Deux syndromes de Li-Fraumeni plutôt qu’un

Le syndrome de Li-Fraumeni est une prédisposition génétique au cancer, rare mais dramatique, qui se manifeste par la survenue précoce de diverses tumeurs malignes. Au CHU de Rouen, une équipe Inserm est parvenue à identifier des degrés de sévérité du syndrome, ainsi que les types de mutations qui leurs sont associés. Ces données devraient permettre de stratifier le dépistage et d’améliorer l’information aux patients.

Une avancée majeure pour les familles concernées par le syndrome de Li-Fraumeni vient d’être accomplie par des chercheurs et des cliniciens de Rouen* : les scientifiques ont non seulement réussi à segmenter ce syndrome prédisposant au cancer en niveaux de sévérité, mais ils ont aussi découvert les types de mutations associées à ces différents niveaux de sévérité. Ces travaux vont permettre d’améliorer la qualité du dépistage proposé aux patients et d’adapter la prévention.

Vingt ans de diagnostic

Depuis vingt ans, son laboratoire est spécialisé dans le diagnostic du syndrome de Li-Fraumeni, au niveau national. Ce diagnostic passe par l’analyse du gène TP53, effectuée à partir d’un échantillon de sang. Elle est réalisée chez des enfants et des adultes atteints d’un cancer et pris en charge par les différents centres français spécialisés en oncogénétique, dès lors que le syndrome est suspecté en raison du type de tumeur et de l’âge de survenue. « Diagnostiquer le syndrome de Li-Fraumeni a un impact médical important qui peut conduire à changer le traitement anticancéreux : on va par exemple éviter la radiothérapie qui expose au risque de second cancer dans la zone irradiée, ou proposer des examens de dépistage tels que l’IRM corps entier. Ce diagnostic a en outre un lourd impact psychologique pour les familles », témoigne le chercheur. 

En 20 ans, le laboratoire a analysé le gène TP53 chez 1 700 familles suspectées de présenter un syndrome de Li-Fraumeni. Une mutation a été identifiée chez 214 de ces familles, avec 415 personnes porteuses de mutations au total. « Cela correspond à environ 10% des familles suspectées. Ce taux est du même ordre que celui observé lorsqu’on recherche des mutations de prédisposition héréditaire au cancer du sein dans les gènes BRCA 1 et BRCA2 chez les femmes présentant un cancer du sein précoce et/ou une histoire familiale évocatrice », précise-t-il.

Un gradient de sévérité et de mutations

Ce travail de longue haleine a permis aux chercheurs de constater l’existence de niveaux de sévérité du syndrome de Li-Fraumeni dans les familles. Certaines sont touchées par une forme extrêmement sévère, avec des cancers pédiatriques très variés : ostéosarcomes, sarcomes, tumeurs cérébrales ou encore corticosurrénalomes (des tumeurs malignes des glandes surrénales, situées au-dessus des reins). A l’opposé, d’autres familles présentent une forme moins sévère de la maladie se déclarant à l’âge adulte, avec une prédominance de cancers du sein (survenant le plus souvent chez les femmes avant 31 ans) et de sarcomes. Enfin, une forme intermédiaire de la maladie est caractérisée par l’association de corticosurrénalomes de l’enfant et de tumeurs de l’adulte.

En analysant le gène TP53 de ces patients, les chercheurs ont découvert que la nature des mutations observées est associée aux degrés de sévérité du syndrome : « Les formes pédiatriques les plus sévères sont caractérisées par des mutations appelées faux sens à effet transdominant négatif. Avec ces mutations, la protéine p53 altérée empêche la protéine saine produite à partir du second allèle de fonctionner. D’autres mutations, appelées nulles, inactivent juste la fonction de la protéine mutée. Elles sont associées aux formes moins sévères.Enfin, il existe des mutations particulièrement prédictives des corticosurrénalomes » détaille Thierry Frébourg. En outre, grâce à un nouveau test fonctionnel de la voie p53 développé dans les lymphocytes des patients, les chercheurs de l’unité Inserm 1079 ont montré que le gradient de sévérité clinique résulte d’un gradient de sévérité biologique : « Les mutations faux sens à effet transdominant négatif altèrent la réponse p53 aux lésions de l’ADN de façon beaucoup plus importante que les autres », clarifie Thierry Frébourg. 

Deux modes de prise en charge

Ces résultats ont incité les auteurs à proposer une stratification de la prise en charge du syndrome de Li-Fraumeni, en fonction du type de mutation identifié chez le patient. « Dans les familles présentant une mutation associée à une forme sévère de la maladie, il est sans doute légitime de proposer l’analyse du gène TP53 aux enfants, dès lors que les parents le souhaitent après avoir reçu une information au cours d’une consultation de génétique. Les enfants porteurs de la mutation pourront bénéficier d’un suivi annuel fondé sur l’IRM corps entier. Un suivi dont il faudra du reste évaluer l’efficacité. Un diagnostic prénatal ou préimplantatoire pourra par ailleurs être proposé pour la descendance. Mais s’il s’agit d’une mutation associée aux formes moins sévères, nous proposons que l’analyse pré-symptomatique soit réservée aux adultes, en limitant le dépistage des tumeurs à celui des cancers du sein par IRM annuelle, à partir de 20 ans. L’objectif est d’améliorer la prise en charge des familles, en intégrant l’hétérogénéité des mutations et la gravité de ce syndrome, et en considérant le rapport bénéfice médical/impact psychologique », explique Thierry Frébourg. 

Prévenir de nouveaux cancers

Ces travaux ont aussi permis aux auteurs de confirmer une des caractéristiques du syndrome : la survenue de plusieurs tumeurs primitives chez les patients. « Dans plus de 40% des cas, les patients développent des cancers [non liés] sur différents sites. Nos observations cliniques et nos analyses de l’effet des chimiothérapies sur les lymphocytes de sujets présentant une mutation TP53 suggèrent fortement que les traitements par chimiothérapie administrés au cours du premier cancer déclenchent ces second cancers par leur effet génotoxique, comme avec radiothérapie », indique le chercheur. « Cela reste à démontrer, mais notre objectif est désormais de caractériser des classes de chimiothérapies anticancéreuses non génotoxiques chez les patients présentant un syndrome de Li-Fraumeni, dans le but de réduire ce risque de seconde tumeur », conclut-il.

Note

*unité 1079 Inserm/Université de Rouen et laboratoire du CHU de Rouen 

Source 

G. Bougeard et coll. Revisiting Li-Fraumeni Syndrome From TP53 Mutation Carriers. J Clin Oncol, édition en ligne du 26 mai 2015