Un modèle in vitro pour mieux comprendre et combattre la toxoplasmose

Inoffensif la plupart du temps, le parasite responsable de la toxoplasmose est néanmoins dangereux pour les fœtus et les personnes immunodéprimées. Afin de pouvoir mieux le combattre, il faut encore l’étudier. Mais actuellement, ces études ne peuvent être conduites que chez le chat, son hôte naturel, ce qui pose des difficultés pratiques et éthiques. Heureusement, une équipe vient de mettre au point un moyen d’étudier le parasite in vitro, sans avoir recours à des animaux.

La toxoplasmose est une maladie parasitaire généralement sans gravité, mais qui peut être responsable de complications sévères chez les personnes immunodéprimées (comme celles infectées par le VIH, greffées ou sous traitement immunosuppresseur) ainsi que chez les fœtus en cas d’infection de la mère durant la grossesse. Cette maladie est causée par le parasite Toxoplasma gondii, transmis à l’humain via l’alimentation (viandes ou poissons contaminés et mal cuits…) ou par contact avec les selles d’un chat infecté. Pour mieux combattre ce pathogène, il faut pouvoir étudier ses mécanismes de reproduction sexuée, qui conditionnent sa transmission inter-espèces et l’émergence de souches plus virulentes. Or, ce mode de reproduction ne se déroule que chez le chat. En effet, chez l’humain comme in vitro, le parasite se multiplie à l’identique par clonage (reproduction asexuée). C’est pourquoi il n’existait jusqu’ici pas d’autres alternatives que de mener des expérimentations chez le félin pour faire avancer les connaissances sur cette maladie. Mais les travaux d’une équipe de l’Institute for Advanced Biosciences* à la Tronche change la donne : ces chercheurs viennent de décrypter les mécanismes responsables de l’orientation préférentielle du parasite vers la forme sexuée ou asexuée de sa reproduction. Ils ont montré qu’une protéine du toxoplasme, la Microrchidia (MORC), est un régulateur clé de l’expression de centaines de gènes du parasite. En freinant son expression, ils ont pu enclencher la reproduction sexuée du parasite in vitro. Désormais, le développement d’approches préventives et thérapeutiques devrait être plus facile. 

MORC, levier d’aiguillage entre les reproductions sexuée et asexuée

« Le passage d’un mode de reproduction sexuée à un mode asexué ne dépend pas de la génétique mais de l’épigénétique, c’est-à-dire la façon dont l’expression des gènes est promue ou non, explique Mohamed-Ali Hakimi qui dirige l’équipe. L’épigénétique est un peu comme le chef d’orchestre qui décide d’activer ou de désactiver tel ou tel instrument ou, en l’occurrence, tel ou tel gène. Nous avons donc étudié les différences épigénétiques qui existent chez le parasite, selon qu’il est chez le chat ou chez l’Homme. Ce travail a permis d’identifier un acteur parmi les centaines de régulateurs que comportent le génome de Toxoplasma gondii : le gène MORC. Dans l’intestin du chat, l’activité de MORC est freinée et favorise ainsi l’expression des gènes de la reproduction sexuée. À l’inverse, in vitro et chez l’Homme, MORC agit comme un interrupteur moléculaire qui éteint l’expression de ces gènes. » En utilisant une molécule inhibitrice de MORC, il a été possible de réorienter Toxoplasma gondii vers une reproduction sexuée in vitro.

Il est donc désormais possible de changer le destin cellulaire du parasite en imposant sa multiplication sexuée in vitro et, ainsi, de disposer de formes sexuées qu’il était jusqu’alors difficile d’étudier. Les perspectives sont multiples : elles concernent à la fois la médecine vétérinaire et humaine. Dès lors que les mécanismes de reproduction sexuée seront mieux décrits, des outils diagnostiques et des traitements (pharmacologiques ou vaccinaux) pourront être envisagés. « On pourrait par exemple imaginer un traitement préventif des chats domestiques, pour ainsi éviter aux femmes enceintes non immunisées d’être infectées par le parasite pendant leur grossesse », explique le chercheur. 

« Depuis que les chats sont domestiqués, les souches de toxoplasme qui circulent entre félins et rongeurs se sont adaptées à l’Homme, ce qui explique en partie que la maladie soit la plupart du temps bénigne. Mais l’accroissement de la déforestation favorise le contact entre les félidés ou rongeurs sauvages et ceux qui vivent à nos côtés, ce qui entraîne l’émergence de souches virulentes de toxoplasme. Celles-ci ont déjà été responsables d’épidémies graves en Guyane ou à Vancouver. Nos travaux devraient permettre de développer des moyens de prévenir ou traiter de telles conséquences. »

Note :
*unité 1209 Inserm/CNRS/Université Grenoble Alpes, Institute for Advanced Biosciences (IAB), équipe Interactions hôte-pathogène et immunité des infections

Source : DC Farhat DC et coll. A MORC-driven transcriptional switch controls Toxoplasma developmental trajectories and sexual commitment. Nat Microbiol. 2020;5(4):570‐583. doi:10.1038/s41564-020‑0674‑4