StopBlues, un site et une appli pour prévenir le mal-être

Une équipe Inserm a développé StopBlues, un dispositif numérique pour agir sur le mal-être psychologique qui, s’il n’est pas reconnu, peut conduire à des troubles plus sévères comme la dépression ou le suicide

Chaque année on compte en France 200 000 tentatives de suicide et 10 500 décès par suicide, soit près de trois fois plus que par accidents de la circulation... Sans compter que ces chiffres sont forcément sous-évalués, tant le tabou en la matière est grand. La prévention, elle, reste complexe. « Il y a deux façons d’intervenir pour prévenir le suicide : soit on agit sur toute la population, ce qui permet au final d’atteindre les personnes cibles, soit on agit a posteriori sur la population qui a déjà fait une tentative de suicide. Jusqu’à aujourd’hui les actions se focalisaient sur ce deuxième axe, qu’on appelle la prévention secondaire. Mais rien n’existait pour prendre en charge la souffrance avant qu’une personne ne passe à l’acte », explique Karine Chevreul, directrice adjointe de l’unité Épidémiologie clinique et évaluation économique appliquées aux populations vulnérables* à Paris. Pour combler le manque de prévention dite « primaire », la chercheuse et ses collègues ont développé une approche originale : StopBlues. 

Cet outil de e‑santé vise à combattre le mal-être qui, s’il n’est pas reconnu, peut conduire à des troubles plus sévères comme la dépression ou le suicide. Un site Internet et une application mobile permettent d’accéder à tout un ensemble d’informations et d’outils, comme des vidéos sur la dépression, des quiz, des solutions telles que des exercices de relaxation ou de psychologie positive, ainsi qu’une cartographie des ressources locales – médecins, associations... – vers lesquelles se tourner pour se faire prendre en charge. 

Combattre le déni

Si les scientifiques ont eu l’idée de se tourner vers ces deux outils numériques aussi bien universels qu’anonymes, c’est avant tout pour dépasser un des principaux obstacles auxquels se heurte la prévention. « Aujourd’hui les personnes en souffrance psychologique sont dans le déni : 80 à 90% des personnes qui se suicident sont allées consulter un médecin, mais pour tout autre chose... Elles n’ont pas osé se confier, observe Karine Chevreul. Ressentir un mal-être ou évoquer le suicide est encore associé à une faiblesse, alors les personnes en souffrance n’en parlent pas, jusqu’au jour décisif... » Pour lutter contre ce déni, StopBlues véhicule l’idée, au travers des explications sur les signes et les causes multiples du mal-être, que celui-ci peut toucher tout le monde et qu’on en est en rien responsable. 

Et parce que cette culture de dénigrement du mal-être psychologique ne touche pas que les personnes qui en sont victimes, des informations sont aussi destinées à leurs proches. « Quand une personne qui ne va pas bien se décide enfin à le partager avec sa famille, ses amis, ceux-ci doivent être en mesure de l’accueillir de façon appropriée, notamment pour ne pas entretenir le sentiment de faiblesse et le déni, précise la chercheuse. Sur StopBlues, nous expliquons par exemple comment réagir, quels mots utiliser, comment orienter ses proches vers un médecin... »

Évaluer le mal-être

Les quiz sont au centre du dispositif. Subit-on un mal-être ? Quelle est sa sévérité ? Ces questions sont souvent difficiles à aborder avec un médecin, sans compter que les manifestations variées du mal-être n’aident pas à poser soi-même un diagnostic : selon les individus, le sentiment de malaise peut s’exprimer par l’anxiété, la tristesse, la fatigue, l’irritabilité, les troubles du sommeil, un sentiment d’échec, d’inutilité, de dévalorisation, l’impuissance à trouver des solutions à ses problèmes en passant par des troubles addictifs ou du comportement alimentaire...« Lorsqu’une personne a des doutes sur ce qu’elle ressent, l’auto-évaluation reste possible au travers de questionnaires. Ceux-ci ont été mis au point grâce à l’abondante littérature scientifique disponible en la matière, dont le test PHQ‑9, très efficace et qui évalue en seulement neuf questions la présence et la sévérité de la dépression, décrit la spécialiste. C’est également un outil qui permet aux personnes de suivre l’évolution de leur mal-être une fois qu’elles sont prises en charge, car ce test est très sensible au changement. Et constater des améliorations peut se révéler encourageant dans le processus de guérison. »

Les chercheurs n’entendent pas s’arrêter là : « Nous avons également le projet de développer une application spécifiquement dédiée à la prévention du suicide chez les 15–25 ans, pour lesquels les conditions du mal-être ne sont pas les mêmes que dans la population plus âgée, ainsi qu’une application en lien avec les souffrances psychiques liées au travail », décrit Karine Chevreul. 

D’après un article du magazine Science&Santé n°39

Note

*ECEVE, unité 1123 Inserm/Université Paris Diderot