peuvent quant à elles transmettre l’infection pendant 4 à 5 jours et au maximum 12 jours après l’apparition des premiers symptômes. 


Aedes aegypti vit en milieu urbain et se reproduit principalement dans des conteneurs produits par l’homme. Il a un pic d’activité tôt le matin et le soir avant le crépuscule. Pendant chaque période où elle se nourrit, la femelle pique de multiples personnes. 

Aedes albopictus, connu sous le nom de moustique tigre en France, est un vecteur secondaire de la dengue en Asie. Il s’est propagé en Amérique du Nord et dans plus de 25 pays européens, en grande partie via le commerce international de pneus usagés (un gîte larvaire) et le mouvement des marchandises. Cette espèce a une très grande faculté d’adaptation, tolère des températures inférieures à 0° et peut hiberner. 


Une expansion majeure au cours des dernières décennies

La dengue a progressé dans le monde de manière spectaculaire au cours des cinquante dernières années : désormais 3,9 milliards de personnes y sont exposées dans 128 pays, soit plus de la moitié de la population mondiale. Les régions tropicales et subtropicales du monde entier sont les plus concernées, avec une prédilection pour les zones urbaines et semi-urbaines. 

Longtemps limitée à l’Asie du sud-est, la dengue n’a cessé de s’étendre à l’océan Indien, dans le Pacifique, aux Antilles et à l’Amérique latine. Désormais, la maladie est endémique dans de nombreux pays d’Afrique, dans les Amériques ou encore en Méditerranée orientale. Elle sévit sur un mode épidémique aux Antilles françaises et la menace d’une flambée de dengue existe désormais en Europe. Une transmission locale a été rapportée pour la première fois en France et en Croatie en 2010. Cette expansion s’explique par la dissémination du moustique Aedes favorisée par ses capacités d’adaptation et par le développement des échanges internationaux. 

Entre 2010 et 2015, le nombre de cas notifiés est passé de 2,2 millions à 3,2 millions, mais l’Organisation mondiale de la santé estime que 390 millions de personnes par an sont infectées, parmi lesquelles 96 millions présentent des symptômes.

Une maladie le plus souvent bénigne

La dengue est le plus souvent bénigne. Elle se manifeste par une forte fièvre (40°C), accompagnée de deux des symptômes suivants : 

  • céphalées sévères
  • douleurs rétro-orbitaires, musculaires, articulaires
  • nausées, vomissements
  • adénopathie
  • éruption cutanée

Ces symptômes apparaissent suite à une période d’incubation de 4 à 10 jours après la piqûre d’un moustique infecté. Ils perdurent en général de 2 à 7 jours. Une prise de sang permet de confirmer la présence du virus. 

Il n’existe pas de traitement spécifique : il est symptomatique, pour lutter contre la douleur, la fièvre et la déshydratation. En raison du risque hémorragique, il faut impérativement éviter la prise d’aspirine et d’anti-inflammatoires. La guérison s’accompagne d’une convalescence d’une quinzaine de jours. 

L’évolution vers une forme plus sévère est rare (environ 1% des cas) et imprévisible. Les enfants de moins de 15 ans sont les plus concernés. Elle se caractérise par au moins l’un des événements suivants : fuite plasmatique sévère pouvant mener à un syndrome de choc, épanchement liquidien et détresse respiratoire, hémorragies sévères ou encore atteinte organique grave (foie, système nerveux central, cœur ou autres organes). Les signes d’alerte sont : 

  • des douleurs abdominales
  • des vomissements persistants
  • des signes d’épanchements liquidiens
  • des saignements muqueux
  • une léthargie ou une agitation

Ces signes surviennent de 3 à 7 jours après les premiers symptômes, conjointement à une baisse de la température (en dessous de 38°C). La vigilance clinique doit donc être maximale autour du 4e jour après l’apparition de la fièvre. L’apparition de ces signes d’alerte nécessite une prise en charge immédiate par des professionnels expérimentés. Cela peut permettre de ramener le taux de mortalité de près de 20% en l’absence de traitement à moins de 1 %. L’OMS estime à 500 000 le nombre de personnes atteintes de dengue sévère qui nécessitent une hospitalisation chaque année, dont une très forte proportion d’enfants.


Des formes graves plus fréquentes en cas de deuxième infection

Les formes graves de la dengue avec fuite plasmatique sont le plus souvent observées au cours d’une deuxième infection. Cette observation s’expliquerait par le phénomène de facilitation immunologique : une première infection entraîne la production d’anticorps dirigés contre le sérotype en cause. Ces anticorps assurent une protection à vie contre ce sérotype particulier. Mais lors d’une seconde infection par un autre sérotype, ils ne sont pas capables de neutraliser ce nouveau sérotype et facilitent au contraire sa multiplication dans les monocytes, déclenchant une réaction inflammatoire intense avec augmentation de la perméabilité vasculaire et provoquent un risque accru d’hémorragie. Ainsi, non seulement une infection par un sérotype donné ne protège pas contre les trois autres, mais une réinfection par un autre sérotype peut être parfois associée avec une forme hémorragique. 


