La consommation d’aliments ultra-transformés est-elle liée à un risque de cancer ?

Suite à leur récente publication scientifique suggérant une association entre la consommation d’aliments ultra-transformés et un sur-risque de développer un cancer, Mathilde Touvier, Bernard Srour et Serge Hercberg (unité 1153 Inserm/Inra/Cnam/Université Paris 13 – Sorbonne Paris Cité, équipe de Recherche en épidémiologie nutritionnelle, Centre de recherche en épidémiologie et statistique) décryptent leurs travaux dans une tribune publiée par The Conversation.

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Durant les dernières décennies, les habitudes alimentaires se sont modifiées en France comme dans de nombreux pays dans le monde : on a observé une augmentation de la consommation d’aliments ultra-transformés, qui contribuent aujourd’hui à plus de la moitié des apports caloriques dans de nombreux pays. Formulés pour être goûteux, et microbiologiquement sains, ils se caractérisent souvent par une qualité nutritionnelle plus faible : ils sont, en général, plus riches en sel, sucre et acides gras saturés, et plus pauvres en fibres et vitamines. Par ailleurs, ces aliments contiennent souvent des additifs alimentaires, ainsi que des substances provenant des emballages et autres matériaux au contact des aliments et sont susceptibles de véhiculer certains composés néoformés créés lors des processus de transformation. 

La notion de transformation des aliments est complexe, tant les procédés possibles (industriels ou non) et les additifs autorisés sont multiples. Une première classification des niveaux de transformation des aliments, la NOVA, élaborée par des chercheurs de l’Université de São Paulo, a permis d’initier la réflexion sur les relations entre le degré de transformation des aliments et la santé. Les aliments sont ainsi catégorisés en 4 groupes, en fonction de leur degré de transformation (aliments peu ou pas transformés, ingrédients culinaires, aliments transformés, aliments ultra-transformés). 

Sodas, nuggets, soupes déshydratées

Le groupe des aliments ultra-transformés inclut par exemple les pains et brioches industriels pré-emballés, les soupes de légumes instantanées en poudre, les barres chocolatées, les biscuits apéritifs, les sodas et boissons sucrées aromatisées, et les nuggets de volaille et de poisson. Les procédés de transformation comprennent par exemple le chauffage à haute température, l’hydrogénation, et le prétraitement par friture. Des colorants, émulsifiants, texturants, édulcorants et d’autres additifs sont souvent ajoutés à ces produits. 

 Saucisses de l’industrie agroalimentaire. Kirsty TG/Unsplash
Saucisses de l’industrie agroalimentaire. Kirsty TG/Unsplash

Alors que des viandes salées sont considérées comme des « aliments transformés », les viandes fumées et/ou avec des nitrites et des conservateurs ajoutés, comme les saucisses et le jambon, sont classées comme « aliments ultra-transformés ». De même, les conserves de légumes uniquement salées sont considérées comme des « aliments transformés » alors que les légumes industriels cuits ou frits, marinés dans des sauces et/ou avec des arômes ou texturants ajoutés (comme les poêlées industrielles de légumes) sont considérés comme des « aliments ultra-transformés ». 

Quelques études épidémiologiques ont retrouvé des associations entre la consommation d’aliments ultra-transformés selon la classification NOVA et un risque accru de développer des troubles métaboliques comme les dyslipidémies, le surpoids, l’obésité, et l’hypertension artérielle. Toutefois, aucune étude n’avait encore été conduite à ce jour sur le risque de cancer. Notre équipe a donc étudié les associations entre la consommation d’aliments ultra-transformés et le risque de cancer dans une large population d’adultes français. 

L’étude a porté sur 104 980 sujets âgés de plus de 18 ans, participant à la cohorte NutriNet-Santé, suivis entre 2009 et 2017. Les données alimentaires ont été recueillies à l’aide d’enregistrements de 24 heures répétés sur Internet, conçus pour évaluer la consommation habituelle des participants. Les 3 300 aliments différents consommés ont été classés en fonction de leur degré de transformation selon la classification NOVA. 

Dans cette étude, que nous avons publié le 15 février dans le British Medical Journal, nous avons observé qu’une augmentation de 10 % de la proportion d’aliments ultra-transformés dans le régime alimentaire était associée à une augmentation d’environ 10 % des risques de développer un cancer tous sites confondus (2 228 cas) et un cancer du sein plus spécifiquement (739 cas). Ces résultats restent significatifs après la prise en compte d’un grand nombre de facteurs socio-démographiques (âge, niveau d’éducation, etc.), anthropométriques, de mode de vie (activité physique, alcool, tabac, etc.), mais également des indicateurs de la qualité nutritionnelle de l’alimentation (apports en sel, sucres, graisses, etc.). 

