Obésité rime avec dysbiose intestinale, sauf chez les utilisateurs de statines

Les statines, des médicaments utilisés dans le traitement de l’hypercholestérolémie, auraient-elles un effet préventif sur les maladies cardiométaboliques en agissant sur la flore intestinale ? C’est la question que se posent les scientifiques engagés dans le projet de recherche européen Metacardis. En effet, alors que l’obésité est associée à des anomalies du microbiote intestinal, ces chercheurs viennent de montrer que les personnes atteintes d’obésité et qui sont sous statines ont une flore intestinale proche de celle des patients non obèses.

Lancé en 2012, le projet européen Metacardis étudie le rôle potentiel du microbiote intestinal dans le développement de maladies cardiométaboliques. Il a notamment permis de mettre en évidence une moindre diversité de ce microbiote chez les personnes atteintes d’obésité : les souches bactériennes retrouvées dans leur intestin sont moins variées que chez les personnes non obèses, et cet appauvrissement s’aggrave avec l’obésité. D’autres travaux ont établi un lien entre la présence de bactéries pro-inflammatoires de la famille Bacteroides, au sein du microbiote et certaines maladies inflammatoires, comme les maladies chroniques de l’intestin, la sclérose en plaques ou encore la dépression. Or l’obésité est associée à une inflammation généralisée (« systémique »). Souhaitant mieux caractériser le microbiote intestinal des personnes obèses et y rechercher la présence de bactéroïdes, les équipes de Karine Clément* (Inserm/Sorbonne Université, Paris) et de Jeroen Raes (VIB-KU Leuven, Belgique) ont analysé le microbiote intestinal de 900 personnes, obèses ou non (indice de masse corporelle compris entre 18 et 73), qui font partie de la cohorte Metacardis. 

Metacardis : 14 équipes européennes et une cohorte internationale

Le projet Metacardis, coordonné par Karine Clément à l’Inserm, repose sur un consortium composé de 14 groupes de recherche multidisciplinaire dans six pays européens. Il se fondent en particulier sur l’étude des données relatives aux personnes incluses dans des cohortes nationales et dans la cohorte Metacardis. Coordonnée par l’AP-HP, cette dernière comprend plus de 2 000 personnes en bonne santé ou à différents stades de progression de maladies cardiométaboliques (obésité, diabète et maladies cardiovasculaires), recrutés à Paris, Leipzig (Allemagne) et Copenhague (Danemark).

Ce travail les a conduits à observer une association entre la prévalence des bactéroïdes dans le microbiote intestinal, l’indice de masse corporelle des personnes étudiées et l’inflammation systémique de leur organisme : alors que seulement 4% des personnes non obèses et en surpoids étaient porteuses de ces bactéries, ce pourcentage est monté à 17,7% chez celles atteintes d’obésité. Et plus les bactéroïdes étaient nombreuses, plus l’inflammation systémique était importante, y compris chez des personnes minces. 

Pas de lien de causalité à ce stade

Les chercheurs ont ensuite procédé à des analyses par sous-groupes, selon les traitements pris par les personnes étudiées. « Nous savons que certains d’entre eux ont un impact important sur la flore intestinale, comme la metformine prescrite à des patients souffrant d’un diabète de type 2″, clarifie Karine Clément. De manière inattendue, les scientifiques ont alors constaté que les personnes obèses sous statines – un traitement hypocholestérolémiant, prescrit en prévention des complications cardiovasculaires – présentaient un microbiote intestinal plus proche de celui des personnes non obèses, avec seulement 6% d’entre elles porteuses de bactéroïdes. Ces personnes présentaient en outre une inflammation systémique moins importante. Ces observations ont pu être confirmées par les données de la cohorte d’un projet flamand, Gut Flora, incluant 2 350 volontaires. 

« Ces résultats suggèrent que les statines pourraient moduler les altérations du microbiote intestinal. Mais aucun lien de causalité ne peut être établi à ce stade. Il nous faut donc maintenant comprendre cette association et son rôle dans l’effet thérapeutique de ces médicaments, précise Karine Clément. Nous allons lancer de nouveaux projets dans ce sens, afin de vérifier, dans un premier temps, si les statines ont un effet direct sur la flore bactérienne ou si d’autres facteurs entrent en jeu. Par exemple, les personnes sous statines pourraient être davantage sensibilisées aux risques cardiovasculaires et adhérer à une meilleure hygiène de vie, avec un impact positif sur leur flore intestinale », illustre-t-elle. Un essai démarre à l’Hôpital européen Georges-Pompidou et à la Pitié-Salpêtrière à Paris, pour étudier les modifications du microbiote intestinal chez des personnes débutant un traitement par statines. 

Note :
*unité 1269 Inserm/Sorbonne Université, NutriOmique et service Nutrition, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris 

Source : S. Vieira-Silva et al. Statin therapy is associated with lower prevalence of gut microbiota dysbiosis. Nature, 6 mai 2020 : https://doi.org/10.1038/s41586-020‑2269‑x