Comment certains lymphocytes tuent-ils les cellules indésirables ?

S’appuyant sur de nouvelles techniques de microscopie à résolution nanométrique, une équipe Inserm apporte de nouvelles informations sur le mécanisme par lequel les lymphocytes tueurs s’attaquent à leurs cibles. Ce travail met en particulier en avant le rôle essentiel d’une protéine qui fait défaut aux patients atteints d’une immunodéficience primaire, le syndrome de Wiskott-Aldrich.

Les lymphocytes T cytotoxiques sont des globules blancs chargés de tuer toute cellule indésirable pour l’organisme, qu’elle soit tumorale ou infectée. Pour ce faire, le lymphocyte établit avec la cellule à détruire un contact annulaire, appelé synapse immunologique. Des granules emplis de substances toxiques sont acheminés vers cette synapse et libèrent leur contenu mortel dans la cellule cible. 

Une protéine transmembranaire de la classe des intégrines, appelée LFA‑1, joue un rôle essentiel dans la mise en place de la synapse. Elle-même est acheminée vers le point de contact, et organisée dans l’espace, par la composante motrice du cytosquelette : l’actine. Cette dernière forme un réseau très dense juste sous la membrane cellulaire au niveau de la synapse. Reste à savoir quel mécanisme précis gouverne l’assemblage annulaire de LFA‑1.

Au Centre de physiopathologie de Toulouse Purpan, Loïc Dupré* a récemment testé une hypothèse. « Je travaille depuis des années sur la protéine WASP, qui intervient dans le remodelage du cytosquelette d’actine. La mutation du gène codant WASP entraîne une immunodéficience primaire bien connue, le syndrome de Wiskott-Aldrich. Les lymphocytes de ces patients peinent à établir la synapse immunologique et à tuer leurs cibles », explique le chercheur. L’idée était donc de regarder si ce problème est lié à un défaut d’activation et d’organisation spatiale de LFA‑1, lui-même du à l’absence de la protéine WASP. 

L’apport de la microscopie de super-résolution

Synapse immunologique de lymphocyte T cytotoxique humain
Synapse immunologique de lymphocyte T cytotoxique humain : réseau d’actine (vert), nanoclusters de LFA‑1 (rouge) et granules lytiques (bleu)

Pour observer un tel phénomène en détails, il a fallu faire appel à une combinaison d’approches de microscopie de super-résolution dSTORM (direct Stochastic Optical Reconstruction Microscopy) et SIM (Structured Illumination Microscopy). « Ce travail est né d’une collaboration entre notre équipe de recherche et le plateau technique d’imagerie cellulaire du CPTP dirigé par Sophie Allart (prix Inserm Innovation 2017). Nous avons ainsi réussi à atteindre la finesse de résolution dont nous avions besoin », souligne Loïc Dupré. L’échelle d’observation inédite a apporté une première surprise, fondamentale, concernant les cellules saines utilisées comme témoins. « Alors que l’on pensait que les protéines LFA‑1 se regroupaient sous forme d’amas durant leur activation à la synapse immunologique, nous avons découvert qu’elles s’organisent en nano-agrégats d’une centaine de nanomètres de diamètre, très structurés, denses et comprenant chacun quelques dizaines de molécules. Nous en avons compté de mille à deux mille par synapse, formant un anneau », révèle le chercheur. Ces nano-agrégats sont localisés dans les mailles du réseau d’actine. 

Des synapses désorganisées

Dans les lymphocytes de patients atteints du syndrome de Wiskott-Aldrich, l’absence de la protéine WASP entraîne des anomalies visibles à deux échelles. Tout d’abord, les nano-agrégats de LFA‑1 apparaissent moins denses et moins bien délimités. « Bien que la relation de cause à effet ne soit pas prouvée pour l’instant, nous pensons que cela est dû à la mauvaise organisation du réseau d’actine au niveau de la synapse », avance Loïc Dupré. A l’échelle cellulaire, cela se traduit par une synapse instable et déstructurée : l’anneau typique est souvent absent, ou incomplet. Enfin les granules cytotoxiques ne se concentrent plus vers le centre de la synapse. 

L’équipe entend désormais explorer deux axes. D’une part poursuivre l’approche fondamentale sur les cellules normales. « Par quel mécanisme, via quel signal intracellulaire la formation d’une synapse bien organisée entraîne-t-elle le relargage des granules ? », se demande en particulier Loïc Dupré. D’autre part, les chercheurs comptent exploiter ces approches microscopiques pour étudier d’autres pathologies génétiques liées à un défaut de remodelage du cytosquelette d’actine ou de l’activation des intégrines. 

Loïc Dupré souligne l’importance de ces nouvelles techniques d’imagerie, capables de révéler des phénomènes que l’on ne voyait pas auparavant : « On ne gagne qu’un facteur deux ou trois en termes de résolution, mais c’est parfois assez pour passer d’une impression de grosse tache à plein de petits points. Une différence qui peut bien aider lorsqu’on cherche à comprendre un mécanisme fondamental. »

Note :

*unité 1043 Inserm/CNRS/UT3 Paul Sabatier, équipe Dynamique moléculaire des interactions lymphocytaires, Centre de physiopathologie de Toulouse Purpan, Toulouse 

Source

R Houmadi et coll., 2018, The Wiskott-Aldrich Syndrome Protein Contributes to the Assembly of the LFA‑1 Nanocluster Belt at the Lytic Synapse, Cell Reports 22, 979–991.
https://doi.org/10.1016/j.celrep.2017.12.088