L’environnement socio-économique accroît le risque d’inflammation chronique

Nous ne serions pas tous égaux face au risque d’inflammation chronique et à ses conséquences délétères en termes de santé. En effet, le niveau socio-économique dans lequel nous évoluons et notre degré d’éducation joueraient un rôle direct sur ce paramètre...

Le degré d’inflammation chronique d’un adulte, mesurable via par le taux sanguin de protéine C réactive (CRP), serait d’autant plus élevé que le niveau socio-économique dans lequel il a évolué ou évolue est faible. Et parmi les paramètres définissant ce dernier, le niveau d’instruction atteint serait le plus influant sur le niveau d’inflammation atteint à l’âge adulte. 

Ce résultat, établi à partir du regroupement de 6 cohortes européennes, soit plus de 23 000 individus suivis dans le temps, met en lumière un élément qui pourrait expliquer certaines inégalités sociales de santé, étant donné le rôle délétère de l’inflammation dans de nombreux processus physiopathologiques. Reste à déterminer comment ce déterminant social se traduit en incidence biologique. Plusieurs éléments pourraient être impliqués : des différences relatives à l’hygiène de vie, au stress chronique psychosocial ou au bien-être, ou encore dans la capacité à mettre en place des moyens de compensation comportementaux ou matériels face au stress induit par l’environnement.

Du social au biologique

Comme les consommations de tabac, d’alcool, la sédentarité ou l’alimentation, le niveau socio-économique est considéré comme un déterminant de santé puisqu’il joue un rôle dans le pronostic de morbi-mortalité des populations. Ceci serait notamment lié au fait que les habitudes hygiéno-diététiques sont souvent moins bonnes dans les populations les moins favorisées économiquement. Mais ce déterminant pourrait avoir une influence propre sur l’état de santé des personnes (mortalité, pathologies, biomarqueurs), une fois tous ces autres facteurs pris en compte. C’est en tout cas un constat qui émerge des recherches les plus récentes. 

L’équipe Inserm EQUITY*, qui travaille justement à comprendre comment les inégalités socio-économiques de santé se construisent au cours de la vie, fait partie d’un consortium européen nommé Lifepath, dont les travaux ont déjà pu apporter des éléments de réponse sur le sujet : à partir des données issues d’une cohorte de naissance britannique, il est par exemple apparu que le niveau socio-économique à la naissance était un marqueur de dysfonctionnement physiologique à l’âge adulte (45 ans), mais également que le niveau d’éducation de l’enfant influençait cette relation. « Il est possible que ce dernier soit capable d’atténuer l’impact sur la santé du niveau de défavorisation sociale dans l’enfance, ce que nous étudions de plus près dans une nouvelle analyse » explique Michelle Kelly-Irving. 

Du biomarqueur à son incidence clinique

Au sein de l’équipe EQUITY, cette épidémiologiste et plusieurs autres chercheurs veulent justement identifier précisément comment le contexte social se traduit en incidences biologiques « Nous avions déjà décrit que le taux de CRP est l’un des biomarqueurs le plus fortement associé au risque de mortalité prématurée dans une cohorte de naissance en population générale. Nous avons donc voulu évaluer comment le niveau socio-économique au cours de la vie pouvait en modifier la concentration à l’âge adulte ». Les chercheurs ont pour cela utilisé trois marqueurs de position socio-économique, respectivement associés au début la vie de l’enfant (profession du père), à son entrée dans la vie adulte (niveau d’éducation atteint), puis à sa vie adulte (dernier métier exercé). 

Raphaële Castagné, qui a contribué à ce travail, explique : « Nous avons évalué le rôle déterminant joué par le tabac, l’alcool ou la sédentarité sur la relation entre position socio-économique et le risque d’avoir un taux moyen de CRP élevé. Nous avons mis en évidence que l’indice de masse corporelle (IMC) expliquait en partie cette relation, ce qui peut pourrait reposer sur les propriétés pro-inflammatoires du tissu adipeux. Et nous avons pu confirmer que le niveau socio-économique jouait un rôle significatif, notamment le degré d’éducation atteint par l’individu : il jouerait dont un rôle direct sur l’inflammation, même après avoir intégré l’influence de tous les autres facteurs ».

De tels résultats pourraient justifier une intervention précoce, dès le plus jeune âge, afin de limiter les inégalités sociales de santé. De nouveaux travaux sont toutefois nécessaires pour approfondir les mécanismes en jeu concernant l’environnement social dans lequel le sujet grandit (facteurs infectieux, hygiène buccodentaire, stress psychosocial…) et l’influence du niveau d’éducation (bien-être social, facteurs émotionnels…). 

Dans l’immédiat, l’équipe s’est attelée à comprendre comment l’hétérogénéité du taux moyen de CRP liée à cette inégalité sociale se traduit sur le vieillissement en bonne santé : à partir de plusieurs cohortes rassemblées dans Lifepath, leur idée est désormais d’analyser le lien entre le niveau de CRP et la santé perçue par les individus (mesurée par des questionnaires, des indicateurs de santé mentale…) ou leur santé fonctionnelle (autonomie de marche, force musculaire…), avant que les maladies n’apparaissent.

Note :
* équipe EQUITY (Embodiment, social ineQualities, lifecoUrse epidemiology, cancer and chronIc diseases, intervenTions, methodologY), unité 1027 Inserm/Université Toulouse 3 Paul Sabatier, Epidémiologie et analyses en santé publique : risques, maladies chroniques et handicaps, Toulouse. 

Source : Berger E et al. Multi-cohort study identifies social determinants of systemic inflammation over the life course. Nat Commun. 2019 ; 10 : 773. Published online 2019 Feb 15. doi : 10.1038/s41467-019–08732‑x PMCID : PMC6377676 PMID : 30770820