Antibiorésistance : Les prochains défis de la recherche

En France, chaque année, 125 000 infections et 5 500 décès sont attribuables à l’antibiorésistance. Face à cet enjeu majeur de santé publique, un programme prioritaire de recherche doté de 40 millions d’euros, coordonné par l’Inserm, vient d’être lancé. L’objectif : lutter sur tous les fronts contre ce fléau.

Pour combattre l’antibiorésistance, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation lance un programme prioritaire de recherche doté de 40 millions d’euros, dont la coordination a été confiée à l’Inserm. Il fait suite à la feuille de route interministérielle établie en 2016 pour faire face à cet enjeu de santé publique. Un enjeu majeur car, « selon une étude du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies publiée en novembre dernier, 33 000 décès seraient attribuables à l’antibiorésistance en 2015, en Europe. Plus inquiétant encore, le fardeau est plus important chez les enfants de moins d’un an et les personnes âgées de plus de 65 ans, et d’ici cinq ans, il sera supérieur à celui du sida, de la tuberculose et du paludisme réunis ! » , alerte Evelyne Jouvin-Marche*, directrice scientifique adjointe à l’institut thématique de l’Inserm Immunologie, inflammation, infectiologie et microbiologie. En outre, avec 5 500 décès par an, la France est le sixième pays européen le plus affecté. D’où la décision de passer à la vitesse supérieure en matière de recherche pour lutter contre ce fléau. 

Mais la bataille s’annonce complexe. La raison principale : les bactéries résistantes sont partout, chez l’Homme, l’animal et dans l’environnement. Bilan : lutter contre antibiorésistance nécessite une approche globale dite One Health, littéralement « une seule santé ». Les défis à venir sont donc nombreux et pour les relever, le programme prioritaire se décline en quatre axes de recherche « qui seront menés de front et de manière interdisciplinaire, c’est-à-dire en santé humaine, animale, mais aussi en incluant l’environnement et les sciences humaines et sociales, précise Evelyne Jouvin-Marche. Une interdisciplinarité qui sera d’ailleurs un des défis du programme. »

Mieux connaître…

Un volet traite de la résistance elle-même, comment elle émerge, se transmet et se dissémine. « Cela implique une grande variété de recherches qui vont de l’étude de la génétique de la résistance à la surveillance géographique et temporelle de la résistance, en passant par la recherche de biomarqueurs d’efficacité des traitements, la modélisation de la transmission et de l’émergence des résistances... », indique Marie-Cécile Ploy**, de l’Institut Génomique, environnement, immunité, santé et thérapeutiques (GEIST) à Limoges et responsable de cet axe. Or, chaque thème va générer un grand nombre d’informations, c’est pourquoi des bases de données accessibles à tous vont être développées. « L’objectif est de faciliter l’accès aux connaissances, d’éviter les travaux en doublon, et de gagner du temps. Par exemple, une équipe qui identifiera une mutation, saura assez vite si elle est déjà connue et si elle est associée à une résistance, ajoute la microbiologiste. Enfin, plus largement, nous allons rechercher une méthodologie pour travailler tous ensemble, quel que soit notre domaine, car il nous faut partager la même sémantique, ce qui n’est pas simple. »

… pour mieux se défendre

Cette meilleure connaissance de la résistance contribuera à cerner de nouvelles stratégies thérapeutiques qui sont le cœur du deuxième axe du programme. En la matière, les approches sont à nouveau multiples. Selon Bruno François*** du CHU de Limoges, « aujourd’hui, les plus prometteuses sont l’immunostimulation qui permet de se défendre contre l’infection bactérienne, et les anticorps monoclonaux ». Ces derniers bloquent les facteurs de virulence des bactéries sans les détruire. Aujourd’hui, plusieurs anticorps monoclonaux sont évalués chez les malades « et les premiers résultats sont encourageants, complète le médecin qui précise que, la vaccination reste aussi un des plus efficaces moyens d’action pour lutter indirectement contre les bactéries ».

