Quand le Covid-19 réoriente les travaux d’une équipe de virologues

Spécialiste du VIH et du virus de la grippe, une équipe de chercheurs de Montpellier a mis ses compétences au service de la lutte contre le nouveau coronavirus. Elle s’attèle à découvrir de nouveaux traitements potentiels et à mieux comprendre la physiologie du SARS-CoV‑2.

Participer à l’effort de recherche internationale pour découvrir des molécules thérapeutiques contre le Covid-19 et mieux connaitre le virus qui en est responsable : c’est l’objectif que se sont fixés Caroline Goujon* et son équipe depuis le mois de mars. Leurs travaux « habituels » portent sur les mécanismes antiviraux des cellules infectées par le VIH ou le virus de la grippe. Jusqu’ici, ils n’avaient jamais étudié le cas des coronavirus. 

Mais alors que l’épidémie de Covid-19 prenait de l’ampleur, Caroline Goujon a réalisé que toutes les ressources et les expertises devaient être mobilisées. Elle a décidé, avec son équipe, de réorienter les travaux en cours : « Après tout, nous sommes virologues ! Et Olivier Moncorgé, spécialiste du virus de la grippe dans mon équipe, maîtrise de nombreux outils utiles à l’étude du SARS-CoV‑2, comme les modèles de cellules en culture qui peuvent être ciblés par le coronavirus, explique-t-elle. Nous avons donc rapidement monté deux grands projets dédiés à ce nouveau virus, l’un appliqué, l’autre fondamental. Le virus nous a été fourni par l’Institut Pasteur, précisément le premier jour du confinement. » C’est donc en effectif réduit que son équipe a démarré ces projets. 

Découvrir de nouvelles molécules thérapeutiques...

Côté « recherche appliquée », les chercheurs veulent découvrir de nouvelles molécules thérapeutiques. Pour cela, ils testent des molécules in vitro sur des cellules en culture. Le problème est que les modèles cellulaires couramment utilisés en laboratoire ne sont pas forcément « permissifs » au virus : les cellules cultivées in vitro ne peuvent pas toujours être infectées car elles n’expriment pas forcément les protéines nécessaires à l’infection (ACE2 et TMPRSS2 dans le cas du nouveau coronavirus). Pour contourner ce problème, l’équipe a développé des vecteurs qui contiennent les gènes des protéines ACE2 et TMPRSS2. Ces vecteurs permettent de modifier génétiquement les modèles cellulaires, pour permettre leur infection par le SARS-CoV‑2. « Nous avons décidé de mettre ces outils à disposition de la communauté scientifique internationale, via la plateforme de partage Addgene. C’est notre première contribution à la recherche contre le Covid-19 ! », précise Caroline Goujon. Grâce à ce travail, le criblage des molécules potentiellement thérapeutiques peut commencer. 

Avec l’aide de collaborateurs, notamment du Centre de recherche en biologie cellulaire de Montpellier (CRBM), et selon les connaissances déjà acquises sur le nouveau coronavirus, les chercheurs sélectionnent des molécules qui pourraient fonctionner. Ils s’intéressent en particulier à certains médicaments déjà prescrits dans d’autres indications et à des molécules en phase avancée d’essais cliniques dans d’autres maladies. « Nous venons d’obtenir un financement de l’Institut des sciences biologiques du CNRS pour réaliser ce travail » explique la chercheuse. 

Évaluation de la concentration de préparations virales de SARS-CoV‑2 par plages de lyse. Les plages de lyses sont des trous formés dans le tapis des cellules suite à l’infection par le virus SARS-CoV‑2. Ce virus tue les cellules qu’il infecte, ce qui explique ces « trous ». Le nombre de « trous » observés dans le tapis cellulaire (zones non colorées) est directement proportionnel à la concentration en virus infectieux de la préparation virale.Pour les chercheurs, il est important de mesurer cette concentration dans le but d’infecter des cellules cibles avec des quantités connues de virus et de tester des molécules antivirales potentielles afin d’étudier la réponse antivirale des cellules cibles à l’infection. Expérience réalisée par Olivier Moncorgé et Caroline Goujon, chercheurs à l’Inserm au sein de l’Institut de recherche en infectiologie de Montpellier (CNRS/Université de Montpellier). © Olivier Moncorgé 

