Une piste pour réduire l’absorption des graisses par l’intestin

Il serait possible de moduler l’absorption des lipides provenant de l’alimentation en ciblant deux récepteurs présents au niveau des lactifères, les vaisseaux intestinaux lymphatiques impliqués dans l’assimilation des graisses. Une perspective prometteuse pour la prise en charge des hyperlipidémies ou de l’obésité.

En cherchant à développer un modèle de souris obèses non diabétiques par modification génétique, des scientifiques ont découvert un mécanisme d’absorption intestinale des lipides resté jusqu’alors inconnu. Leurs travaux montrent en outre que ce mécanisme pourrait être modulé transitoirement, afin de réduire la quantité de graisses absorbées par l’organisme. Cette piste constitue un espoir pour la prise en charge des hyperlipidémies, cause majeure d’évènements cardiovasculaires, ou celle de l’obésité. Elle pourrait aboutir d’autant plus rapidement que les mécanismes moléculaires impliqués sont déjà ciblés par un médicament prescrit en ophtalmologie. 

VEGFR‑1 (Vascular Endothelial Growth Factor Receptor‑1, ou FLT1) et NRP1 (Neuropilin‑1) sont deux gènes qui codent pour des récepteurs aux facteurs de croissance vasculaire et qui sont impliqués dans le développement du diabète de type 2. En supprimant ces gènes chez des souris, l’équipe dirigée par Anne Eichmann* voulait développer des animaux modèles pouvant devenir obèses sans pour autant devenir diabétiques. Pourtant, après quelques semaines d’une alimentation riche en graisses, le poids de ces souris avait peu augmenté, alors que celui de souris témoins soumises au même régime avait doublé. Surprise par cette observation, l’équipe s’est attelée à en comprendre les déterminants. 

Un mécanisme d’absorption actif

Le dosage des lipides dans le sang des souris mutées ayant révélé un défaut d’absorption, l’équipe s’est plus particulièrement intéressée aux mécanismes régulant cette dernière au niveau intestinal, impliquant les lactifères. « Les lactifères constituent les terminaisons du réseau lymphatique intestinal. Ils permettent l’absorption des graisses par des pores ménagés entre les cellules endothéliales qui bordent ces vaisseaux, explique Anne Eichmann. On pensait jusqu’à présent que ce mécanisme se faisait de manière passive. Mais nos travaux ont permis d’observer que l’absorption via ces pores est un mécanisme actif, placé sous le contrôle des récepteurs FLT1 et NRP1″. Lorsque ces récepteurs sont absents, les pores se ferment et l’absorption intestinale des graisses ‑empaquetées sous forme de chylomicrons- est impossible. Ainsi, la prise de poids attendue lors d’un régime riche en graisse ne survient pas. 

Dès lors, les perspectives thérapeutiques semblent évidentes : « S’il est possible de moduler les pores de façon transitoire, il doit être possible de développer de nouvelles stratégies de traitement dans la prise en charge de l’obésité ou des hyperlipidémies.  » Dans cet objectif, il est nécessaire de comprendre les mécanismes fins de modulation de la perméabilité des pores des lactifères. 

Un candidat médicament déjà identifié

Des expériences supplémentaires ont permis au chercheurs d’observer que la fermeture des jonctions cellulaires au sein des lactifères, gênant l’absorption des chylomicrons, dépend du VEGF‑A, un facteur de croissance favorisant la perméabilité vasculaire, et celle du récepteur VEGFR2 exprimé par les lactifères. En inhibant la fonction du VEGFR2 chez les souris mutantes, les jonctions sont à nouveau fonctionnelles et le transport des chylomicrons est restauré. 

De façon intéressante, une molécule efficace dans le traitement du glaucome pourrait moduler ce mécanisme d’absorption : le Y27632, un inhibiteur de Rho Kinase (ROCK) est connu pour inhiber la perméabilité induite par le VEGF de manière dose-dépendante. Les tests réalisés chez la souris traitée par Y27632 ont été probants et montrent qu’il est possible de fermer la jonction des lactifères et de réduire la présence de chylomicrons dans leur lumière. 

« Nous devons valider ces résultats en développant un modèle de souris chez laquelle la voie ROCK est inactivée au niveau des lactifères. Si nous vérifions que ces souris n’absorbent pas les chylomicrons, nous aurons validé cette piste. Ainsi, nous pourrons engager des travaux de recherche translationnelle afin d’évaluer si des inhibiteurs de ROCK sont efficaces dans la régulation de l’absorption des lipides chez l’homme ». Parallèlement, des études plus fondamentales sont d’ores et déjà menées afin de mieux comprendre le fonctionnement de ces jonctions. 

Note

* unité 970 Inserm/Université Paris Descartes, équipe Angiogenèse développementale et pathologique, Paris – Centre de recherche cardiovasculaire (PARCC)

Source : Zhang F et coll. Lacteal junction zippering protects against diet-induced obesity. Science. 2018 Aug 10;361(6402):599–603. doi : 10.1126/science.aap9331.