Une hormone cardiaque aide à lutter contre le froid

À Toulouse, une équipe Inserm vient de découvrir un mécanisme impliqué dans la résistance au froid des mammifères. En stimulant les dépenses énergétiques pour produire de la chaleur, il pourrait constituer une piste thérapeutique pour lutter contre l’obésité et certains troubles métaboliques.

Pour de nombreux scientifiques, la question de la « thermogenèse sans frisson » – c’est-à-dire la production de chaleur par l’organisme indépendamment de contractions involontaires destinées à réchauffer le corps – était réglée : de nombreux travaux avaient montré qu’un mécanisme central, dépendant de la perception du froid par le cerveau, stimulait des fibres sympathiques du système nerveux autonome et la production de neurotransmetteurs (catécholamines) pour activer la thermogenèse dans le tissu graisseux. Cette dernière passe en effet par la dégradation des lipides stockés dans les adipocytes. Néanmoins, ce mécanisme central n’expliquait pas la totalité de la production de chaleur. Or Cédric Moro* et son équipe de l’Institut des maladies métaboliques et cardiovasculaires à Toulouse savaient qu’une hormone cardiaque impliquée dans la régulation de la pression artérielle, l’ANP (pour atrial natriuretic peptide), possédait également la capacité de dégrader des lipides. Aussi, l’équipe a voulu vérifier si cette hormone ne pouvait pas elle aussi jouer un rôle dans la thermogenèse. 

Pour cela, les chercheurs ont développé un modèle de souris génétiquement modifiées pour être dépourvues d’ANP. Ils ont exposé ces animaux et des souris témoins à une température de 4°C pendant quelques heures, puis mesuré différents paramètres reflétant la thermogenèse dans leur organisme, en particulier leur température corporelle ou encore l’activité des cellules de leur tissu adipeux, notamment celle des adipocytes bruns qui sont les principaux producteurs de chaleur (voir encadré). 

Une intolérance au froid en absence d’ANP

Ces analyses ont confirmé leurs hypothèses : l’ANP est nécessaire à la production de chaleur. Les souris qui en sont dépourvues ont développé une hypothermie lorsqu’elles étaient exposées au froid. Cette intolérance aux basses températures s’est accompagnée d’une diminution de moitié de l’activité des cellules de leur tissu adipeux brun. La lipolyse était également réduite dans le tissu adipeux blanc, de sorte que la concentration de triglycérides circulants était faible. De même, le taux de glucose sanguin était plus bas chez les souris sans ANP en raison d’une diminution de sa libération par le foie. Or les triglycérides et le glucose servent de substrat aux adipocytes bruns pour la production de chaleur. 

Différents types d’adipocytes : blancs, bruns et beiges

Le tissu graisseux renferme trois types de cellules : les adipocytes bruns, blancs et beiges. Chacun présente des propriétés différentes. 

Les adipocytes bruns, très présents chez le nouveau-né, sont de véritables petites centrales à chaleur qui consomment énormément d’énergie, des lipides mais aussi du sucre, pour chauffer l’organisme. Leur présence diminue avec le temps et les scientifiques ont longtemps pensé qu’ils étaient absents chez l’adulte. En réalité, une quantité infinitésimale persiste tout au long de la vie, représentant au bout du compte entre 0,5 et 1% des cellules graisseuses. Les chercheurs s’intéressent de près aux moyens de les stimuler dans le but de lutter contre l’obésité et les maladies métaboliques. 

Le tissu adipeux blanc, majoritaire chez les adultes, sert davantage à stocker les lipides qu’à les éliminer. Mais il fournit du substrat aux adipocytes bruns en cas de besoin. 

Le tissu adipeux beige fait, quant à lui, l’objet d’interrogations. En cas d’exposition au froid, un brunissement du tissu adipeux blanc est observé après quelques heures et semble correspondre à une conversion des adipocytes blancs en adipocytes beiges aptes à brûler acides gras et glucose pour produire de la chaleur comme les adipocytes bruns. Selon une autre hypothèse, l’exposition au froid induirait un recrutement de progéniteurs beiges « dormants » qui prolifèreraient et se différencieraient au milieu des adipocytes blancs. 

Les chercheurs ont ensuite vérifié ces observations chez l’Homme, en exposant à une température de 16°C des volontaires jeunes et en bonne santé. Ils ont bien retrouvé chez ces derniers l’augmentation du taux d’ANP circulant en réponse au froid. Dans un second temps, les chercheurs ont utilisé des échantillons de tissus adipeux prélevés chez quatre de ces volontaires, pour confirmer in vitro l’augmentation de l’activité des adipocytes bruns et celle de la lipolyse dans les adipocytes blancs après exposition à l’ANP, ainsi que pour décrire certains des mécanismes moléculaires impliqués. 

« En cas de froid, nos vaisseaux cutanés se contractent pour limiter la perte de chaleur. Le sang est alors réorienté vers les grands vaisseaux, ce qui contribue à augmenter la pression dans le cœur. L’ANP est alors libérée et réduit cette pression en stimulant la diurèse (la production d’urine). Mais ce n’est pas tout : nous venons de mettre en évidence qu’elle active en parallèle la thermogenèse, pour favoriser le maintien de la température corporelle, explique Cédric Moro. Or cette action directe de l’ANP sur les cellules adipeuses nous intéresse beaucoup. Stimuler la thermogenèse, en particulier au niveau des adipocytes bruns, augmente les dépenses énergétiques et améliore le contrôle de l’obésité et des troubles métaboliques comme la dyslipidémie et le diabète. »

Pour son équipe, qui travaille depuis plusieurs années sur ces maladies, l’ANP représente donc une nouvelle piste thérapeutique. « Nous allons progresser dans cette voie en essayant de trouver des analogues stables de cette hormone qui se dégrade rapidement dans l’organisme. Il faudra aussi vérifier que son administration est sûre, car l’ANP agit sur le système cardiovasculaire, les reins, le foie et pourrait donc présenter des effets indésirables. Cependant, un analogue d’ANP est déjà autorisé en Asie dans l’insuffisance cardiaque : cette approche paraît donc réaliste », conclut le chercheur. 

Note :
*unité 1048 Inserm/Université Toulouse III-Paul Sabatier, Laboratoire de recherche sur les obésités, Institut des maladies métaboliques et cardiovasculaires, Toulouse 

Source : D Carper et coll. Atrial Natriuretic Peptide Orchestrates a Coordinated Physiological Response to Fuel Non-shivering Thermogenesis. Cell Report, édition en ligne du 25 août 2020. DOI : 10.1016/j.celrep.2020.108075