Accident vasculaire cérébral : un rôle protecteur pour la progestérone endogène ?

Une équipe Inserm vient de démontrer l’implication de la progestérone endogène dans la protection du cerveau après un accident vasculaire cérébral (AVC). Au passage, cette étude lève un lièvre : les cerveaux des souris mâles et femelles réagissent différemment. De quoi repenser le « monopôle des mâles » dans les études expérimentales et, d’autre part, imaginer une nouvelle prise en charge des AVC prenant en compte le sexe des patients.

Privé de sang, le tissu nerveux se nécrose très rapidement après un accident vasculaire cérébral (AVC). Au Kremlin-Bicêtre, une équipe de recherche* étudie depuis plusieurs années le rôle des stéroïdes dans la protection du système nerveux central. Avec son équipe, Rachida Guennoun s’intéresse en particulier au rôle et aux mécanismes d’action de la progestérone et de ses métabolites. Le travail qu’elle vient de publier s’appuie sur deux constatations : D’une part, les femmes semblent relativement protégées des AVC durant leur période de fertilité. « Un avantage qui disparaît après la ménopause » prévient la chercheuse. D’autre part, l’administration de progestérone exogène exerce un rôle protecteur dans différents modèles expérimentaux d’atteinte cérébrale. La progestérone endogène protègerait-elle le cerveau après une ischémie ?

La surprise

L’équipe a testé cette hypothèse sur des souris mâles et femelles, jeunes ou âgées. Elle a d’abord mesuré les niveaux cérébraux et plasmatiques de progestérone et de ses métabolites actifs – capables de se lier au récepteur cellulaire de la progestérone (PR). Première surprise : en situation normale, les niveaux cérébraux de progestérone et de 5 alpha-dihydroprogestérone (5alpha-DHP) sont beaucoup plus élevés chez les mâles que chez les femelles. Ces dernières ont en revanche beaucoup de 20alpha-dihydroprogestérone (20alpha-DHP), un métabolite inactif mais pouvant se retransformer en progestérone. De plus, durant les premières heures suivant un AVC provoqué par occlusion de l’artère cérébrale moyenne, le niveau cérébral de la progestérone et celui de la 5alpha-DHP montent en flèche chez les mâles, mais pas chez les femelles. 

Les chercheurs ont ensuite étudié l’effet de l’ischémie cérébrale chez des souris dépourvues du récepteur de la progestérone (PR) dans les cellules neurales. Résultat : après un AVC, l’étendue de la zone nécrosée, la perte neuronale et les atteintes comportementales sont beaucoup plus importantes que chez les animaux contrôles. Et ce de manière encore plus prononcée chez les mâles que chez les femelles. La progestérone protège donc bien le cerveau via son récepteur PR, chez les deux sexes. Les femelles semblent toutefois bénéficier d’un autre mécanisme de protection, indépendant de PR. La même expérience chez des animaux âgés montre que le mécanisme protecteur impliquant PR est toujours en place. 

Deux enseignements

La différence constatée entre les sexes est fondamentalement intéressante, et elle soulève aussi des interrogations pratiques : En effet, comme l’explique Rachida Guennoun, « l’immense majorité des travaux expérimentaux se fait sur des animaux mâles, pour des raisons de simplicité : on n’a pas à s’occuper du stade du cycle œstrien. On généralise ensuite les résultats aux deux sexes ». Il convient donc de considérer le sexe comme variable dans les stratégies de recherche biomédicale et la santé publique ; un problème qui commence à émerger dans la communauté scientifique, à l’Inserm comme ailleurs. 

En termes cliniques, la chercheuse imagine l’utilisation précoce de la progestérone en complément de la thrombolyse et/ou de la thrombectomie dans la prise en charge des AVC. « La zone centrale de l’infarctus est irrémédiablement perdue. Elle est entourée d’une zone périphérique de cellules touchées mais non détruites : c’est celle-là qu’il faut préserver pour minimiser les conséquences de l’AVC » explique-t-elle. 

L’équipe va poursuivre ses travaux dans trois directions : D’une part tester des agonistes synthétiques du récepteur à la progestérone, chez des animaux mâles et femelles. D’autre part poursuivre l’exploration d’un mode d’administration intranasale de la progestérone en faisant des essais dose/réponse, là encore chez les femelles comme chez les mâles. « L’idée ultime, si nous en avons les moyens, est de voir ce qu’il en est chez l’homme, avec l’unité neurovasculaire de Bicêtre. D’abord mesurer l’évolution des niveaux plasmatiques de la progestérone et de ses métabolites post-AVC, puis éventuellement faire des essais cliniques d’administration de la progestérone ou de 5a-DHP ou d’agonistes du récepteur PR » propose la chercheuse. 

Genre et santé, attention aux clichés ! Maladies cardiovasculaires – animation pédagogique – 1 min 30 (2017)

Note

*équipe Neuroprotection et régénération axonale, unité 1195 Inserm/université Paris Sud, Petites molécules de neuroprotection, neurogénération et remyélinisation, Le Kremlin Bicêtre. 

Source

Zhu X. et coll. (2017) A role of endogenous progesterone in stroke cerebroprotection revealed by the neural-specific deletion of its intracellular receptors. J. Neurosci. 10.1523/JNEUROSCI.3874–16.2017