Leucodystrophie très rare : vers un traitement ?

Dans le cadre d’une collaboration internationale, une équipe parisienne* a pu observer une maladie génétique très rare, identifier le gène responsable, et même un médicament – déjà autorisé dans une autre maladie humaine – efficace sur un modèle animal. Reste maintenant à passer à l’Homme.

Les leucodystrophies sont un ensemble de maladies génétiques affectant la « substance blanche » du cerveau. Cette dernière comprend essentiellement les gaines de myéline entourant les prolongements des neurones (les axones). Particulièrement riche en lipides, la myéline est indispensable à la conduction du signal nerveux. « Depuis plus de 20 ans, nous recensons ces patients et leur famille pour identifier les anomalies génétiques en cause et tenter de comprendre les mécanismes de leur maladie » explique Odile Boespflug-Tanguy, qui coordonne Leukofrance, le centre de référence des leucodystrophies et leucoencéphalopathies rares. 

Chez quatre patients issus de trois familles françaises, l’équipe a découvert une version anormale du gène DEGS1. Très fortement exprimé dans le système nerveux central, DEGS1 permet de fabriquer une enzyme transformant la dihydrocéramide (DhCer) en céramide (Cer). Or les céramides sont des molécules clés de la synthèse des lipides, et en particulier des constituants de la myéline. Toutefois, les anomalies génétiques affectant DEGS1 identifiées étaient portées par des patients présentant des symptômes d’une gravité variable, laissant un doute sur le rôle de ce gène dans la maladie. « Nous avons alors contacté nos collègues de Barcelone, avec qui nous collaborons régulièrement dans le cadre de nos travaux sur les leucodystrophies : ils nous ont signalé avoir aussi trouvé un patient présentant une mutation de ce gène » se rappelle la chercheuse. Il était dès lors temps de consulter les plateformes internationales d’échange de données, répertoriant les variations du génome humain observées chez des patients atteints de maladies rares. L’équipe a ainsi pu identifier 14 patients supplémentaires porteurs d’anomalies de DEGS1, signalés par 8 équipes dans le monde (en France, en Angleterre, aux Etats-Unis, Canada, Egypte et en Iran). 

Un trouble du développement de la myéline (leucodystrophie hypomyélinisante), responsable de la précocité de la maladie (apparition avant 2 ans), a été retrouvé chez tous les patients, mais avec une sévérité variable. Il compromet sévèrement la croissance du poids, de la taille et du périmètre crânien. Il conduit au décès du patient dans les cas les plus graves, ou à des handicaps moteurs (marche autonome impossible) et intellectuels dans les formes plus lentes. 

Une piste de traitement

L’analyse des lipides extraits de cellules de peau (fibroblastes) ou de muscle des quatre patients français a montré une accumulation de DhCer au détriment de la céramide. Ce déséquilibre DhCer/Cer est-il à l’origine de la maladie ? Pour le savoir, les chercheurs espagnols ont développé un modèle animal, un poisson-zèbre chez qui l’expression de DEGS1 a été bloquée. Résultat : les larves montrent le même déséquilibre de DhCEr/Cer, présentent des troubles moteurs évoquant ceux des patients et ont perdu la plupart des cellules responsables de la synthèse de myéline dans le système nerveux central, les oligodendrocytes. 

Même si le mécanisme physiopathologique est encore loin d’être décrypté, pourquoi ne pas rechercher, dans la pharmacopée existante, une molécule empêchant l’accumulation de DhCer ? « Nous avons vite trouvé un bon candidat, le Fingolimod®, que nous connaissons bien car nous l’utilisons contre la sclérose en plaques, y compris chez les enfants » rapporte Odile Boespflug-Tanguy. Et de fait, le traitement des poissons-zèbres au Fingolimod® rétablit leur aptitude à la nage, diminue le rapport DhCer/Cer et augmente le nombre d’oligodendrocytes.

Ainsi, l’équipe a pu identifier un marqueur biochimique de la maladie (le rapport DhCer/Cer) et trouver une molécule agissant sur les symptômes dans un modèle animal de la maladie. « Cela ne signifie pas forcément que ce médicament sera efficace chez l’humain, mais s’agissant d’une molécule déjà connue et utilisée, nous pouvons plus rapidement envisager des tests cliniques, par exemple sous le régime de la recommandation temporaire d’utilisation, comme cela se fait pour d’autres molécules dans le cadre de maladies rares » estime la chercheuse. 

Notes
* Unité 1141 Inserm/Université Paris Diderot, Neuroprotection du cerveau en développement (PROTECT), équipe Génétique du cerveau 

Source : C Devesh et coll., Loss of the sphingolipid desaturase DEGS1 causes hypomyelinating leukodystrophy, JCI, édition en ligne du 8 janvier 2019 10.1172/JCI123959