En parallèle, l’équipe s’intéresse aussi à une collection d’extraits de champignons détenus par Jean-Michel Bellanger, chercheur au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE) à Montpellier, avec qui une collaboration fructueuse a déjà été lancée il y a 18 mois pour trouver de nouveaux inhibiteurs du virus de la grippe. « Cette collection comprend 280 extraits qui constituent une ressource de molécules potentiellement bioactives très importante. Nous sommes en train d’achever son criblage et nous avons déjà identifié une dizaine d’extraits qui inhibent très efficacement la réplication du coronavirus in vitro, sans toxicité apparente. Il faut maintenant découvrir quelles sont les molécules actives dans ces différents extraits. »

… et de nouvelles cibles dans nos cellules

Le second volet du projet, plus fondamental, vise à mieux comprendre la réponse des cellules à l’infection, ainsi que leurs mécanismes de défense spontanés. En effet, l’organisme possède des défenses antivirales naturelles, qui passent notamment par la production d’interférons. Mais le SARS-CoV‑2 inhibe en partie cette réponse... et parvient ainsi malgré tout à se répliquer. En revanche, lorsque ses cellules cibles sont préalablement exposées à l’interféron de type 1 (de manière artificielle), le virus devient incapable de s’y multiplier : nos cellules seraient donc en mesure d’inhiber sa réplication dans certaines conditions. 

Pour mieux comprendre cet état « antiviral » de nos cellules, l’équipe de Caroline Goujon recherche les gènes humains qui permettent de bloquer la réplication virale après un traitement artificiel par interférons. En parallèle, elle cherche également les gènes humains qui sont nécessaires à la réplication virale (en l’absence de traitement préalable avec des interférons). Pour ces deux projets, les chercheurs font largement appel à l’outil moléculaire CRISPR-Cas9, qui permet d’inactiver des gènes de façon ciblée. Il s’agit d’un travail à grande échelle puisque les scientifiques recherchent ces gènes à l’aveugle, dans tout le génome humain. Ils utilisent une banque de vecteurs qui contiennent chacun une construction CRISPR-Cas9 qui inactive un gène particulier. Cette banque couvre l’ensemble de nos gènes. 

Concrètement, les chercheurs exposent quelques 150 millions de cellules à ces vecteurs, qu’ils infectent ensuite avec le SARS-CoV‑2. Ils récupèrent les cellules qui ont survécu et donc résisté à l’infection. « Ensuite, nous les multiplions et identifions les gènes inactivés dans leur génome, décrit Caroline Goujon. L’étape suivante sera d’étudier la fonction de ces gènes. Pour ce travail, nous collaborons avec le Broad Institute, à Harvard. Il nous fournit les vecteurs CRISPR-Cas9 et conduit l’analyse bioinformatique des résultats. »

L’équipe montpelliéraine veut aussi savoir quels sont les gènes cellulaires régulés par l’infection virale et quelles protéines sont exprimées par nos cellules lorsque le SARS-CoV‑2 y a pénétré. Ce projet est mené en collaboration avec l’Ecole nationale supérieure de Lyon, avec le soutien financier du programme MUSE de l’université de Montpellier. « Cette étude permettra d’obtenir des informations précieuses pour mieux choisir les molécules potentiellement thérapeutiques à tester en fonction de la découverte de nouvelles cibles . À terme, nous espérons découvrir des antiviraux efficaces ainsi que les protéines cellulaires qui régulent la réplication virale – positivement ou négativement – pour en faire de nouvelles cibles thérapeutiques potentielles », résume la chercheuse. 

« La coopération mondiale qui se met en place dans ce contexte de pandémie est assez exceptionnelle. Les collaborations spontanées et la diffusions d’informations encore non publiées accélèrent nettement ces travaux », conclut-elle. 

Notes :
*Caroline Goujon est chargée de recherche Inserm, responsable de l’équipe Atip-Avenir Interféron et restriction antivirale, au sein de Institut de recherche en infectiologie de Montpellier (IRIM, UMR 9004 CNRS) 

** chargé de recherche Inserm au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE) à Montpellier, équipe Taxonomie et biogéographie des interactions