Une quantité de sommeil adaptée dès le plus jeune âge protègerait la vision

À partir de données de la cohorte EDEN, destinée à connaître les déterminants de la santé chez l’enfant, une équipe parisienne montre qu’une durée de sommeil nocturne trop faible ou trop importante à l’âge de deux ans est associée à un risque accru de porter des lunettes à l’âge de cinq ans. Elle établit ainsi un lien précoce entre sommeil et vision.

Pour préserver la vision, adopter une bonne hygiène de sommeil dès le plus jeune âge pourrait être bénéfique. Une nouvelle étude menée par l’équipe de Sabine Plancoulaine* au Centre de recherche en épidémiologie et statistiques (CRESS, Paris) indique en effet une association entre les deux. Les chercheurs ont travaillé à partir de la cohorte EDEN, composée d’enfants suivis depuis le dernier trimestre de grossesse de leur mère jusqu’à l’âge de 5 ans, et même jusqu’à 10 ans pour certains d’entre eux. 

Si les chercheurs se sont intéressés à ce sujet, c’est que la prévalence de la myopie progresse rapidement dans le monde. Estimée à 25% de la population, elle pourrait atteindre 50% d’ici 2050, avec son lot de complications : difficultés d’apprentissage ou de travail, céphalées, contraintes liées au port de lunettes… Connaître les causes de cette tendance permettrait de mettre en place des actions préventives pour tenter de l’inverser. Or il a été montré chez l’animal, en l’occurrence chez le poussin, que la perturbation du rythme circadien (qui régule le fonctionnement de notre organisme sur un cycle de 24 heures) entraîne des troubles de la vision. Cette perturbation était expérimentalement provoquée par l’exposition anormale des animaux à la lumière, le plus puissant (dé)régulateur du rythme circadien. Captée par la rétine, une émission de lumière prolongée retarde l’endormissement et altère le rythme du sommeil. Aussi, les chercheurs ont posé l’hypothèse que des troubles du sommeil pouvaient être associés à des problèmes de vision chez les enfants. 

Pour tester cette possibilité, l’équipe s’est appuyée sur les informations relatives à 1 130 enfants de la cohorte Eden, fournies au fil du temps par leurs parents. Elles renseignaient notamment sur les habitudes de sommeil des enfants à l’âge de deux ans et sur la qualité de leur vision à cinq ans (port de lunettes pour myopie, hypermétropie ou un autre trouble de la vision). Dans cette cohorte, 20% des enfants de 5 ans portaient des lunettes. 

Un effet cumulatif du sommeil et du temps d’écran

L’analyse montre une association en forme de U entre sommeil et vision : les enfants qui dormaient peu à l’âge de deux ans avaient plus de risque d’avoir des lunettes à 5 ans, tout comme ceux qui dormaient beaucoup. Concrètement, alors que la durée moyenne de sommeil nocturne est de 11 heures et 5 minutes à l’âge de 2 ans, ceux qui dormaient moins de 10 heures et 45 minutes avaient à 5 ans un risque supplémentaire de porter des lunettes de 43%. Pour le tiers des enfants qui dormait le plus, ce sur-risque était de 49%. Un résultat semblable a également été observé chez ceux qui se couchent tardivement à l’âge de deux ans (l’heure moyenne de coucher était 20h36). 

Ces associations restent significatives même si l’on tient compte de facteurs susceptibles d’influencer les résultats, en particulier le temps passé devant les écrans, un facteur de risque de myopie déjà connu. À 5 ans, ce « temps d’écran » était de 1 heure et 24 minutes par jour en moyenne dans la cohorte. Le risque de porter des lunettes augmentait de 23 % par heure d’écran, indépendamment de la durée de sommeil. Et le risque associé à la durée du sommeil et celui associé à l’exposition aux écrans semblent se cumuler : les enfants qui dormaient peu ou beaucoup à l’âge de deux ans, et qui étaient exposés à 1 heure et 24 minutes d’écran par jour à 5 ans, étaient deux fois plus nombreux à porter des lunettes à cet âge que ceux qui dormaient « normalement » à deux ans et n’étaient pas exposés aux écrans. 

« Plusieurs études déjà parues sur la vision d’enfants plus âgés mettent en évidence un lien entre myopie et temps passé à l’intérieur, notamment sous lumière artificielle, à étudier, lire, regarder des écrans... Nos travaux indiquent qu’un trouble de la vision pourrait apparaître beaucoup plus précocement, en lien avec une quantité de sommeil inadaptée à l’âge de deux ans. Et il n’est pas exclu que l’influence du sommeil sur la vision se prolonge au cours de l’enfance et jusqu’à l’adolescence, stade auquel l’œil cesse de se développer. Mais nos données ne nous permettent pas de le vérifier. En attendant, ces résultats plaident pour un sommeil adapté et de qualité dès le plus jeune âge, sachant que les enfants en tireront également un bénéfice pour leur santé psychique ou encore métabolique ! » rappelle Sabine Plancoulaine. 

La cohorte EDEN

L’étude EDEN, menée en population générale en France, porte sur le développement psychomoteur et la santé de l’enfant. Son objectif est de déterminer les facteurs, notamment environnementaux, qui ont un impact au cours de l’enfance susceptible d’influencer la santé à l’âge adulte. Il s’agit d’une cohorte d’enfants suivis depuis la fin du premier trimestre de grossesse jusqu’à l’âge de 5 ans, avec un recueil régulier d’informations auprès des parents, lors d’examens cliniques de l’enfant et à partir d’échantillons biologiques. La plupart des familles EDEN ont accepté de rester dans la cohorte au-delà de 5 ans : l’étude se poursuit donc avec de nouveaux recueils de données aux âges de 8 et 10 ans. Le comité de pilotage de l’étude est composé de chercheurs de l’Inserm, du CNRS et de représentants des maternités partenaires. 

Note :
*unité 1153 Inserm/Université de Paris/INRAE, Centre de recherche en épidémiologie et statistiques – CRESS 

Source : A Rayapoullé et coll. Longitudinal association between sleep features and refractive errors in preschoolers from the EDEN birth-cohort. Scientific Reports, édition en ligne du 27 avril 2021. Doi : 10.1038/s41598-021–88756‑w