Composés carcinogènes ?

 Additifs. Gordon Joly/Flickr, CC BY-SA
Additifs. Gordon Joly/Flickr, CC BY-SA 

Parmi les différentes hypothèses qui pourraient expliquer ces résultats, la moins bonne qualité nutritionnelle globale des aliments ultra-transformés peut être avancée, mais ne serait donc pas la seule impliquée. La présence d’autres composés (additifs, substances formées lors des processus de transformation, matériaux au contact des aliments, etc.) pourrait également jouer un rôle. En effet, si les preuves chez l’homme demeurent à ce jour limitées, des études expérimentales chez l’animal ont suggéré des propriétés carcinogènes pour plusieurs de ces composés (exemples : additifs tels que le dioxyde de titane ou les nitrites, composés néoformés lors de la cuisson de certains aliments comme l’acrylamide ou encore bisphénol A contenu dans certains emballages plastiques). 

Comme nous l’avons souligné dans la publication scientifique, ce travail doit être considéré comme une première piste d’investigation dans ce domaine. Nous sommes conscients que l’approche « observationnelle » de cette étude ne permet pas de conclure sur l’existence d’un lien de cause à effet. Un essai d’intervention randomisé comparant par exemple deux groupes de personnes (l’un à qui l’ont ferait consommer des aliments ultra-transformés pendant plusieurs années, et l’autre n’en consommant pas) permettrait d’établir de façon convaincante un lien causal… Mais ce type d’étude, comme c’est souvent le cas dans le domaine de la recherche en nutrition, ne peut pas être envisagé, pour des raisons pratiques et logistiques évidentes mais également éthiques, dès lors qu’un effet délétère est suspecté. 

Il est nécessaire de confirmer ces résultats par de nouvelles études épidémiologiques réalisées sur des populations diverses et dans d’autres pays. Il faut aussi aller plus loin dans la compréhension des procédés de transformation, des facteurs et des mécanismes potentiellement impliqués, grâce à de nouvelles approches épidémiologiques et expérimentales, sur des modèles animaux ou cellulaires. 

La catégorie des « aliments ultra-transformés » est vaste et diverse et doit être affinée pour mieux comprendre ses relations avec la santé. Il est donc indispensable de développer de nouvelles recherches afin d’obtenir des réponses précises à toutes les questions posées, ce qui prendra plusieurs années. En attendant, il est important de ne pas alarmer les consommateurs, mais de les informer avec le plus d’objectivité et de pédagogie scientifique possible sur l’avancée des recherches. Le Haut Conseil de la Santé Publique en France a introduit depuis 2017 dans ses recommandations officielles le fait de privilégier les produits bruts (pas ou peu transformés), au nom du principe de précaution. Plusieurs industriels se sont par ailleurs déjà engagés dans l’amélioration de la qualité de leurs produits agroalimentaires. 

Recherche sur les additifs alimentaires

Pour poursuivre ces travaux, nous lançons un nouveau programme de recherche sur les additifs alimentaires, dont l’objectif principal sera d’évaluer les expositions usuelles à ces substances et d’étudier leurs effets potentiels sur la santé et la survenue de maladies chroniques. Ceci sera rendu possible grâce à une évaluation précise et répétée de l’exposition alimentaire dans la cohorte NutriNet-Santé toujours en cours, incluant les marques et noms commerciaux des aliments industriels consommés. 

Ce dernier point est fondamental pour estimer de manière précise l’exposition aux additifs au niveau individuel étant donné la grande variabilité des compositions entre les marques. Le recrutement de nouveaux volontaires pour participer à l’étude NutriNet-Santé se poursuit donc. Il suffit pour cela de s’inscrire en ligne et de remplir des questionnaires, qui permettront aux chercheurs de faire progresser les connaissances sur les relations entre nutrition et santé et ainsi d’améliorer la prévention des maladies chroniques par notre alimentation. 

Mathilde Touvier, Chercheur – Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle (EREN U1153 Inserm / Inra / Cnam / Sorbonne Paris Cité UP13), Université Sorbonne Paris Cité (USPC); Bernard Srour, Epidémiologiste – Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle EREN (Inserm U1153 / Inra U1125 / Cnam / USPC) – Centre de Recherche en Epidémiologie et Statistiques Sorbonne Paris Cité (CRESS), Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), and Serge Hercberg, Directeur de l’équipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, Professeur de nutrition, Inserm, Université Paris 13 – USPC

This article was originally published on The Conversation. Read the original article.