Épilepsie : le premier traitement reçu conditionnerait le succès ou l’échec des suivants

Chez l’enfant, le pronostic à long terme de la maladie épileptique pourrait être influencé par la pertinence du premier traitement prescrit. Cette hypothèse, soutenue par une étude menée chez la souris, invite à s’assurer dès la première crise d’épilepsie que la prise en charge diagnostique et thérapeutique des enfants est adaptée.

Il existe une cinquantaine de formes d’épilepsie et plusieurs dizaines de médicaments antiépileptiques : certains sont efficaces sur plusieurs formes de maladie, tandis que d’autres sont spécifiques d’une seule. Utilisés à mauvais escient, ceux-ci aggravent parfois la fréquence ou la durée des crises ou même le type de crise. Peuvent-ils aussi avoir un effet rémanent sur l’évolution de la maladie ? Oui, si l’on en croit la preuve de concept apportée par l’étude préclinique encadrée par Benoît Martin*. 

Les chercheurs ont travaillé chez la souris. Des souriceaux présentant des épilepsies absences – une forme fréquente d’épilepsie, en particulier chez les enfants – ont été traités par différents médicaments durant deux semaines. Certains ont reçu un antiépileptique classiquement utilisé pour ce type d’épilepsie : une molécule à large spectre d’action ou un autre médicament qui agit spécifiquement sur les épilepsies absences. Un troisième groupe de souriceaux a reçu un traitement antiépileptique connu pour être délétère dans cette forme d’épilepsie. À l’issue de ces deux semaines, l’antiépileptique à large spectre d’action a été administré à toutes les souris, qui ont été suivies 6 semaines de plus. 

Résultats : les souris traitées dès le départ par un antiépileptique adapté ont présenté une diminution progressive du nombre de crises. Celles qui avaient reçu le traitement inapproprié en première intention ont en revanche continué à présenter une activité épileptique élevée, malgré l’introduction secondaire d’un traitement adapté. Un élément qui soutient l’hypothèse que le premier traitement antiépileptique peut avoir un impact sur le pronostic de la maladie. 

Une invitation à la prudence

Cette hypothèse a notamment émergé de l’histoire de jumeaux monozygotes qui ont tous deux développé la même maladie épileptique au cours de leur enfance. Au cours du temps, l’un a présenté un contrôle de la maladie lui permettant de mener une vie normale à l’âge adulte. Le second n’a pas suivi le même parcours : aujourd’hui encore, il présente des symptômes altérant significativement sa qualité de vie. Ce qui distingue ces deux frères ? Ils avaient reçu un premier antiépileptique différent après leur diagnostic : le premier avait reçu un traitement adapté, tandis que le jumeau allant moins bien avait reçu un traitement inadéquat. D’où l’idée de développer un modèle expérimental permettant d’établir si le premier traitement initié peut influencer le devenir à long terme de la maladie. 

Si la démonstration qui vient d’être apportée chez la souris conforte la pertinence de l’hypothèse, il reste évidemment à compléter ces données par d’autres études, reconnaît Benoît Martin : « Nous sommes en train d’évaluer si un résultat similaire peut être observé chez des souris adultes, afin d’apprécier dans quelle mesure le médicament influence le développement du cerveau. Le fait que le cerveau soit en cours de maturation est peut-être déterminant. Par ailleurs, nous travaillons aussi à évaluer si, en utilisant en seconde intention, un antiépileptique à action plus spécifique, il serait possible d’améliorer le pronostic au long cours associé à un mauvais traitement initial. Nous étudions également les éventuelles conséquences du traitement initial sur le fonctionnement cérébral en dehors des crises. En effet, les conséquences négatives induites par le traitement aggravant est persistant après son remplacement par un traitement adapté : l’hypothèse d’une modification physiologique définitive est donc possible. Cette modification pourrait avoir des conséquences sur d’autres fonctions cérébrales ».

Dans l’attente de ces résultats, cette première preuve de concept doit inviter à une attitude de prudence : « Hormis celles durant plusieurs minutes, les crises d’épilepsie ne constituent pas une urgence médicale, si ce n’est de sécuriser les patients pour éviter qu’ils ne se blessent. A la suite d’une première crise, il faudrait s’assurer que les patients soient systématiquement adressés à un service ou un praticien expert, afin de conduire toutes les explorations nécessaires pour établir le diagnostic le plus précis et le plus exact possible, et de mettre en place, dès le début, le traitement le plus adapté à la forme d’épilepsie du patient ». C’est justement la position qui est actuellement adoptée aux États-Unis, où les épileptologues plaident pour la création d’« instituts de la première crise » : des services qui seraient spécialement dédiés à l’accueil des patients chez lesquels une maladie épileptique est suspectée. 

Note

* unité 1099 Inserm/Université de Rennes 1, Laboratoire Traitement du signal et de l’image (LTSI), Rennes.

Source

JL Pawluski et coll. Long-term negative impact of an inappropriate first antiepileptic medication on the efficacy of a second antiepileptic medication in mice. Epilepsia, édition en ligne du 14 juin 2018, DOI : 10.1111/epi.14454