La thérapie cellulaire contre les maladies auto-immunes

Une stratégie de thérapie cellulaire destinée aux patients atteints de maladies auto-immunes pourrait bien voir le jour d’ici quelques années. La preuve de concept de cette approche thérapeutique vient en effet d’être obtenue chez des souris atteintes d’uvéites auto-immunes et un essai clinique conduit chez des patients présentant une forme très avancée de la maladie a démarré.

Un nouveau traitement contre les maladies auto-immunes, voilà ce que des chercheurs de l’Inserm et de l’AP-HP sont en train de développer, avec une première phase clinique en cours chez l’homme.

Les maladies auto-immunes peuvent toucher de nombreux organes et tissus : articulations, pancréas, peau, œil... Dans ces maladies, des lymphocytes T attaquent spécifiquement des cellules de l’organisme au lieu de les tolérer. Cela génère la mise en place d’un processus inflammatoire important, et la destruction progressive des cellules ciblées. Les patients sont traités avec des anti-inflammatoires ou des biothérapies permettant de limiter l’inflammation. Mais les échecs thérapeutiques et les rechutes sont fréquents. C’est pourquoi des chercheurs ont proposé une nouvelle approche, fondée sur l’utilisation de la thérapie cellulaire, pour corriger la réponse immunitaire anormale. 

Préactiver des cellules régulatrices ex vivo

« L’idée est d’utiliser les cellules T régulatrices (Treg). Il s’agit d’une population particulière de lymphocytes T qui régulent l’amplitude des réponses immunitaires et inflammatoires. Pour être efficaces, les Treg doivent reconnaitre des antigènes spécifiques à la surface des cellules d’un organe donné, afin de s’infiltrer dans le tissu inflammatoire et y être activées. Ainsi, il existe ainsi des Treg spécifiques des cellules du pancréas ou encore de l’uvée », explique Benoit Salomon*, responsable de la validation préclinique de ces travaux. 

Les cellules Treg circulent naturellement dans le sang et les organes lymphoïdes. Mais on les y trouve sous forme polyclonale, c’est-à-dire sous la forme d’un mixte de cellules Treg qui reconnaissent différents antigènes très variés, notamment spécifiques de différents tissus de l’organisme. De précédents travaux conduits chez la souris et chez l’homme au sujet du diabète de type 1 ont montré que prélever un tel mixte de cellules Treg dans le sang ou les organes lymphoïdes pour les amplifier et les réinjecter dans la circulation ne permettait pas d’avoir d’effet bénéfique majeur sur la maladie auto-immune. Et les technologies actuelles ne permettent pas de sélectionner des Treg spécifiques d’un tissus cible au sein de ces populations polyclonales pour les réinjecter à des patients. Les chercheurs ont donc testé une stratégie alternative : court-circuiter les étapes d’activation et de recirculation des Tregs spécifiques qui ont physiologiquement lieu dans l’organisme. L’idée : « activer des Treg polyclonaux ex vivo pour mettre en route leur fonction régulatrice, puis en les réinjecter directement dans le tissu malade », détaille Benoit Salomon. 

Le modèle de l’uvéite auto-immune

Les chercheurs ont choisi de travailler sur l’uvéite auto-immune, une inflammation de l’uvée, tunique intermédiaire de l’œil comprenant l’iris, le corps ciliaire et la choroïde, située en arrière de la rétine. « Il est plus facile de tester notre concept sur ce modèle car les cellules Treg activées sont injectées dans la cavité oculaire. Confinée et petite, la cavité permet de contenir les cellules injectées et de ne devoir recourir qu’à de faibles doses de cellules », explique Benoit Salomon. 

Ainsi, après avoir injecté des cellules Treg activées dans le corps vitré de souris souffrant d’uvéites, les chercheurs ont évalué le niveau d’inflammation de l’œil des animaux et les signes de la maladie en s’appuyant sur un score clinique. Une nette amélioration de ce score a été constatée et s’est maintenue trois semaines après l’injection.

Reste à savoir si cette stratégie sera payante chez l’homme et si l’effet thérapeutique s’inscrira dans la durée. Un essai clinique de phase I/II a démarré chez des patients présentant une forme très avancée d’uvéite. « L’objectif est pour l’instant de vérifier l’innocuité des cellules Treg préactivées. Si un effet bénéfique est observé, on pourrait envisager de tester cette nouvelle approche thérapeutique dans d’autres maladies auto-immunes, en espérant soulager durablement les patients », conclut le chercheur. 

Note

*unité 1135 Inserm/ université Pierre et Marie Curie, Centre d’immunologie et de maladies infectieuses, hôpital de la Pitié Salpêtrière, Paris 

Source

S. Grégoire et coll. Treatment of Uveitis by In Situ Administration of Ex Vivo–Activated Polyclonal Regulatory T Cells. J Immunol, édition en ligne du 29 janvier 2016