Alcool, œstrogènes et mémoire : un mariage à trois risqué

De récents travaux étudiant chez le rat l’effet de l’alcool sur la mémoire et les apprentissages ont révélé le rôle clé des œstrogènes. Face à la progression des comportements d’alcoolisation massive chez les jeunes, ces résultats pointent un enjeu majeur : celui de la prévention ciblée à mener notamment chez les jeunes filles.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°49

Quels sont les facteurs génétiques, biologiques et environnementaux impliqués dans la vulnérabilité à l’alcoolodépendance ? Comment le cerveau est-il impacté par la consommation d’alcool, notamment excessive, pratiquée par les jeunes ? Telles sont les interrogations d’Olivier Pierrefiche* au sein du Groupe de recherche sur l’alcool et les pharmacodépendances d’Amiens dirigé par Mickaël Naassila. En s’appuyant sur le constat que les femmes semblent souffrir plus de neurotoxicité et de troubles cognitifs liés à l’alcool que les hommes, les chercheurs amiénois étudient depuis quelques années l’effet de l’alcool sur les mécanismes cellulaires de la mémoire sous le prisme de la différence entre les sexes. 

Dans des travaux publiés en 2015 et 2020, Olivier Pierrefiche a montré que, chez les rats mâles, une alcoolisation massive de type binge drinking entraînait, 48 heures après – alors que la drogue n’est plus présente dans le corps de l’animal –, l’abolition d’un des deux signaux liés à la mémorisation. Ce signal, appelé « dépression synaptique à long terme », a été mesuré ex vivo en enregistrant la plasticité synaptique des neurones de l’hippocampe inclus dans une tranche de cerveau. Différent du « trou noir », ce blocage empêche les apprentissages chez le rat. De nouveaux travaux signés Kévin Rabiant, doctorant au sein du groupe de recherche, indiquent en outre que, chez la femelle jeune adulte, ce signal disparaît dès 24 heures après l’épisode de binge drinking, mais seulement si la rate est dans la phase de cycle ovarien appelé « proestrus », caractérisée par une forte concentration en œstrogènes dans le sang. 

Des effets délétères plus précoces et plus longs

Afin de vérifier s’il existe une interaction entre les deux substances, les chercheurs les ont alors administrées chez des rates prépubères ou adultes et des mâles, tout en bloquant les récepteurs aux œstrogènes. Leurs résultats laissent supposer que le taux d’œstrogènes circulant est un facteur de vulnérabilité chez la femelle, induisant des effets délétères de l’éthanol sur les fonctions cognitives plus précoces et donc plus longs que chez le mâle. Le mécanisme pourrait impliquer une synergie d’action des deux substances sur l’expression ou le fonctionnement d’un récepteur au glutamate contenant la sous-unité GluN2B, cible commune à l’alcool et aux œstrogènes bien connue. 

Déroutantes, ces découvertes sont-elles transposables à l’humain ? Alors que le phénomène d’alcoolisation massive chez les jeunes inquiète, ces résultats pourraient motiver des messages de prévention ciblés, avertissant les jeunes filles que la surconsommation d’alcool est d’autant plus nuisible à certaines phases de leur cycle. Avec, à la clé, des difficultés d’apprentissage et de mémorisation plus longtemps que chez leurs homologues masculins. Cette approche démontre de plus, si besoin était, que la recherche doit s’intéresser spécifiquement aux femmes. 

Note :
* unité 1247 Inserm/Université de Picardie Jules-Verne, Groupe de recherche sur l’alcool et les pharmacodépendances 

Source : K. Rabiant et coll. Sex difference in the vulnerability to hippocampus plasticity impairment after binge-like ethanol exposure in adolescent rat : Is estrogen the key ? Addict Biol., 28 janvier 2021 ; doi : 10.1111/adb.13002