Un risque épidémique sous surveillance

Le risque épidémique associé à la dengue est très élevé dans les Antilles françaises. Il fait l’objet de mesures spécifiques : programmes de surveillance des populations de moustique, surveillance épidémiologique via la déclaration obligatoire, dispositif d’alerte et de gestion des épidémies de dengue. 

En France métropolitaine, le moustique Aedes albopictus s’est progressivement disséminé du sud vers le nord depuis 2004. Il est désormais installé dans 33 départements dont le Val de Marne. Il a été intercepté dans 21 autres, dont le Val d’Oise, l’Essonne, la Seine-Saint-Denis et Paris. De par la présence de ce moustique dans ces départements, le risque de déclenchement d’une épidémie à partir de cas importés en métropole est devenu réel. À ce titre, depuis 2006, le ministère chargé de la Santé a mis en place un dispositif de lutte contre le risque de dissémination de la dengue en France métropolitaine. Actualisé chaque année, il consiste à surveiller les populations de moustiques, les cas humains de dengue et à sensibiliser les personnes résidant dans ces zones pour éliminer les gîtes potentiels de reproduction des moustiques. 

Prévenir la maladie, c’est lutter contre les piqûres et les moustiques

La prévention repose sur : 

  • la protection individuelle contre les piqûres
  • le contrôle des populations de moustiques (lutte anti-vectorielle)

Les moustiques présentent un pic d’agressivité à la tombée du jour. Des mesures simples permettent de se protéger des piqûres : vêtements longs, répulsifs cutanés, diffuseurs électriques... Les personnes résidant dans les départements hébergeant le moustique Aedes doivent se protéger si elles rentrent d’un pays contaminé afin de prévenir l’introduction de la maladie en métropole.

Il importe également de supprimer les eaux stagnantes qui permettent la reproduction du moustique autour de son domicile (soucoupes des pots de fleurs, vases, gouttières mal entretenues, déchets divers contenant de l’eau stagnante, pneus usagés, etc.). Des traitements insecticides chimiques ou biologiques peuvent également être effectués contre les moustiques adultes, mais seulement par des professionnels autorisés par le préfet. La lutte anti-vectorielle est le seul moyen de lutter collectivement contre la transmission du virus, que ce soit en amont ou dans le cadre d’une épidémie. 

Le moustique tigre – film d’animation pédagogique – 5 min 24 – IRD (2014)

Un vaccin contre la dengue désormais disponible

Fin 2015 et début 2016, le premier vaccin contre la dengue, Dengvaxia®, mis au point par le laboratoire Sanofi Pasteur, a été enregistré dans onze pays dont le Mexique, le Brésil ou encore les Philippines, en vue d’une utilisation chez des personnes âgées de 9 à 45 ans vivant dans des zones d’endémie. Il s’agit d’un vaccin vivant tétravalent recombinant (dirigé contre les quatre sérotypes du virus de la dengue), administré sous forme de série de 3 doses, selon un calendrier du type 0/6/12 mois. 

L’efficacité du vaccin est d’environ 59,2%, mais son utilisation réduit surtout le risque de formes graves et d’hospitalisation. L’efficacité varie en fonction du sérotype (71,6% et 76,9% respectivement contre les sérotypes 3 et 4 et 54,7% et 43,0% contre les sérotypes 1 et 2), en fonction de l’âge lors de la vaccination, et en fonction du statut sérologique de départ. Le vaccin est plus efficace quand le sujet a déjà été exposé au virus de la dengue avant la vaccination. En outre, la vaccination chez les moins de neuf ans ne réduit pas le risque d’hospitalisation pour dengue. Peut ‑être que le vaccin sert de facilitateur immunologique en cas d’infection, aggravant sa sévérité. C’est pour cette raison que le vaccin est recommandé chez les plus de 9 ans alors que ce sont les jeunes enfants qui développent le plus souvent les formes graves. L’OMS recommande d’envisager l’utilisation du vaccin uniquement dans les zones géographiques où les données épidémiologiques indiquent une forte charge de morbidité due à la dengue.

Le Haut Comité pour la santé publique a déjà émis un avis pour la Guyane, la Réunion et les Caraïbes, alors même que le vaccin n’a pas d’autorisation de mise sur le marché en Europe : il s’est prononcé en défaveur de son utilisation, compte tenu du fait que 80% de la population y est déjà infectée, que l’efficacité du vaccin est modérée et que sa tolérance à moyen et long terme n’a pas encore été évaluée. 

Les enjeux de la recherche

Plusieurs axes de recherche sont poursuivis pour prévenir la maladie et prévoir les épidémies. 

De nouveaux vaccins en cours de développement

Environ cinq autres vaccins candidats sont en cours de développement clinique dont deux (mis au point par Butantan et Takeda) sont entrés dans les essais de phase III au début de l’année 2016. Il s’agit également de vaccins tétravalents vivants atténués. D’autres vaccins inactivés ou recombinants sont également à l’étude.

