Transmission du SOPK de mère en fille : l’épigénétique en cause

Parmi les troubles de la fertilité, le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) est le plus fréquent. Et si la forte composante héréditaire de la maladie est bien établie, les mécanismes de sa transmission de mère en fille restaient jusqu’ici méconnus. Une nouvelle étude met aujourd’hui en lumière le rôle prépondérant de l’épigénétique, et ouvre la voie à de nouvelles perspectives diagnostiques et thérapeutiques. 

Le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) est la pathologie hormonale la plus fréquente chez les femmes en âge de procréer. Ce syndrome est caractérisé par une production excessive d’hormones masculines (androgènes), des troubles de l’ovulation responsables d’infertilité, et des ovaires d’aspect anormal. Des complications métaboliques, telles qu’un surpoids ou un diabète de type 2, sont en outre fréquentes. 

Le SOPK est caractérisé par une forte composante héréditaire : entre 60 à 70% des filles nées de mères atteintes d’un SOPK développent des symptômes. Pourtant, les analyses génétiques n’ont pas permis l’identification de « gènes du SOPK ». Certes, une vingtaine de gènes de prédisposition sont aujourd’hui connus, mais ils expliquent moins de 10 % des cas. D’autres facteurs sont donc nécessairement impliqués dans l’héritabilité de ce syndrome. De précédentes études cliniques ont suggéré un rôle possible de facteurs épigénétiques associés au SOPK : dans son laboratoire lillois, Paolo Giacobini* a décidé d’explorer cette piste en collaboration avec Anne-Laurence Boutillier**. 

C’est quoi l’épigénétique ?

Les facteurs épigénétiques correspondent à des modifications biochimiques apposées sur l’ADN ou les protéines qui le structurent. Il s’agit par exemple des groupes méthyles (CH3 : un atome de carbone et trois d’hydrogène). Ces « marques » modifient l’activité des gènes sans changer la séquence d’ADN sous-jacente. 

Leur présence est influencée par des facteurs variés comme l’âge, l’environnement, le style de vie ou encore une maladie. Contrairement aux altérations génétiques qui modifient la séquence d’ADN, ces marques sont réversibles. Mais elles peuvent être transmises au cours des divisions cellulaires et d’une génération à l’autre, selon des mécanismes encore mal compris. 

Pour en savoir plus sur l’épigénétique

Trois générations de souris

Les chercheurs ont commencé par travailler sur un modèle expérimental murin : des souris gestantes ont été exposées à un excès d’hormone anti-mullérienne (AMH), pour induire l’apparition d’un SOPK chez leur progéniture. Les animaux ont ensuite été croisés sur trois générations, sans nouvelle exposition à de l’AMH exogène. À chaque génération, toutes les femelles qui sont nées présentaient les symptômes caractéristiques du SOPK : un taux élevé de testostérone circulant, une infertilité en rapport avec des troubles de l’ovulation et des désordres métaboliques. 

Les scientifiques ont ensuite analysé l’ARN et l’ADN dans les ovaires des souris, à la recherche de variations de l’expression des gènes (transcriptome) et des marques épigénétiques (méthylome). Ils ont identifié 102 gènes dont l’expression diffère de celle observée chez des animaux qui ne présentent aucun symptôme du SOPK. De plus, ces différences sont corrélées avec un déficit en marques épigénétiques (hypométhylation). En outre, elles affectent des gènes qui interviennent dans la fonction ovarienne, la reproduction ou encore l’inflammation (impliquée dans l’apparition de troubles métaboliques) : des fonctions et processus tous en relation avec les symptômes du SOPK. Pour Paolo Giacobini et ses collaborateurs, l’excès d’AMH chez les souris de la génération 0 (lors de la gestation) est responsable de l’apparition de modifications épigénétiques transmissibles, qui conduiraient à l’apparition des symptômes de SOPK sur plusieurs générations. 

Les chercheurs ont ensuite traité les femelles de la troisième génération avec un produit capable d’ajouter des groupes méthyles sur l’ADN : une disparition des traits associés au SOPK a été obtenue, ainsi que la restauration de l’expression normale de plusieurs gènes impliqués dans la reproduction, l’inflammation, et le métabolisme. 

Un travail confirmé chez la femme

Pour finir, l’équipe a analysé des échantillons de sang humain, obtenus de mères et de filles atteintes de SOPK : l’ADN isolé présentait les mêmes modifications épigénétiques que celles retrouvées chez les souris qui ont des symptômes du SOPK. 

« Ce travail offre de nouvelles perspectives diagnostiques et thérapeutiques, explique Paolo Giacobini. D’une part, ces marques épigénétiques pourraient servir de signature diagnostique pour dépister précocement les filles à risque familial de SOPK, avant leur puberté. D’autre part, un traitement qui aurait pour objectif de restaurer le profil épigénétique de ces patientes pourrait être envisagé. Néanmoins, il faut d’abord confirmer nos observations sur de plus grandes cohortes de patientes, et s’assurer de la sécurité d’emploi de l’agent thérapeutique, à court et à long terme. N’oublions pas que les modifications épigénétiques jouent un rôle important dans différentes fonctions de l’organisme et peuvent changer l’expression de nombreux gènes, avec un risque potentiel d’effets indésirables », conclut le chercheur. 

Cette étude fait partie d’un projet financé par l’ERC Consolidator (N° 725149), conduit par Paolo Giacobini dans le but de comprendre l’origine embryonnaire du SOPK et d’envisager de nouvelles pistes thérapeutiques.

Notes :
*unité 1172 Inserm/université de Lille 2, CHU de Lille, Lille Neuroscience & Cognition, équipe Développement et plasticité du cerveau neuroendocrine
**UMR 7364 CNRS/Université de Strasbourg, Laboratoire de Neurosciences Cognitives et Adaptatives, équipe Epigénétique et dynamique des systèmes de mémoire

Source : Nour Mimouni, Isabel Paiva et al., Polycystic Ovary Syndrome is Transmitted via a Transgenerational Epigenetic Process. Cell Metabolism. Édition en ligne du 3 février 2021. https://doi.org/10.1016/j.cmet.2021.01.004