Pour prévenir les infections et éliminer des bactéries résistantes, le microbiote pourrait aussi être un précieux allié. Les cent mille milliards de bactéries de notre organisme sont en effet la première barrière contre leurs homologues étrangères, pathogènes ou non. Elles les affament, produisent des antibiotiques naturels et stimulent le système immunitaire. D’où la recherche de traitements pour protéger ou manipuler le microbiote contre les antibiotiques susceptibles de le mettre à mal, ou pour le reconstituer grâce à des « cocktails » de bactéries, comme les probiotiques ou la greffe fécale. 

Autre voie à explorer : les bactériophages. L’usage de ces virus tueurs de bactéries a été abandonné au profit des antibiotiques, sauf en Russie et en Géorgie où ils sont encore prescrits malgré le manque d’évaluations scientifiques standardisées. « Toutefois, les études sur le microbiote et les bactériophages n’avancent pas beaucoup », constate Bruno François. « Mais il ne faut fermer aucune porte », relativise Evelyne Jouvin-Marche. C’est pourquoi le développement de nouveaux antibiotiques fait aussi partie de cet axe. « Par exemple, le murepavadin est un antibiotique très récent contre Pseudomonas [responsable d’infections pulmonaires, urinaires, et qui est en urgence thérapeutique critique selon l’Organisation mondiale de la santé, ndlr.], indique Bruno François. Mais vu la capacité des bactéries à s’adapter, il me semble plus intéressant de chercher des combinaisons de plusieurs antibiotiques ou d’un antibiotique avec un adjuvant, qui permettront aux traitements de gagner en efficacité. Et bien sûr, il faut faire un usage mieux ciblé de ceux existants. »

… et mieux innover

« Le troisième axe du programme prioritaire de recherche porte quant à lui sur les innovations technologiques comme le big data et l’intelligence artificielle », indique Evelyne Jouvin-Marche. Encore peu développées pour la lutte contre l’antibiorésistance, leur potentiel ne fait aucun doute. Ainsi, des tests diagnostiques des infections bactériennes et des résistances, rapides et peu chers, permettront d’utiliser le bon antibiotique. « Les nouvelles technologies permettront aussi de maîtriser les données disponibles sur les bactéries et les malades et donc de tester si telle ou telle approche est appropriée, explique l’immunologiste. En outre, ces informations pourraient inciter les industriels à s’investir dans cette lutte. »

Enfin, ce combat implique également de bonnes pratiques d’hygiène dans les établissements de soins, et présente des enjeux de santé publique, sociaux, psycho-sociaux, médico-économiques et juridiques. Autant de thèmes qui ont été regroupés dans le quatrième axe. « Étudier ces mécanismes, par exemple les approches culturelles sur l’usage des antibiotiques en santé humaine et animale, est très important car ce sont en quelque sorte la racine de l’antibiorésistance », souligne Evelyne Jouvin-Marche. 

Pas de doute, avec ce programme ambitieux, la France lutte sur tous les fronts contre l’antibiorésistance. Mais là n’est pas son seul intérêt. « La France va gagner en visibilité, même si elle est déjà très impliquée au niveau européen, au travers de plusieurs programmes dont l’action conjointe européenne sur la résistance aux antimicrobiens et les infections associées aux soins de santé (EU-JAMRAI pour Joint Action on Antimicrobial Resistance and Healthcare-Associated Infections), souligne Evelyne Jouvin-Marche. Quant aux fonds investis, ils serviront de levier pour trouver d’autres sources de financements. » Enfin, « le programme va nous obliger à penser autrement, à être inventifs, » conclut Marie-Cécile Ploy. 

Notes :
* unité Inserm 1209/Université Grenoble-Alpes/CNRS, Institut pour l’avancée des biosciences
** unité 1092 Inserm/Université de Limoges/CHU Limoges, Anti-infectieux : supports moléculaires des résistances et innovations thérapeutiques
*** CIC 1435 Inserm/Université de Limoges ; unité 1092 Inserm/Université de Limoges/CHU Limoges, Anti-infectieux : supports moléculaires des résistances et innovations thérapeutiques 

Un article à retrouver dans le prochain numéro du magazine de l’Inserm.