Horloges internes : la rétine se distingue

A l’instar de l’organisme entier, la rétine possède sa propre horloge interne régulée par la lumière. Mais par quelles voies s’exerce cette régulation ? Une équipe Inserm vient de trancher cette question qui restait débattue.

« La lumière régule nos fonctions physiologiques, nos rythmes, et même notre humeur. Nous voulons comprendre comment », résume Ouria Dkhissi-Benyahya, chercheuse à l’Institut Cellule souche et cerveau* de Bron. De fait, la plupart des tissus de l’organisme fonctionnent selon un rythme endogène d’environ 24 heures, appelé rythme circadien. Pour éviter les dérives, ces cycles spontanés sont quotidiennement rephasés, autrement dit recalés sur le cycle de la lumière solaire, par une horloge centrale. Située dans le cerveau et plus précisément dans le noyau suprachiasmatique, cette horloge reçoit l’information lumineuse via la rétine. Et comme la plupart des tissus, cette dernière possède sa propre horloge interne, qui présente toutefois la particularité d’être directement régulée par la lumière. Or, si l’on sait que toutes les cellules photosensibles de la rétine – cônes, bâtonnets et cellules ganglionnaires photoréceptrices – participent au signal lumineux envoyé vers le noyau suprachiasmatique, il existe un débat quant au rephasage de l’horloge rétinienne elle-même. Fait-il appel aux mêmes types de photorécepteurs ? Répond-il à la lumière de la même manière que celui de l’horloge centrale ? 

Deux horloges au fonctionnement indépendant

L’équipe d’Ouria Dkhissi-Benyahya, Chronobiologie et troubles affectifs, a consacré une thèse à la question. Des rétines issues de souris chez lesquelles certains photorécepteurs sont absents ont été soumises à différents stimuli lumineux. L’effet produit sur l’horloge rétinienne était visualisé par le profil d’expression de Period2, un des gènes clés de la genèse des rythmes spontanés. En parallèle, les chercheurs ont mené les mêmes tests sur des animaux vivants (présentant les mêmes particularités que ceux utilisés pour les expériences ex vivo), afin de contrôler le rephasage de leur horloge centrale via leur activité locomotrice. Résultat le plus marquant : le traitement de la lumière se fait de manière complètement indépendante dans chacune des deux horloges ! 

Tout d’abord, seuls les bâtonnets se montrent indispensables au rephasage de l’horloge rétinienne. D’autre part, ces bâtonnets ne fonctionnent pas de la même manière pour cette tâche que pour envoyer leur signal au noyau suprachismatique. En effet, alors qu’ils sont connus pour réagir à de faibles intensités lumineuses, suffisantes pour recaler l’horloge centrale, ils ne commencent à agir sur le calage de l’horloge rétinienne qu’à partir de niveaux lumineux très élevés. « C’est la première fois que l’on montre le rôle exclusif des bâtonnets pour la rétine et la nécessité d’une telle intensité lumineuse. Pourquoi cette différence ? Nous pensons que la rétine, en permanence exposée à la lumière, doit en quelque sorte éliminer le bruit que représentent les faibles intensités », avance la chercheuse. 

Un travail fondamental, mais…

Il s’agit certes d’un travail fondamental mais, comme le rappelle Ouria Dkhissi-Benyahya, « il est indispensable de comprendre comment fonctionne cette horloge rétinienne pour savoir ce qui est dérégulé lors de certaines pathologies oculaires touchant les photorécepteurs : glaucome pour cellules ganglionnaires, DMLA pour photorécepteurs... » Qui plus est, le dérèglement de l’horloge rétinienne, donc du fonctionnement de cet organe, pourrait par répercussion affecter l’horloge centrale, donc l’ensemble de l’organisme. Comme par exemple le cycle veille/sommeil...

Pour l’heure, l’équipe envisage d’examiner en détails la manière dont les bâtonnets traitent l’information lumineuse, en disséquant les différentes voies de transmission au sein même de la rétine. « Peut-être pourrons-nous trouver un moyen de rétablir le fonctionnement d’une horloge rétinienne perturbée, en jouant sur les photorécepteurs et les voies de transmission de l’information », imagine la chercheuse. 

Note :
*unité 1208 Inserm/Inra/Université Claude Bernard Lyon 1, Institut Cellule souche et cerveau, Bron 

Source : H Calligaro et coll. Rods contribute to the light-induced phase shift of the retinal clock in mammals, PLoS Biology, mars 2019 https://doi.org/10.1371/journal.pbio.2006211