Le temps qui passe, une notion associée au mouvement et à l’environnement

Afin d’adapter leur comportement à des contraintes de temps de quelques secondes, les rongeurs développent des routines motrices qui dépendent de leur environnement. Sans elles, leur acuité temporelle diminue, ce qui remet en cause l’hypothèse selon laquelle des horloges internes seraient au cœur de cette aptitude. Chez l’Homme, le mouvement semble également important pour évaluer le temps qui passe.

Les animaux ont une certaine notion du temps. Des travaux ont montré qu’après un entraînement approprié, ils peuvent s’attendre à la survenue d’un événement régulier. Plusieurs scientifiques estiment que cette capacité repose sur l’existence d’une ou plusieurs horloges internes, capables de renseigner sur le temps qui passe. Des études suggèrent, d’après l’activité électrique des neurones enregistrée lors de ces apprentissages temporels, que ces horloges se nicheraient dans le striatum. Or cette région du cerveau, la principale affectée chez les personnes atteintes de la maladie de Parkinson, contrôle essentiellement les mouvements. 

Compte tenu de cette association, David Robbe, chercheur Inserm à l’Institut de neurobiologie de la méditerranée (Inmed)* à Marseille, pense que la mesure du temps pourrait être davantage associée au mouvement qu’à une horloge interne : « D’ailleurs, les personnes atteintes de la maladie de Parkinson ont souvent une distorsion de la perception du temps », remarque-t-il. Pour vérifier cette hypothèse, il a développé avec son équipe un protocole spécifique chez le rat. L’exercice consistait à proposer aux rongeurs une boisson sucrée, de manière récurrente après un délai de sept secondes. Cette récompense était placée à l’extrémité d’un tapis roulant dont la vitesse était modulable. 

Au cours de la première session, les animaux se ruaient vers la récompense et arrivaient trop tôt pour en bénéficier. Au fur et à mesure des essais, ils attendaient plus longtemps, jusqu’à arriver au bon moment pour obtenir la récompense. Cette amélioration de leur performance s’est accompagnée de la mise en place d’une routine très précise. Après avoir obtenu une récompense, ils se laissaient pousser en arrière par le tapis roulant jusqu’à atteindre son extrémité, puis repartaient vers l’avant en direction de la boisson. Les animaux qui ont développé cette routine arrivaient au bon moment alors que les autres échouaient. Les auteurs ont ensuite arrêté le tapis ou encore modifié sa vitesse. Ces changements ont bouleversé la routine des animaux qui n’étaient alors plus capables d’accéder au bon moment à la récompense. 

Une hypothèse transposable à l’Homme ?

« Cette expérience indique que la notion du temps ne dépend pas d’une horloge interne qui aurait permis à l’animal de savoir qu’il fallait attendre sept secondes entre deux récompenses, mais bien de la mise en place d’une routine fondée sur l’activité physique. Celle-ci dépend à la fois de la capacité de l’animal à apprendre, mais aussi de l’acquisition de mouvements dépendants de l’environnement. L’animal utilise le tapis, les murs, pour adapter ses gestes et développer cette routine, explique David Robbe. L’Homme met également en place des routines qui permettent de rythmer les journées et aident à évaluer l’heure. En raison de leur perte, le confinement a d’ailleurs dû bouleverser la notion du temps chez beaucoup d’individus. Et si l’on pense pouvoir compter le temps qui passe assis sur une chaise sans bouger, rien ne dit que l’organisme n’effectue pas des micro-mouvements réguliers non perceptibles et inconscients comme des contractions musculaires pour mieux l’évaluer. Cette hypothèse ne peut être exclue. Un enfant qui compte lors d’un jeu va, par exemple, balancer son corps ou son bras pour s’aider. Chez l’Homme, la notion du temps pourrait donc aussi être une affaire de mouvement. »

Note :
*unité 1249 Inserm/Aix-Marseille université, Inmed, équipe Bases neuronales des apprentissages sensorimoteurs

Source : M. Safaie et coll., Turning the body into a clock : Accurate timing is facilitated by simple stereotyped interactions with the environment, PNAS, édition en ligne du 20 mai 2020 ; https://doi.org/10.1073/pnas.1921226117