Tests génétiques « récréatifs » : Juste un jeu ?

En France, il est interdit de réaliser un test génétique sans ordonnance médicale, injonction judiciaire ou projet de recherche strictement défini. Pourtant 100 000 à 200 000 personnes auraient recours à ce genre de tests chaque année, via les services d’entreprises privées étrangères. Que faut-il en penser ? Catherine Bourgain, sociologue, généticienne, directrice du Cermes3 (unité Inserm 988, Villejuif) et membre du comité d’éthique de l’Inserm, Bernard Baertschi, maître d’enseignement et de recherche en philosophie et éthique à l’université de Genève et membre du comité d’éthique de l’Inserm, et Guillaume Vogt, généticien, chargé de recherche Inserm, directeur du laboratoire Neglected Human Genetics (CNRGH/CEA, Évry) donnent leur opinion.

Un article à retrouver dans le prochain numéro du magazine de l’Inserm

Ce qui fait débat

Y a‑t-il du Néandertal en vous ? D’où viennent vos ancêtres ? À quelles ethnies êtes-vous apparenté ? Vos gènes rendent-ils vos cheveux incoiffables ou votre palais sensible à l’amertume des asperges ? Avez-vous une forte susceptibilité génétique au surpoids ou à des maladies multifactorielles ? Des entreprises privées (23andMe, MyHeritage, LivingDNA, Gene by Gene, AncestryDNA…) proposent au monde entier de répondre à une liste hétéroclite de questions, qui enfle avec la science : il suffit de remplir un questionnaire en ligne, d’envoyer un échantillon de salive aux États-Unis et de payer 60 à 100 euros. En France, 100 000 à 200 000 personnes par an le feraient désormais, alors qu’il est interdit de réaliser, et même de solliciter, un test génétique sans ordonnance médicale, injonction judiciaire ou projet de recherche strictement défini. La loi serait-elle en retard, ou y aurait-il des risques tels que le jeu n’en vaudrait pas la chandelle ? Une sociologue décrit ici l’économie sous-jacente de ce marché, tandis qu’un éthicien évalue les possibles conséquences psychologiques, éthiques et sociales. Faudrait-il ouvrir une troisième voie, comme le prône enfin un chercheur en génétique : celle d’une recherche alimentée par une offre de tests « à la française » ? 

L’avis de Catherine Bourgain

Outre les résultats d’analyse et les réponses aux questionnaires, certaines entreprises conservent les échantillons de leurs clients et suivent leurs déplacements par téléphone ou leur navigation sur Internet. Elles constituent ainsi d’immenses bases de données génétiques, qui intéressent les laboratoires pharmaceutiques : les autorisations de mise sur le marché de médicaments sont de plus en plus conditionnées à la réalisation d’un test génétique, notamment pour déterminer pour quels groupes de patients les thérapies sont les plus efficaces. Cet été, 23andMe a ainsi vendu à GlaxoSmithKline une licence exclusive d’accès aux données de ses 5 millions de clients pour 300 millions de dollars. L’enjeu économique est là – une économie de la promesse : la valeur de ces données est très incertaine. Beaucoup y croient car l’ADN fascine. Ces tests véhiculent un discours qui réduit la parenté, l’identité et la santé à leurs dimensions génétiques. C’est oublier que ces notions sont aussi sociales. Dans nos sociétés, être père ne se résume pas à être « père biologique », et, le plus souvent, une simple déclaration de paternité fait foi ! Comparer mon ADN à celui de populations actuelles apporte une orientation géo-génétique amusante, mais pas une information précise sur mes ancêtres réels. Elle dépend en outre de la façon dont les bases de données sont constituées. Et en santé, les mutations génétiques ne suffisent souvent pas à préciser un risque de maladie. La probabilité de développer un cancer du sein chez des femmes porteuses des mêmes mutations BRCA1 diffère selon leur histoire familiale et individuelle. Les médecins généticiens ont une expertise clinique et scientifique qui permet de tenir compte de ces spécificités de contexte pour proposer une prise en charge personnalisée. Mais la marchandisation des données génétiques incite chacun à les consommer de façon « récréative » et « décontextualisée » au lieu de laisser les citoyens réfléchir à la place qu’il convient d’accorder aux bases de données génétiques dans notre société. 

L’avis de Bernard Baertschi

Ni la paternité d’un enfant, ni le risque de développer une maladie grave, comme un cancer ou la maladie d’Alzheimer, ne relèvent du « récréatif » ! Les tests d’ancestralité sont plus distrayants, mais relèvent du fantasme, de l’histoire imaginaire, alimentée par une offre de voyages vers les zones géographiques dont on serait en partie issu. Les entreprises qui réalisent ces tests proposent aussi de constituer des groupes, virtuels ou physiques, avec ceux qui auraient les mêmes quartiers de noblesse que nous, pour ainsi dire. Ils pourraient ainsi renforcer les discriminations sociales ou le racisme. Mais, dans nos démocraties actuelles, ces risques majeurs sont très hypothétiques. Je ne pense pas qu’ils justifieraient une interdiction spécifique. En revanche, les tests de susceptibilité à une maladie peuvent nuire à la tranquillité de la personne : comment interprétera-t-elle le risque de développer une maladie ? Pour les pathologies cardiovasculaires, l’expression de nombreux gènes de prédisposition connus est modulée par de multiples facteurs encore mal appréciés. Tout n’est pas génétique ! Quel est le risque psychologique de recevoir de simples informations chiffrées sans accompagnement médical ? L’être humain ne sait pas bien décider en situation d’incertitude. En France, si le champ de la pratique médicale peut évoluer, et inclure de nouveaux tests, ce n’est qu’après une réflexion éthique poussée. Les entreprises privées américaines, elles, développent des tests sans tergiverser, sans assurer la confidentialité de données qui intéressent banquiers, assureurs ou employeurs. Même un détective privé a pu remonter la piste d’un criminel par l’ADN de ses cousins ! 

L’avis de Guillaume Vogt

On peut s’étonner que des publicités pour des tests génétiques commercialisés via Internet, strictement interdits en France, aient été récemment diffusées à la télévision. Ou que des universités, instituts ou hôpitaux publics français signent des publications avec 23andMe, l’une des principales entreprises privées à produire et valoriser des données génétiques, notamment françaises. La France ne peut absolument pas se permettre une fuite aussi importante de données de si grande valeur, pour elle et pour ses citoyens qui, d’ailleurs ne sont pas protégés comme ils devraient l’être quand ils passent par ces entreprises privées étrangères. La solution à ce problème est « simple » et maintenant inévitable : développer une « génétique 2.0 » à la française. Actuellement, chaque étude génétique est limitée à un projet de recherche précis, avec un consentement éclairé papier qui rend difficile de réutiliser les données ou de regrouper de multiples cohortes. C’est pourquoi il est essentiel d’opter pour un consentement électronique, plus dynamique et évolutif dans le cadre de protocoles multithématiques et connectés, comme nous le préconisions dans le rapport Villani. Ceci permettrait à nos universités, instituts ou hôpitaux publics d’obtenir d’autres solutions que 23andMe. Nous pourrions alors rendre aux personnes intéressées les informations relatives à leur génome qu’elles désirent, scientifiquement validées, et gratuites car intégrées à un protocole de recherche impliquant la personne humaine (RIPH), encadré par décret. De plus, par notre système de santé gratuit, nous pourrions prendre en charge les 2 à 4 % de ceux qui présenteraient un risque pathologique identifié via ces tests. Nos bases de données gagneraient en volume et en qualité.