Contaminants alimentaires : quel est le risque toxique réel ?

Parce que la nocivité des substances chimiques peut être amplifiée lorsqu’elles sont combinées, il est difficile d’établir le risque toxique réel lié aux contaminants présents dans notre alimentation. Une équipe vient de conduire une étude qui décrit les cocktails chimiques auxquels les femmes françaises sont plus souvent exposées par ce biais. Elle apporte ainsi les bases à de futures études toxicologiques et épidémiologiques.

Les contaminants chimiques présents dans notre alimentation sont très nombreux et de nature très variée. Il est possible de décrire la toxicité de chacun d’entre eux grâce à une somme d’études conduites in vitro, in vivo ou à partir de données épidémiologiques. Mais combinés, les contaminants peuvent avoir une toxicité amplifiée, supérieure à une simple addition de leur effet nocif respectif. C’est ce qu’on appelle l’effet cocktail. Pour conduire des recherches toxicologiques qui reflètent le plus fidèlement possible le risque réel auquel nous sommes exposés, il est donc nécessaire d’étudier la nocivité des mélanges de contaminants, et non pas seulement celle de chacun d’entre eux pris isolément. Mais lesquels prioriser, parmi les milliers de combinaisons possibles à étudier ? Francesca Romana Mancini et son équipe* viennent de conduire une étude pour identifier et décrire les mélanges auxquels les femmes françaises sont plus souvent exposées via l’alimentation.

Huit principaux cocktails à risque

Francesca Romana Mancini explique : « Ma thématique de recherche est dédiée à l’impact sanitaire de l’exposition aux contaminants organiques persistants qui sont présents dans l’alimentation. Pour ce travail, nous avons constitué une base dans laquelle nous avons croisé deux importantes sources de données : la première correspond aux questionnaires alimentaires très précis et complets qui ont été remplis par les participantes de la cohorte E3N, près de 100 000 femmes nées entre 1925 et 1950, recrutées dans les années 1990. La seconde correspond à un travail exhaustif mené par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), qui décrit précisément la nature et la quantité des plus de 400 contaminants chimiques présents dans plus de 200 aliments de base. »

En croisant la consommation alimentaire et la contamination moyenne de chaque aliment, les chercheurs ont pu calculer un niveau moyen d’exposition quotidien à différents composés. Sur cette base, ils ont utilisé une nouvelle approche statistique (sparse non-negative matrix under-approximation, SNMU) qui leur a permis d’identifier les mélanges auxquels les femmes de la cohorte E3N sont les plus fréquemment exposées. Ils ont ainsi pu établir que 83% des expositions aux contaminants étaient le fruit de 8 types de mélanges. L’un d’eux représentait même 38% à lui seul : il s’agit d’une combinaison de minéraux (chrome, zinc, fer…), de contaminants inorganiques (comme le plomb ou le cadmium) et de furane (un composé volatil organique incolore utilisé dans la fabrication de substances chimiques), associée à la consommation d’abats, de légumes non racines et d’œufs.

Ainsi, de futurs travaux toxicologiques ou épidémiologiques pourraient se concentrer sur ces différents mélanges de contaminants, ce qui permet une recherche plus pragmatique du risque que nous encourons via l’alimentation.

Des risques spécifiques selon nos habitudes de vie ?

Dans un second temps, des groupes de femmes dont le profil d’exposition aux huit mélanges est homogène ont été identifiés. Un portrait type a pu être dressé pour chacun de ces groupes. « Par exemple, les femmes qui sont plus jeunes et actives physiquement, moins souvent fumeuses et qui ont fait plus d’études que la moyenne dans E3N sont les plus exposées à deux mélanges** typiquement associés à la consommation de poissons et produits de la mer », indique la chercheuse. 

Ces regroupements vont permettre de faciliter les recherches épidémiologiques ultérieures : il sera par exemple possible d’évaluer si certains évènements de santé sont plus fréquents au cours de la vie des femmes de certains de ces groupes. L’extension de l’étude E3N, qui inclut désormais les enfants et petits-enfants de ces femmes, pourrait aussi apporter des informations utiles sur l’exposition alimentaire aux mélanges chimiques dans d’autres générations et parmi la population masculine. 

Note :
* unité 1018 Inserm/UVSQ/Université Paris-Sud, Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations, équipe Exposome et hérédité, Institut Gustave Roussy, Villejuif
** polychlorobiphényles/furanes/retardateurs de flamme bromés et polychlorobiphényles /furanes/retardateurs de flamme bromés/mercure/composés perfluorés 

Source : FR Mancini et coll. Identification of chemical mixtures to which women are exposed through the diet : Results from the French E3N cohort. Environ Int, édition en ligne du 9 mars 2021. doi : 10.1016/j.envint.2021.106467.