Ondes électromagnétiques : Faut-il craindre la 5G ?

Avec le déploiement de la 5G, le « fog électromagnétique » dans lequel nous vivons va encore se densifier. Y‑a-t-il des raisons de s’en inquiéter ? Découvrez l’opinion de trois experts, Yves Le Dréan, chercheur à l’Institut de recherche en santé, environnement et travail, Brigitte Lacour, épidémiologiste au Centre de recherche épidémiologie et statistiques Sorbonne Paris Cité et Olivier Merckel, chef de l’unité Agents physiques, nouvelles technologies et grands aménagements à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.

Un article à retrouver dans le n°45 du magazine de l’Inserm

Le déploiement commercial de la 5G est prévu pour 2020 en Europe. En France, la procédure d’attribution des premières bandes de fréquences a déjà été lancée. Avec un débit 50 fois plus rapide que la 4G, cette technologie permettra, entre autres, de télécharger des films en un clin d’œil ou de jouer à des jeux vidéo sans temps de latence. Elle portera aussi la promesse d’une « ville intelligente » où les objets du quotidien communiqueraient entre eux – par exemple des véhicules autonomes qui réagiraient à la milliseconde près. Des associations ont pourtant récemment appelé à un moratoire sur la 5G : avec cette technologie, les antennes se multiplieront et émettront un rayonnement puissant qui densifiera le « fog électromagnétique » dans lequel nous baignons déjà. Selon elles, ce rayonnement présente des risques sanitaires réels et importants, dont la liste varie selon les lanceurs d’alerte : cancer, maladie d’Alzheimer, insomnie, baisse de l’immunité ou de la fertilité... Cette exposition est-elle toxique, ou le deviendra-t-elle par la multiplication des antennes 5G ? L’usage du portable serait-il dangereux pour la santé ? Trois experts ont répondu à notre appel. 

L’avis de Yves Le Dréan

Certaines longueurs d’onde du rayonnement de la 5G seront plus petites, donc plus énergétiques, que celles de la 4G. Ce rayonnement pénétrera moins dans les tissus, ce qui poussera à examiner le risque potentiel d’atteintes sur la peau, les terminaisons nerveuses et la circulation sanguine. Cependant, l’énergie associée à ces ondes est trop faible pour créer des dommages cellulaires ou casser les liaisons de faible énergie qui maintiennent entre elles les assemblages moléculaires du vivant. Le seul risque avéré est un risque d’échauffement mais, sous nos réglementations, nous sommes très loin d’éventuels effets thermiques. Avec la 5G nous resterons bien en deçà des normes autorisées, même si l’on peut prévoir que l’internet des objets (l’interconnexion entre internet et des environnements physiques) augmentera notre exposition globale. Des études ont évoqué d’autres possibles effets biologiques, non thermiques, mais les résultats obtenus sont souvent contradictoires, et le manque de reproductibilité ne permet pas de tirer de conclusions. Je pense que, si ces effets hypothétiques existent, ils sont de très faible ampleur et ne dépassent pas la capacité des cellules à s’autoréparer ! De manière un peu schizophrène, beaucoup de citoyens très connectés sont en même temps presque prêts à croire que les ondes de nos téléphones ou antennes sont mortelles ! La pollution par les ondes n’est pas aussi préoccupante que celle de l’air. Il est certes impératif de suivre les éventuels risques à long terme de l’exposition à ces ondes, mais, loin des inquiétudes démagogiques, d’autres dangers avérés sont liés à l’utilisation du portable : décès par accidents de la route ou par selfies, difficultés de sommeil par hyperconnexion, sédentarisation croissante des enfants et des adolescents, attitude passive à l’égard du monde environnant ! 

Yves Le Dréan est chercheur à l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (unité Inserm 1085, équipe Evaluation de l’impact des ondes électromagnétiques sur la santé humaine, Rennes).

L’avis de Brigitte Lacour

L’Organisation mondiale de la santé classe les rayonnements électromagnétiques parmi les cancérigènes possibles. Une corrélation entre l’usage intensif du téléphone portable et le risque de développer une tumeur du cerveau a ainsi par exemple été établie par l’étude internationale Interphone. Mais qu’en est-il pour les enfants et adolescents ? Leur utilisation du téléphone portable a fortement crû depuis 25 ans, et l’arrivée de la 5G poussera sans doute ces jeunes utilisateurs à s’exposer davantage, par exemple pour télécharger des films ou jouer en réseau. Ont-ils un risque accru de tumeur cérébrale ? Ces pathologies sont extrêmement rares. Pour cette raison, certaines études aux résultats intéressants, comme le projet nordique Cefalo, pèchent par un échantillon trop restreint. Pour obtenir un nombre de cas suffisant, l’enquête épidémiologique internationale Mobi-Kids porte sur 900 patients atteints d’une tumeur cérébrale et 1 900 témoins de 14 pays. Ses résultats ne sont pas encore publiés. Leur analyse est difficile, en particulier parce qu’il faut tenir compte des biais méthodologiques possibles (non-participation, biais de mémoire…). Dans un autre volet de l’étude Mobi-Kids, des algorithmes sont développés afin d’estimer au mieux l’exposition au niveau de la zone du cerveau concernée par la tumeur en tenant compte du type de téléphone et du système de communication. Dans l’ensemble, les risques de biais méthodologiques sont très importants, et la prudence doit guider notre démarche scientifique. 

Brigitte Lacour est épidémiologiste au Centre de recherche épidémiologie et statistiques Sorbonne Paris Cité (unité Inserm1153, Paris) et directrice du Registre national des tumeurs solides de l’enfant.

L’avis d’Olivier Merckel

Les êtres humains sont exposés au rayonnement électromagnétique artificiel depuis longtemps, en particulier par la radio. Mais désormais, avec le téléphone mobile, la quasi-totalité de la population place contre la tête ou le corps la source de rayonnement électromagnétique la plus intense dans cette gamme de fréquences, hors expositions professionnelles. Cette situation comporte-t-elle un risque pour la santé ? La réglementation limite l’exposition aux ondes émises par les téléphones, évitant ainsi un échauffement trop important pour les tissus. N’y a‑t-il rien d’autre ? De nombreux effets ont été allégués mais leur niveau de preuve est souvent insuffisant. L’Anses mène des expertises collectives bibliographiques inspirées par la méthodologie du Centre international de recherche sur le cancer pour déterminer si ces effets sont avérés, probables, possibles ou non confirmés. Nous avons ainsi pu évaluer que le niveau de preuve de l’effet de l’exposition aux radiofréquences sur les tumeurs cérébrales est « possible » pour les grands utilisateurs de téléphone mobile (1 640 heures au cours de leur vie). Nous avons aussi souligné que le cerveau des enfants est plus exposé que celui des adultes, leur crâne étant plus fin. Malgré un manque d’études concluantes sur les risques associés à l’exposition infantile, cette question doit ainsi rester ouverte. Enfin, nous venons de constituer un groupe de travail sur les effets éventuels de l’exposition à la 5G, qui regroupe de nombreuses disciplines : biologie, toxicologie, épidémiologie, biophysique... À partir de 5 à 10 GHz, une grande partie du rayonnement est soit réfléchie soit absorbée dans la peau, plutôt que dans le corps. Si la 5G a des effets biologiques propres, ce ne sera sans doute pas sur le cerveau, mais bien plutôt sur des tissus de surface : la peau, l’œil ou le tympan. 

Olivier Merckel est chef de l’unité Agents physiques, nouvelles technologies et grands aménagements à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) à Maisons-Alfort.