L’objectif est d’obtenir un vaccin plus efficace que le Dengvaxia®. Bien que celui-ci déclenche une bonne production d’anticorps neutralisants contre le virus chez les personnes vaccinées, son efficacité est modérée et la maladie peut se déclencher. Il doit donc exister d’autres facteurs de protection biologiques contre le virus qui restent à découvrir. En outre, obtenir une bonne réponse vaccinale contre les quatre sérotypes à la fois reste un défi. 

Récemment, des chercheurs de l’Institut Pasteur, du CNRS et de l’Inserm ont également caractérisé un anticorps capable de neutraliser simultanément les quatre sérotypes du virus de la dengue chez la souris. L’anticorps reconnaît une protéine de surface du virus, s’y lie et perturbe de façon irréversible l’architecture du virus, le rendant inactif. Il s’agit d’une nouvelle piste de développement vaccinal. 

Les déterminants de la vulnérabilité individuelle 

Les chercheurs travaillent sur les caractéristiques des infections et leur importance épidémiologique : asymptomatiques, symptomatiques et bénignes, sévères. Des chercheurs du CNRS, de l’Institut Pasteur, de l’Inserm et de l’Université de Berkeley (Californie) ont par ailleurs identifié en 2008 un mécanisme de résistance qui constitue un système de défense inné contre l’infection chez certains individus. Des macrophages du derme humain qui expriment la protéine CD209/DC-SIGN sont capables de capturer le virus de la dengue inoculé par le moustique sans que le virus soit en mesure de s’y multiplier. 

Par ailleurs, le projet européen Denfree, impliquant plusieurs équipes nationales et internationales et coordonné par l’Institut Pasteur a permis de montrer que les profils d’expression génique sont différents chez les patients selon que la dengue est asymptomatique, symptomatique et bénigne, ou sévère. Cette découverte est une étape importante pour mieux comprendre les mécanismes de neutralisation du virus. Les chercheurs ont également montré que les cas asymptomatiques contribuent autant à la diffusion du virus que les cas symptomatiques. Or, selon les estimations, 75% à 90% des cas seraient asymptomatiques. Ces observations permettent d’améliorer les modèles informatiques de diffusion du virus. 

Meilleure connaissance du virus et de ses liens avec celui du Zika

Des travaux portent sur la physiologie de l’infection et sur la recherche de nouvelles thérapies antivirales. Le projet KerARBO, financé en 2012 par l’Agence nationale pour la recherche et coordonné par l’IRD à Montpellier, vise par exemple à comprendre les premières étapes de l’interaction entre le virus et son hôte. Les chercheurs décrivent en particulier les mécanismes de réplication du virus au site même de son inoculation par la salive du moustique au niveau de la peau. 

D’autres travaux portent sur le cycle viral au sein des moustiques vecteurs et à leur aptitude à transmettre le virus. C’est comme cela que les chercheurs ont prouvé que le moustique tigre Aedes albopictus présent en France est aussi efficace que le vecteur traditionnel Aedes aegypti lorsqu’il s’agit de transmettre le virus de la dengue.

Enfin, des études portent sur l’effet croisé des infections aux virus de la dengue et du Zika. Ces deux virus sont si proches génétiquement qu’il est difficile de les distinguer lors du diagnostic sérologique. L’infection par l’un ou l’autre pourrait favoriser l’infection par le second par un phénomène de facilitation immunologique. 

Surveillance épidémiologique et lutte anti-vectorielle

De nombreux travaux portent sur la lutte anti-vectorielle, afin de limiter le développement et l’expansion du moustique Aedes à travers le monde. Un projet européen en cours, Dengue Tools, dont l’Institut Pasteur est partenaire, a pour objectifs de développer des outils de contrôle de la maladie et d’améliorer les connaissances sur les risques d’introduction de la maladie dans des zones non contaminées jusque-là. L’objectif est de proposer des outils prédictifs d’épidémie, destinés aux agences de santé.

L’une des pistes pour réduire les populations de moustiques Aedes est de les infecter par la bactérie Wolbachia. Ils se reproduisent alors moins bien, vivent également moins longtemps et surtout, l’infection bloque la réplication du virus de la dengue. Des expériences ont lieu dans plusieurs pays, Australie, Colombie, Viêt-Nam, Brésil avec la libération d’œufs et de males infectés afin que la bactérie se diffuse dans les populations de moustiques. 

Une autre stratégie consiste à modifier génétiquement les moustiques. Une expérimentation a lieu au Brésil avec l’insertion de mâles mutants dans l’environnement. En se reproduisant, ils transmettent aux larves une maladie grave qui entraine une mort prématurée. Quant aux femelles, elles ne s’accouplent qu’une fois, de sorte que la population de moustiques devrait rapidement décroitre. 

Pour aller plus loin

  • Dengue – dossier de l’Organisation mondiale de la santé
  • Dengue – dossier du ministère de la santé
  • Dengue – dossier de Santé publique France
  • Dengue – fiche de l’Institut Pasteur